Face au COVID-19, bon nombre de personnes se retrouvent confinées dans des conditions éprouvantes pour le corps et l’esprit. Le stress fut étudié pour la première fois au début du XXème siècle. A l’origine, ce concept recoupait différents champs scientifiques tels que la biologie, la médecine, les sciences sociales et humaines, la psychologie ou encore la psychosomatique. Le stress est une réponse neurobiologique activée de manière naturelle dans le corps qui inonde l’organisme lors d’événements inattendus ou désagréablement récurrents. Nécessaire et inhérent à toute condition humaine, le stress permet une réaction et une adaptation de l’organisme face à un imprévu. A ce titre, il est capable d’agir sur l’ensemble des fonctions physiques et psychiques et s’avère essentiel à tout être humain. Son interaction fonctionne à large spectre. Aujourd’hui, il fait l’objet de nombreuses études dans le champ des neurosciences ainsi que dans le monde du travail. A ce titre, le stress est devenu tantôt un révélateur de productivité au sein des sociétés industrielles (le stress permet une mise sous tension et par là-même une hausse de production au travail), tantôt un révélateur de mise en danger de la santé humaine. Le caractère qualitatif et quantitatif du stress au travail ou dans le quotidien des familles (en cas de guerre ou de pandémie par exemple) permet de dresser un état des lieux du fonctionnement global d’une société.
Hans Selye, le pionnier du stress
Tout a commencé avec un homme : Hans Selye. Pionnier des recherches relatives au stress, Hans Selye est un jeune médecin canadien d’origine hongroise qui, dès 1920, s’intéresse au stress en tant que « syndrome général de maladie ». En 1936, il publie son premier article dans la revue Nature. Son but ? Décrire l’ensemble des réponses non spécifiques, c’est-à-dire des réponses psychopathologiques mises en place par l’organisme face aux agressions auxquelles ses patients sont confrontés. Ces réponses sont répertoriées comme « non spécifiques », ce qui signifie que n’importe quelle maladie ou agent agressif peut provoquer ces dernières, indépendamment de la cause ou de la nature de l’agression. Ce stress vécu par l’organisme produit alors une hausse de sécrétions hormonales accompagnée d’une surstimulation des neurotransmetteurs. C’est le concept théorique que Hans Selye définira vingt ans plus tard, sous le nom de « syndrome général d’adaptation ». Le « syndrome d’adaptation général » représente les réactions à court et à long terme mises en place par le corps humain pour faire face au stress. Le premier livre de Hans Selye sera publié en 1956 sous le titre Le Stress de la vie1. Le stress y est décrit comme une réponse biologique de l’organisme, identique à tous et identifiée. Le médecin démontre dans son ouvrage comment le corps humain répond aux différents « stresseurs ou agents de stress » et quels sont les impacts biologiques et psychiques sur notre santé. Grâce aux travaux de Selye, l’histoire médicale du stress est lancée. Le « syndrome d’adaptation générale » fait toujours référence aujourd’hui. Le processus se déroule en trois phases : la phase d’alarme (la réaction d’alerte), la phase de résistance, la phase d’épuisement.
La phase d’alarme et de réaction s’accompagne de deux réactions indissociables et chronologiques : la phase de choc, la phase de contre-choc. La phase d’alarme correspond à un état de surprise, de sursaut voire de sidération face à l’agression soudaine. La réaction de contre-choc représente la période de mise en place de moyens de défense pour faire face à l’agression et à l‘événement stresseur/stressant. Chaque personne ayant vécu des traumatismes, qu’ils soient sexuels ou d’autres natures, savent à quel point cette « chronologie du choc » marque à jamais leur existence. Dans mon cabinet de consultations, il n’est pas rare d’entendre mes patients évoquer un « avant » et un « après » de l’événement. Plus que la date calendaire, l’événement traumatique devient un marqueur spatio-temporel dans le déroulement d’une vie. Il représente le point fixe, la datation personnelle qui « marque » dans tous les sens du terme : celle d’un stress ou d’un trauma inattendu, parfois récurrent, toujours subi.
La seconde phase, celle de résistance, est une phase d’adaptation face aux agents stresseurs. Elle sollicite les mécanismes nerveux, hormonaux et immunitaires du corps humain. Les réactions produites relèvent de l’émotionnel, du cognitif, du corporel et du comportemental. Le stress est la réponse de l’organisme en vue de s’adapter à toute demande de son environnement, nous dit Selye. La phase de résistance induit des sécrétions de cortisol (hormone du stress) et d’adrénaline à doses soutenues et renouvelées.
