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Billet de blog 29 août 2023

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Caroline Goldman, un épiphénomène ?

Au-delà de son indignation comme mère d’un enfant avec TDAH suite à la chronique estivale de Caroline Goldman sur France Inter, Magali Hack ressent le besoin de décortiquer l'engouement pour cette psychologue dans ses tenants et aboutissants. La question qui la taraude est la suivante : en quoi cet engouement, qui pourrait passer pour un épiphénomène, est-il révélateur de notre société actuelle ?

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1) La  surmédiatisation d’une “fille de” - La naissance et pas le mérite. 

Commençons tout d’abord par ce que les uns et les autres nous avons du mal à formuler tellement nous respectons la vie privée d’une personne publique : si Caroline Goldman n’était pas la fille de son père, elle ne serait pas si facilement invitée sur les plateaux de télévision et aux micros des radios. Les journalistes qui l’invitent et l’interrogent sont issus, comme moi, de la “génération Goldman”. Jean-Jacques Goldman est un chanteur vénéré par toute une génération et alors qu’il a décidé de se retirer de la vie publique, on se rue sur sa fille comme si l'interviewer, elle, c’était l’approcher de plus près, lui. Parler d'elle, c'est parler de lui et c'est vendeur. A lire - une fois n'est pas coutume - tous les articles au sujet de Caroline Goldman dans la presse dite "people", par exemple :

https://www.voici.fr/news-people/jean-jacques-goldman-qui-est-sa-fille-caroline-736185

https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/jean-jacques-goldman-sa-fille-caroline-sort-du-bois-et-met-tout-le-monde-daccord_500189

https://www.public.fr/News/Si-sympathique-et-stimulant-la-fille-ainee-de-Jean-Jacques-Goldman-proche-d-un-journaliste-cette-photo-Instagram-qui-fait-le-buzz-1717686

2) Le règne du buzz ou du “trumpisme”. 

Dans un paysage audiovisuel où la concurrence est de plus en en rude, pour gagner de l’audimat ou en tous cas ne pas en perdre pendant la période estivale, on confie le micro à une personne qui sait exactement  quoi dire pour déclencher des réactions vives, parfois violentes mais qui ont, pour elle et le média qui lui sert d’espace d’expression , le mérite de faire parler d’eux. Caroline Goldman elle-même a déclaré avant la semaine du 7 août 2023 et ses chroniques inadmissibles sur la santé mentale qu’elle ferait polémique. 

C’est ni plus ni moins une forme de “trumpisme” : la personne qui intervient sait pertinemment qu’elle n’a pas raison. En osant multiplier les désinformations, elle sait qu’elle déclenchera certes des levées de boucliers mais que, par ailleurs, elle sera de plus en plus invitée et interviewée car les polémiques qu’elle crée font de l’audimat et/ ou font vendre du papier. Et finalement, pour elle, c’est tout bénéfique : elle fait parler d’elle et même si elle est détestée par les uns, malgré toutes les contre-vérités qu’elle énonce, elle devient respectable et reconnue pour les autres et le grand public.  

Ce qui, finalement, demeure  incompréhensible : France Inter est la première radio écoutée de France et ne devrait pas avoir besoin d’adopter ce type de stratégies. Au contraire, beaucoup d’auditeurs risquent de moins faire confiance en cette radio avec cette affaire. 

3) La place de la science dans notre société.

Dès que les scientifiques ou les professionnels ayant eu une formation scientifique (chercheurs, psychiatres etc…)  interviennent pour dénoncer les désinformations et raccourcis de Caroline Goldman, ils sont injuriés de “sectaires”, “scientistes”, “extrémistes” sur les réseaux sociaux. Des accusations d”antisémitisme” ont même été formulées. 

 Le regard de Caroline Goldman sur la santé mentale passe pour “éclairé” (elle se présente elle-même ainsi ) alors que finalement c’est tout le contraire, c’est un retour de l’obscurantisme. 

Jamais le précepte de Socrate n’aura été si actuel : “Je sais que je ne sais rien”. Comme pendant la pandémie, pour les troubles du neuro-développement, faisons donc confiance aux psychiatres et  aux neuroscientifiques. Donnons- leur les moyens de faire leur travail correctement pour éviter le rejet, voire la diabolisation de leurs disciplines. Pour les TND, défendre la psychiatrie ne signifie pas que la psychologie n'a pas sa place dans les parcours de soin et que les facteurs socio-environnementaux ne doivent pas être pris en compte. 

Pour prolonger cette réflexion : cf. le numéro de L’Express, “Esotérisme, un essor inquiétant”, août 2023 : 

https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/esoterisme-linquietant-essor-MIY5LDSHDJDJJA3KCQPHFUZ44I/

4) La place de la psychanalyse dans les médias. 

