Comme d’autres ont celles des chiffres, depuis toute petite, j’ai la passion, pour ne pas dire l’obsession, des mots. Les mots sur la boîte du chocolat Poulain, les mots de mes parents, mes mots à mon frère handicapé quand je lui raconte mes histoires le soir, les mots du Télé Poche dont j’apprends avec ivresse les résumés des feuilletons. Les mots de Paris Match et de ses pages people mais aussi celles politique. Les jeux de mots de Goscinny dans les bulles des BD d’Astérix. Ceux aussi de Coluche et du Bébet Show.
Cette passion des mots s’est renforcée à l’adolescence avec la découverte du CDI de mon collège puis avec les heures passées dans ma chambre à réécrire mes rédactions à la recherche du mot juste, et de l’assemblage parfait des mots entre eux.
Quand je suis partie en Allemagne, à 17 ans (c’est bien connu, “on n’est pas sérieux quand on a 17 ans” *), cette passion pour les mots de ma langue s’est retrouvée accompagnée d’une fascination pour les mots de cette langue étrangère, l’allemand.
Nous sommes en 2000, et mon petit ami de l’époque, M., me parle d’ "ésotérisme" et s'étonne de mon ignorance concernant ce mot. Pour moi, ésotérisme, surtout dans la bouche de M., me fait penser à “érotique” et à “exotique” mais oui, je dois le reconnaître, je ne sais pas ce que cela signifie. Comme d’autres ont été "biberonnées à la psychanalyse" ( n'est-ce pas Caroline ? cf. l'article de Marianne à se sujet), moi j’ai été biberonnée à la science, aux Lumières, à la raison, notamment par mes enseignants de l’école publique et les Lagarde et Michard. M. m’explique pendant des heures, mon esprit bloque, non vraiment, je ne comprends pas. Puis le temps passe, je reste en Allemagne et ce mot commence à prendre pour moi une réalité.
Je rencontre des parents qui refusent de faire vacciner leurs enfants. Des femmes qui renoncent à la péridurale, à la césarienne pour accoucher dans la douleur, de manière “naturelle”, quitte à mettre parfois en danger leur propre vie et celle de leur bébé. Qui, pour vaincre une bactérie, refusent les antibiotiques et leur préfèrent les huiles essentielles. Qui au terme de leurs études deviennent “sorcières” et proposent des cérémonies de cacao. Qui ne prennent plus la pilule préférant se fier à la lune. Des hommes qui, pour me séduire, me parlent des émotions des tomates. Un autre qui voudrait que nous vivions, nous aussi, tous les deux au rythme de la lune. La nature à tout prix, et non plus la culture et son progrès. Rousseau plus que Voltaire. L'Allemagne "Sturm und Drang" plus que celle de Kant.
Cet été, avec la chronique de Caroline Goldman sur France Inter, pour la seconde fois (la première fois, c’était pendant la pandémie), j’ai découvert avec effroi combien l’ésotérisme avait aussi gagné la France . Au début, j'ai pensé naïvement que c'était une question de personne, d'une "fille de" en mal de reconnaissance (complexe d'Oedipe ?) et complexée d'avoir été elle-même une mauvaise élève (cf. l'article de Marianne).
Erreur.
En écoutant France Culture vendredi 8 septembre Emmanuel Venet au micro d'Etienne Klein, force a été pour moi de devoir constater que les interventions de Caroline Goldman n'était que la partie d'un iceberg beaucoup plus imposant et dangereux : le "désir", "le fantasme" (pour reprendre des termes freudiens) d'une "discipline" complètement dépassée et burlesque d'avoir à nouveau la main-mise sur la santé mentale.
Oui, en 2023, l’approche purement psychanalytique des TND est une forme d’ésotérisme. La définition et l’étymologie de ce mot sont probantes** : “Doctrine professée à l'intérieur de l'École et réservée à un certain nombre d'adeptes”. Oui, la psychanalyse est une doctrine. Oui, elle est réservée à un certain nombre d’initiés (en général, socialement plutôt privilégiés, ayant les moyens de s'y initier - pour devenir psychanalyste, il faut avoir soi-même fait une psychanalyse, ce qui coûte non seulement un peu de temps mais aussi de l'argent - et demandant des moyens pour initier à leur tour). Oui, on peut la considérer comme occulte et hermétique, voire obscurantiste, notamment à la lumière des découvertes neuroscientifiques de ces dernières décennies. Notamment en ce qui concerne la santé mentale (la dépression, le TDAH, l’autisme entre autres).
Cet été, aussi, pour la seconde fois, en osant critiquer, simple citoyenne que je suis, la “croisade médiatique” de Caroline Goldman pour “réhabiliter la psychanalyse”, j’ai été insultée avec d'autres (scientifiques, médecins) sur les réseaux sociaux de “scientiste extrémiste”. Moi, la lauréate d’un bac L (option maths quand même), l’étudiante de lettres modernes, l’amoureuse de l’alphabet.
Comme s'exclameraient les héros de mon enfance : "Par Toutatis, le ciel nous est tombé sur la tête ! "
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* poème d'Arthur Rimbaud, mis en musique plus tard par Léo Ferré (https://www.youtube.com/watch?v=IiekLbshmG0)
**A consulter : l’article “ésotérisme” sur le site lalanguefrancaise.com
On y découvre que la fréquence de ce mot était la plus importante pendant les années 70, en pleine période hippie. On y apprend également que le mot “ésotérisme” a quand même du positif : au Scrabble, il rapporte 10 points!
A lire également : le dossier de L’Express “Esotérisme : un essor inquiétant” (août 2023).