La phase d’épuisement apparaît quand l’organisme ne parvient plus à s’adapter face aux agents stresseurs. Des problèmes psychiques et somatiques surgissent. Cela correspond bien souvent à cette phrase que l’on entend fréquemment : « le cors parle ». Mal de dos, gorge nouée, maux de ventre, fatigue intense, motivation en berne, sentiment que le sol s’écroule sous les pieds… l’organisme se relâche. La décompensation2 guette.
En résumé, le stress représente une réponse inévitable face aux agressions venues de l’extérieur (bruit, lumière, harcèlement, licenciement, situation d’agression, pandémie...) comme à celles provenant de l’intérieur (deuil, maladie, conflits familiaux ou intrapsychiques). Dans tous les cas, le stress est une réponse d’adaptation face aux expériences qui mettent sous tension. Cette réponse est naturelle et concerne tous les êtres humains (le règne animal aussi). Le stress permet la prise de conscience d’un danger et donne les clés pour y faire face. C’est en soi, un signe de bonne santé. Depuis la nuit des temps, il est nécessaire à l’humanité pour qu’elle puisse déjouer les pièges de l’existence et ainsi perdurer.
Les trois phases du stress
A partir de ces indications, il est possible d’envisager ce qui peut se jouer d’un point de vue physiologique lors des trois phases du Syndrome général d’adaptation élaboré par Hans Selye.
La phase d’alarme représente l’identification et la réponse au stress par le combat ou la fuite. Elle active le système nerveux sympathique (ou orthosympathique), lequel produit une décharge de cortisol et d’adrénaline. Les réflexes corporels, la force musculaire et les perceptions sensitives sont automatiquement décuplés. La fréquence cardiaque, les niveaux de vigilance, la tension artérielle et la température corporelle varient. L’oxygène est concentré sur les organes qui vont être sollicités. L’organisme est prêt à réagir. La phase d’alarme est soudaine et de courte durée.
La phase de résistance apparaît lorsque la situation initiale de stress persiste. Les glucocorticoïdes sont sécrétées par les glandes cortico-surrénales. Ces dernières augmentent le taux de sucre dans le sang mais aussi celui de la coagulation, du cholestérol et des acides gras (c’est pourquoi le stress fait grossir parfois…). L’organisme se prépare aux dépenses énergétiques pour faire face à la situation stressante. De nouvelles hormones (les neuromédiateurs) sont sécrétées à partir d’efforts prolongés. Un véritable cocktail chimique inonde alors l’organisme : endorphines, ocytocines, noradrénaline, dopamine et sérotonine... Lorsque la phase de résistance se prolonge, les défenses immunitaires observent également une variation induite par une chute des globules blancs dans le sang. La phase de résistance peut durer des semaines voire des mois, jusqu’à finir par épuiser littéralement les réserves énergétiques de l’organisme. Ce dernier entre alors en phase d’épuisement.
La phase d’épuisement correspond à une intensification ou un prolongement des agents stresseurs sur l’organisme. Ce dernier n’arrive plus à s’adapter, l’autorégulation hormonale ne peut maintenir son équilibre, l’individu se sent littéralement débordé. Cette phase est marquée par un excès de sécrétions hormonales et un effondrement du système immunitaire. La thyroïde, les gonades, la prolactine et d’une manière générale tout le fonctionnement neurobiologique de l’être humain peuvent être impactés. Le système nerveux n’arrive plus à réguler le syndrome d’adaptation général. Des pathologies plus ou moins invalidantes apparaissent alors.
Avoir conscience des effets autant que des signes annonciateurs du stress peut éviter des drames individuels et systémique (amoureux, relationnels, professionnels...). Car si le stress peut être dangereux pour la santé, mais aussi pour la vie des couples et la sexualité, il n’en demeure pas moins qu’il représente la réaction humaine la plus naturelle face à l’adversité. A ce titre, tout l’enjeu réside alors dans la prise de conscience de son état de stress, non pas pour annihiler le stress, mais pour apprendre à s’en servir comme d’un levier (vous retrouverez des outils précis dans mon ouvrage Moins de stress grâce au sexe*) Apprivoiser le stress, le canaliser, pour en faire une force motrice. Voilà qui en cas de pandémie, pourrait bien changer la vie.
Magali Croset-Calisto, psychoaddictologue et sexologue.
1 Selye. H, The stress of life, Mc Garw-Hill, New-York, 1956.
2 Effondrement psycho-corporel dû à un excès de tensions.
* Magali Croset-Calisto, Moins de stress grâce au sexe, Albin Michel, 2019