mag75. (avatar)

mag75.

Interroge ce qu’il reste de la République sociale dans les pratiques publiques.

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 octobre 2025

mag75. (avatar)

mag75.

Interroge ce qu’il reste de la République sociale dans les pratiques publiques.

Abonné·e de Mediapart

Quand l’innovation publique devient un simulacre

Dans une réunion que j’observais récemment, un directeur de la « transformation » expliquait aux agents qu’ils devaient « innover » en remplissant un nouveau tableau de bord Excel en forme de tableau de bord. Sourires forcés, fatigue visible, promesse creuse. Cette scène anodine résume un paradoxe : l’innovation publique est partout, mais elle se réduit trop souvent à des rituels managériaux.

mag75. (avatar)

mag75.

Interroge ce qu’il reste de la République sociale dans les pratiques publiques.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quinze ans, j’ai vu défiler ces dispositifs censés « réinventer » l’action publique. On recycle des idées anciennes sous un vocabulaire neuf, on ouvre des « maisons de la transition » dirigées par des « directeurs de la transformation », on multiplie hackathons et appels à projets… Mais que change-t-on dans la vie des agents, dans le quotidien des citoyens ? Trop souvent, rien.

En réalité, l’innovation publique fonctionne comme une mise en scène. Elle permet aux institutions d’affirmer : « Nous agissons, nous sommes modernes, nous écoutons. » Mais dans les faits, les rapports de pouvoir restent intacts. Les décisions sont verrouillées. Les marges de manœuvre des équipes sont étouffées. On parle d’expérimentation, mais l’échec est interdit. On parle d’agilité, mais la bureaucratie demeure.

Il y a là un impouvoir stratégique : plus l’innovation est vantée, moins elle transforme. Les sociologues l’ont noté : quand une organisation répète qu’elle change, c’est souvent qu’elle se défend de ne rien changer. L’innovation devient un récit légitimateur, une fiction performative qui rassure le politique et meuble les rapports d’activité.

Le problème n’est pas qu’il ne faille pas innover. Mais on appelle « innovation » des gestes managériaux sans portée, ou des rituels d’évaluation déconnectés des besoins. On confond transformation sociale et cosmétique institutionnelle. Pendant ce temps, les urgences – santé mentale, vieillissement, emploi des seniors, crise écologique – restent traitées à la marge.

L’innovation publique pourrait être autre chose : redonner du temps aux agents pour faire leur travail correctement, simplifier plutôt qu’empiler des procédures, assumer l’expérimentation réelle – y compris l’échec. très important l'échec ! Quel statut lui accorde-t-on ? sincèrement ? y compris parmi les les plus hauts gradés ?

Mais pour cela, il faut cesser de croire que l’innovation se décrète par circulaire. La transformation vient du bas, des marges, des pratiques invisibles. Elle suppose de reconnaître que l’innovation est un travail collectif, lent, incertain, et non un slogan.

Tant que l’innovation publique restera une mise en scène, elle ne fera que retarder les vrais débats : moyens, démocratie institutionnelle, reconnaissance des acteurs de terrain. Ce simulacre rassure à court terme, mais il fragilise la confiance et nourrit le désenchantement.

L’innovation n’est pas un décor. C’est un pari risqué, exigeant, qui demande du courage politique à tous les échelons. Tout le reste n’est que bruit managérial.

Par Magali Crochard


Autrice et chercheuse indépendante. Elle publie régulièrement sur les questions de République sociale, d’innovation publique et de santé mentale.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet