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Billet de blog 31 août 2024

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La vie polaire

J’ai 36 ans et je viens d’avoir un bébé. Mon esprit se retrouve sur un fil. Un fil polaire. Je ne le sais pas encore mais je commence à décompenser. Je ne dors plus. Pendant dix jours, je ne dormirai plus. Mon fil polaire vibre la nuit. Mon fil polaire grésille le jour. Je suis épuisée. J’ai 36 ans et je viens d’avoir un bébé. J’ai 36 ans et je suis internée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

20 août 2022, nait mon petit garçon. Un moment très intense. De force et de puissance. Les premiers jours de maman seront à la fois doux et éprouvants. Douceur de mon bébé mais fatigue toute emmêlée de jeunes parents.

Je dors très peu. Les réveils successifs durant la nuit pour vérifier si notre fils va bien, un allaitement difficile, une nuit blanche à avoir peur de le faire tomber de mon lit me laissent épuisée au petit matin.

Nous sortons cinq jours plus tard, sur un petit nuage, un sourire de jeunes parents chancelants mais heureux. La chaleur des nuits de canicule est là et nous laisse désorientés avec ce petit bébé. Que faire avec cette chaleur ? Comment s’occuper au mieux de lui durant ces premiers jours à la maison ? Nous tâtonnons, faisant au mieux.

La nuit, je ne dors pas. Mon fils est posé sur moi, je le veille, en peau à peau. Le jour, nous profitons à deux de cette nouvelle vie de famille. Nous nous retrouvons avec nos familles, nos amis, choyés de mille et une attentions… Ces témoignages d’amour et d’amitié me bouleversent.

Mon esprit se retrouve sur un fil. Un fil polaire. Je ne le sais pas encore mais je commence à décompenser.

 Les nuits suivantes sont plus difficiles. Nous nous la partageons afin de ne pas être épuisés. Nous essayons. Nous faisons au mieux avec des conseils picorés à droite et à gauche. A minuit, je me lève. J’ai mon bébé pour moi toute seule. Durant six heures.

La chaleur est là et ne nous quitte pas. J’ai mon minuscule bébé sur moi. Je lui parle, je le nourris. Nous écoutons des chansons, des paroles. J’écris quand il est endormi sur moi. Je vibre de félicité, de bonheur comblé. J’ai confiance en moi. Pour la première fois, je n’ai plus peur. Je suis là, ancrée dans l’instant présent. Je vois le soleil se lever, ma maternité se révéler.

Je ne dors plus. Pendant dix jours, je ne dormirai plus. Mon fil polaire vibre la nuit. Mon fil polaire grésille le jour. Je suis épuisée.

 L’un des matins, je m’isole. J’écris. J’ai besoin d’écrire. Ma colère face à certaines maltraitances gynécologiques et institutionnelles que j’ai subies durant ma grossesse. J’écris. Et puis j’accouche. Une deuxième fois. De ce bébé perdu quelques mois auparavant. Je me tords de douleur. Je revis cette nuit terrible où je me vidais de mon sang, clouée au sol, ne comprenant pas ce qu’il se passait dans mon ventre. J’écris. Je dis au revoir à mon bébé de septembre.

 Mon fil polaire grésille.

 Et puis je décompense. Les nuits sont blanches. Les discussions sont interminables. La colère est à flots. Tout se déverse. Plus de barrages, plus de barrières. J’ai confiance en moi et je le dis. Haut et fort. Je ne me laisserai plus faire par manque de confiance. Je suis maman. Je suis là. Mais l’on ne me reconnait plus. Furie, Harpie, je deviens. J’écris. Tout. Mes pensées, mes projets, mes colères. Saccadés. Clairs pour moi. J’écoute de la musique. Les mots résonnent en moi.

Je laisse des messages vocaux interminables sur le répondeur de mes sages femmes et celui de l’unité périnatale sur laquelle on a été basculé et qui nous suit à présent. J’écris. Sur mon cahier, sur son cahier, sur les réseaux. Je sais que je fais un épisode hypomaniaque. Je supplie la pédopsychiatre de me laisser vivre une « hypomanie physiologique ». On me mettra sous O. Pour dormir. Je me réveille la nuit. En somnambule. Je ne sais pas ce que je fais. Je me cogne. Je suis hébétée de nuit. Je refuse de continuer à le prendre, à ne plus être maitresse de mes nuits.

 Des ambulanciers arrivent à mon domicile. « Madame, nous sommes là pour parler. Madame, on ne vous emmènera pas. On est là pour vous écouter. »

 « Madame, cela fait une heure que l’on vous écoute. On va vous emmener avec nous à l’hôpital. Juste pour observer. Votre conjoint et votre père nous suivent derrière. »

 Je suis là, sidérée dans l’ambulance. J’ai dû dire au revoir à mon bébé, entrapercevoir mon conjoint en sanglots, laisser nos proches éprouvés. Je sais, je décompense. Je sais, je suis en logorrhée. Je sais ce qui m’attend. L’hôpital. L’hôpital psychiatrique. Je serre mon sac contre moi. J’y ai glissé ma poupée de chiffons Frida qui me permet de ne pas oublier mon bébé de septembre. J’y ai logé mes albums photos de voyage, de vie… Pour que je n’oublie pas qui je suis. Ce que j’ai réalisé. Ne pas me réduire à cette logorrhée, à cet état maniaque dans lequel j’ai plongé.

 J’arrive à l’hôpital, aux urgences psychiatriques. Je mets mon téléphone à charger. J’installe mes affaires sur la table. Je porte encore mes vêtements auxquels je tiens. Un premier entretien se tient. Avec une infirmière, je pense. J’essaie de tout expliquer, posément. J’essaie de maitriser ce flot de logorrhée qui amène les gens à ne plus me croire, à ne plus me considérer. Je parle. Je pose. J’explique. Je sais ce qu’il m’attend si l’on ne me croit pas.

 Après de longs moments d’attente, sans mots, sans espoir, une psychiatre entre et me fera voler en éclats. « Vous avez trente minutes pour trouver quelqu’un qui puisse vous héberger ». Je panique. Je suis nouvelle sur Toulouse. Je ne connais personne. Je me retrouve à appeler à l’aide tout mon répertoire téléphonique. Jusqu’à mon médecin, ma diététicienne, des amis d’amis. Qui ne comprennent pas mes mots, se sidèrent. Je raccroche précipitamment. Je m’excuse. Je suis désemparée de me mettre ainsi à nu. Je n’ai que trente minutes. Trente minutes de liberté pour espérer revoir mon fils. Je sais que si j’entre, je n’en sortirai pas indemne. Je l’ai déjà vécu. Il y a quinze ans. Un couple d’amis accepte. La psychiatre refuse. Elle me dit que l’on va placer mon fils si je continue à délirer.

Je crie que j’accepte l’hospitalisation. La porte se ferme. Je suis hospitalisée. Sous contrainte. Le trou noir commence. Je m’évanouis de torpeur. Je ne me réveillerai que plusieurs heures plus tard. Par à-coup. Par balbutiement. Hébétée. Désorientée.

Je dormirai sur un brancard durant cinq jours. En box isolé, aux urgences psychiatriques. Sans visite. En tenue bleue de papier, en culotte grillagée. Pas de douche, pas de soins pour panser mes premières écorchures de jeune maman. Des médicaments qui éclatent, qui me laissent sans voix et sans pensées.

J’ai 36 ans et je viens d’avoir un bébé.

J’ai 36 ans et je suis internée.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.