Il me semble que la place importante de la psychanalyse dans les médias soit un problème très français. Dans le monde entier, à part quelques pays comme l'Argentine ou la Suisse, la psychanalyse est jugée comme dépassée, voire n'est plus du tout prise au sérieux. Concernant ce sujet,  je trouve les articles et analyses du Professeur Van Rillaer (qui a également un blog dans le Club Mediapart ) très pertinents ainsi que cet article paru il y a quelques années : 

https://www.afis.org/La-psychanalyse-et-les-medias

A lire également cet article plus récent publié dans L’Express :  

https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/pourquoi-la-psychanalyse-est-elle-si-influente-en-france-V67YUZKT7RCNJKWAQ46KTMBNS4/

Dans l’affaire Goldman, un problème majeur est, semble-t-il, que la directrice de France Inter, Adèle Van Reeth  paraît  elle-même aveuglée par sa propre pratique de la psychanalyse. Elle suit elle-même une analyse (voir son entretien avec le JDD en 2020, https://www.lejdd.fr/culture/adele-van-reeth-jaborde-lexistence-comme-un-aventurier-31989). C'est son droit mais cette pratique privée ne devrait pas l’amener dans le cadre de l'exercice de ses fonctions à cautionner des propos non respectueux des consensus scientifiques européens et mondiaux existants (en ce qui concerne le TDAH) et porteurs de désinformations sur une radio relevant du service public.

Un article de "La Croix"  de l'automne 2022 interrogeant le retour en force de la psychanalyse dans deux médias nationaux, France Inter et Le Monde, est particulièrement intéressant concernant le rôle joué par Adèle Van Reeth sur France Inter : https://www.la-croix.com/Deux-medias-nationaux-revisitent-psychanalyse-grand-public-2022-10-18-1301238422


Dans cet article, on comprend bien que la directrice de France Inter Adèle Van Reeth non seulement cautionne mais encourage cette forte présence de la psychanalyse dans la grille de programmes de sa radio, notamment avec la création du podcast interactif "L'inconscient", apparu sur France Inter fin août 20223, directement après sa nomination  au poste de directrice de la chaîne :


"Ce programme "répond à une demande", répliquait récemment sa créatrice, la philosophe Adèle Van Reeth, nouvelle directrice de France Inter, sur son antenne. Le "succès incroyable" de la série "En Thérapie" "a vraiment montré qu'après le confinement", dans une société en situation de "fragilité difficilement nommable, il y avait une envie et un besoin d'interroger les recoins plus intimes de l'âme", exposait-elle."


Dans cet article, on apprend également que la Médiatrice de Radio France, Emmanuelle Daviet, était déjà intervenue au sujet de cette place importante accordée à la psychanalyse, suite aux critiques qui lui avaient été adressées autour de la validité scientifique de cette discipline et l'alerte lancée par un psychiatre. La réaction de Mme Van Reeth est édifiante : "La science n'est pas un critère d'évaluation de la qualité d'un propos quand celui-ci n'est pas à proprement parler scientifique", a argué Adèle Van Reeth, interrogée par la médiatrice de Radio France, rappelant le caractère "transgressif depuis sa naissance" de la psychanalyse."

5) La réaction des élites. 

Là encore, il me semble que ce soit un problème propre à notre pays. Vivant depuis vingt ans également en Allemagne, pays où la démocratie est nettement plus participative qu’en France et où il n’y a pas cette culture des élites (ou en tous cas, beaucoup moins), je suis très surprise du mutisme des responsables de France Inter et de Radio France suite à cette polémique. Jusqu’à maintenant, alors que les associations (comme HyperSupers TDAH France ou TDAH Partout pareil ) se sont manifestées, qu’elles ont été interpellées par différentes voies, Mesdames Van Reeth et Veil se murent dans le silence et ce silence est parlant. 

Après les articles dans L’Express et la tribune de l’Obs et les nombreux signalements faits à la médiatrice de Radio France, la moindre des choses serait une mise au point, même brève ou la proposition d’un débat. Cette absence de réactions peut être interprétée de plusieurs manières : un manque de considération pour les auditeurs,et notamment les familles concernées et heurtées par les chroniques de Caroline Goldman ou tout simplement un manque de considération pour la question de la santé mentale. 

Face à cette passivité des autorités, voire leur mépris, finalement, pour nous défendre, nous les simples citoyens,  il ne nous reste que les recours garantis par l’état de droit qu'est la France  : le droit de porter plainte, le droit de demander un droit de réponse et le droit également d’exprimer publiquement son désaccord (notamment par le biais des réseaux sociaux qui, même s'ils amplifient le buzz, permettent également d’y répondre - l’affaire Goldman est également très révélatrice du rôle des réseaux sociaux dans notre démocratie ). 

Conclusion 

Tout comme le phénomène Raoult pendant la crise du Covid, l’affaire Caroline Goldman est révélatrice de l’évolution d’une société où le besoin, souvent narcissique, de faire le buzz l’emporte sur la vérité scientifique et l’intérêt général. Cette affaire interroge également le rôle qu’ont à jouer les médias (et notamment ceux relevant du service public) et les “élites” à une époque où la désinformation notamment médicale devient un danger non négligeable pour la santé de nos démocraties. 

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