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Billet de blog 21 octobre 2022

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Liban : les voix qui restent

L'impasse dans laquelle le Liban se trouve conduit la jeunesse à continuellement se renouveler. Ceux qui ne sont pas encore partis organisent leurs vies pour tenter de le faire, mais obtenir un visa pour sortir du pays n'est pas une partie de plaisir. En attendant un futur plus lumineux ou un papier d'autorisation de sortie du territoire, ils écrivent et créent pour témoigner et ne pas oublier.

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« Il est interdit d’interdire de parole toute personne n’ayant qu’elle-même pour exposer et défendre sa pensée » ses mots issus d’un manifeste rédigé par des auteurs participant au festival Beyrouth Livres répondent aux propos du ministre de la Culture Mohammad Mortada qui condamnait la proximité de certains auteurs avec le « sionisme ». La pluralité des voix créatives au Liban conduit à la méfiance du gouvernement. Cependant, bien que des mots intolérants soient prononcés, cela n’est pas suffisant pour éteindre la volonté de dire et de parler.

L'impasse dans laquelle le Liban se trouve conduit la jeunesse à continuellement se renouveler. La jeunesse libanaise se sent coincée ici, ceux qui ne sont pas encore partis organisent leurs vies pour tenter de le faire, mais obtenir un visa pour sortir du pays n'est pas une partie de plaisir. En attendant un futur plus lumineux ou un papier d'autorisation de sortie du territoire, ils écrivent et créent pour témoigner et ne pas oublier.

« Mes années dans ce pays ont toujours été comme la continuité des cellules de prison »

Quand on rentre dans l'appartement de Raafat Hekmat, écrivain Syrien qui réside à Beyrouth depuis 4 ans, on aperçoit une phrase en arabe : « Si tu viens brisé, ton étreinte est un devoir ». La convivialité dans cet appartement a le pouvoir de réchauffer les cœurs autour de plats familiaux syriens. Il tente ici, provisoirement, de trouver et de partager une sérénité malgré les difficultés qu’il a traversé en Syrie.

 « J’étais à Deraa, c’est là que la révolution a commencé en Syrie ». « J’ai été arrêté deux fois, la première fois parce que j’ai participé à la révolution et la deuxième fois parce que j’ai partagé des poèmes sur Facebook, ils sont arrivés dans mon Université pour m’arrêter, j’avais 27 ou 28 ans ». La liberté d’expression n’existe pas. Il insiste : « La seule raison de mon emprisonnement c’est un poème. Juste un poème. ». Ce poème parle d’amis qui ont fui le pays et qui sont décédés en mer, d’immeubles qui sont remplacés par des cimetières et d’enfants qui ne dessinent qu’en rouge, « car ils ne reconnaissent que le rouge parce qu’ils ont vu du sang, beaucoup de sang durant leurs courtes vies. Seulement du sang, du sang, du sang. »

Raafat a publié un premier livre « As I am dreaming » quand il arrivé au Liban où il raconte comment sa vie ressemble à un rêve, ou plutôt un cauchemar. Son prochain livre, qui sortira dans quelques semaines : « Feel afraid from the hunter » dresse des liens entre la prison et le Liban, le sentiment d’enfermement reste le même. « On a peur ici, ici on n’est pas en sécurité au Liban, car le Liban est parfois trop proche de la Syrie. Qui est le chasseur ? Peut-être mon pays, peut-être ma famille, peut-être le président ». Il y écrit : « Mes années dans ce pays ont toujours été comme la continuité des cellules de prison ».

Raafat se fraye un chemin vers la liberté d’expression, il tente de l’atteindre pas à pas mais il reste beaucoup de chemin à parcourir.

« C’est un tabou de parler du monde »

Yara Salem a participé, comme beaucoup, à la révolution de 2019. Du premier au dernier jour, elle a tenté de se battre aux côtés d’autres libanais. Elle y a trouvé une conscience collective qui l’a inspiré pour son documentaire intitulé « Bits of memories » (qu’elle a traduit en français par « des résidus de la révolution »). « Mon identité était morte, je n’avais pas d’identité libanaise. On a cette culture d’haïr notre culture, ce n’est pas classe de parler arabe, il faut parler en Français, on n’est pas arabe, on est Phéniciens. Je vivais dans cette bulle. Puis quand la révolution s’est passée, c’était la première chose dans ma vie qui avait du sens. »

 « Bits of memories » se construit comme un journal intime, divisé en plusieurs parties. Elle a filmé pendant toute la révolution puis a décidé de condenser les mois en l’histoire d’une journée. Elle met en scène un rêve qui se décortique et devient de plus en plus réaliste. Le film s’arrête lors de l’explosion. La vie s’est arrêtée, « j’étais morte, je vivais plus après cette date ».

La grande question du documentaire pourrait se résumer à « Pourquoi les gens partent ? ». Yara a choisi de montrer à l’écran ceux qui restent pour se battre. « Je ne parlais pas de politique avant le 17 octobre 2019. Ils nous isolent. On part, on ne reste pas pour se battre. Je suis restée et je me suis battue ». Elle dresse le portrait d’un peuple uni face à l’armée, au gouvernement et aux médias « qui travaillaient ensembles ». Elle a filmé un moment symbolique où l’armée a commencé « à mettre des barrières dans la rue pour continuer à nous séparer, encore et encore ».

« Bits of memories » est un film sur l’espoir, la solidarité et les dernières forces qui se trouvent ici, au Liban. C’est un documentaire qui aborde le « tabou de parler du monde. Car si on parle, on peut trouver des gens qui ne les arrange pas ». Le film capte la réalité d’un instant mais « il ne finit jamais car les questions sont toujours ouvertes ».

Ces voix aussi restent en suspend, elles tentent de passer à travers les mailles du filet et d'être entendues. 

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