On n'avance plus et il y a de quoi avoir le moral dans les chaussettes. Après douze semaines, des milliers de blessés et plus d'une dizaine de morts, pourquoi le gouvernement est-il en train de gagner la partie? Est-ce la faute à la désorganisation toute relative du mouvement des gilets jaunes? Peut-être bien, oui, mais il y a des facteurs bien plus déterminants. Déplorons-les.
Le gouvernement est en train de gagner car nos institutions interdisent en l'état toute remise en cause de la politique mise en place : tout et son contraire peut être voté à tout moment, que les caniveaux de nos rues charrient de l'eau ou bien le sang des manifestants... Tout est possible avec une bande de godillots semblables à ceux de la REM. Il paraît que ces individus viennent essentiellement du centre, centre gauche et de la société civile. Mais depuis quand le centre gauche est-il liberticide et autoritaire, au point de retirer aux juges la décision d'interdire de manifester, pour la confier aux préfets, incarnations régionales du gouvernement? Comment ces députés, qui ne représentent non pas le peuple mais l'idéologie libérale vendue par Macron lors de sa campagne, peuvent-ils d'être considérés comme des personnes responsables, doués d'une conscience ? Comment les respecter, quand on les voit soutenir l'usage d'armes invalidantes, le doigt sur la couture du pantalon, évangélisés par saint Macron ? Comment peuvent-ils prétendre à ce qu'on les prenne au sérieux dans leur rôle de parlementaire quand ils vont ainsi à l'encontre de la volonté des gens (la majorité de français qui n'encourage certainement pas la mutilation des manifestants).
Le gouvernement est en train de gagner la partie car il n'y a pas de parlement et par conséquent aucune concrétisation possible de la volonté du peuple. Il n'y a pas de parlement car les lois qu'on y vote aujourd'hui, à l'encontre du principe législatif fondateur de notre république, sont des lois votées par des privilégiés, pour des privilégiés, malheureusement contre le peuple (je retiendrais ici par commodité et sans y adhérer à 100%, la définition du peuple fournie par M. Onfray - "Le peuple, c'est ce sur quoi s'exerce le pouvoir"). Macron a rassemblé une caste à laquelle il a offert une religion qui est un mélange de dégagisme (le vieux monde) et d'efficacité, religion selon laquelle on fait en même temps ce qui est de droite et de gauche, si c'est bon pour le marché! On cesse d'être partisan, on devient intelligent, voici le produit vendu par Macron candidat - ah la terrible farce ! Cette religion a pour dieu le marché, l'économie libérale, la liberté d'entreprendre en dépit de toute autre considération, fut-elle sociale ou écologique. Et, cerise sur le gâteau, la partie parlementaire de cette caste, honte à elle, applaudit les forces de l'ordre au moindre signal de leur abruti en chef, gazeur et éborgneur hebdomadaire, mais ne daigne pas se lever en hommage aux victimes GJ. Honte à eux, pour l'éternité !
Le gouvernement est en train de gagner parce que la presse fait partie de cette caste. Ou plutôt - puisque "la presse" ne signifie rien de précis - le gouvernement est en train de gagner car les éditocrates et journaleux vedettes de cette presse constituent et étayent la caste qui se révèle, à la lumière de leurs interventions, être une oligarchie (par définition: un groupe à son service exclusif au détriment du bien commun). Tous ces affreux commentateurs, ces parasites de l’interconnexion planétaire de l'information, ces connaisseurs de tout, chient dans leur froc. Ils savent que si les GJ emportent le morceau, ils chuteront de leur piédestal et seront relégués au rang de seconds couteaux. Quoi d'autre que la peur peut en effet pousser ces personnes, en général plutôt très éduquées, à prononcer des mensonges aussi énormes et des interprétations aussi tranchées (voyez Truchot sur BFM, s'égosillant, tout rouge, répétant comme un perroquet des éléments de langage que les "foulards rouges" ne renieraient pas). Comment peut-on relayer avec un tel aplomb les chiffres du ministère de l'intérieur, et en déduire quoi que ce soit, quand on sait pertinemment qu'ils sont faux, si ce n'est parce qu'on veut soi-même participer à la vaste opération permanente de désinformation des masses, à la manipulation des esprits. Comment est-ce possible autrement que sous l'effet de la peur?
Comment peut-on mettre en avant, sans relâche, pendant des semaines, les violences subies par les commerçants et les policiers, tout en ignorant (au mieux en minimisant) les blessures subies par les manifestants. Comment peut-on, sourire au lèvres, servir toutes les 30 minutes la propagande gouvernementale (Les émeutiers, les factieux, les rouge-bruns, les casseurs ...), et l'asséner avec autant de détermination et de constance sans en être convaincu soi-même?
Le gouvernement est en train de gagner la partie car il sait jouer de tous les égoïsmes et les encourager dès que nécessaire. Routiers, agriculteurs, policiers sont autant d'alliés potentiels qui ont déserté le champ de bataille après avoir été achetés, parce qu'ils étaient achetables. Les petits réflexes corporatistes et syndicalistes (nous, on a obtenu ça, nous sommes les meilleurs, adhérez ! votez pour nous!) ont triomphé sans combattre face à un gouvernement complaisant et tacticien. Il ne reste plus que les GJ, dans toute leur diversité, que rien jusqu'ici n'avait incarné et qui à présent ne sont représentés que par eux-mêmes. Cette diversité est une aubaine pour les adversaires du mouvement et son contempteur en chef. Identifier une opinion ou position individuelle, parmi ces GJ, à la doctrine du mouvement tout entier, rien n'est plus simple: il suffit de décider à la faveur d'un fait divers, quel trait négatif on souhaite mettre en avant: on ajoute alors une petite phrase au florilège gouvernemental, la presse servile et apeurée s'active ensuite et le tour est joué: les gilets jaunes virent ainsi ainsi au rouge ou au noir, en passant par toutes les variantes intermédiaires. A la décharge de la presse, on admettra qu'elle n'échappe pas aux manipulations.
Le gouvernement est en train de gagner parce que tous ses soutiens participent au grand débat: ils sont en train de gagner parce que parlant entre eux ils font croire que l'ensemble des français débattent. Ainsi, soit dit en passant, si vous créez une réunion pour échanger entre gilets jaunes, alors vous participez au succès du grand débat (500.000 propositions et 3300 réunions à l'heure actuelle), puisque seuls comptent ces chiffres. Foutaise, évidemment, puisqu'on ne pourra juger du succès du grand débat qu'à ces effets positifs sur l'amélioration de la situation globale de notre pays, tant sur le plan social, écologique que démocratique. Mais on connaît déjà l'issue: seuls les plus romantiques font encore semblant d'espérer.
Le gouvernement est en train de gagner parce qu'il va aller jusqu'à dévoyer le référendum tel que prévu par nos institutions. Oui, Macron va nous donner la parole...sur plusieurs questions, soyez en sûrs, sans quoi, il est mort ! N'oubliez pas que Macron a dit lui-même qu'il ne proposerait jamais la sortie de l'UE à un référendum, car il connaissait déjà la réponse - à savoir une sortie de l'UE (ce qui sous-entendu, ne lui convenait pas). Attendez-vous à répondre correctement à une liste de propositions auxquelles la majorité a toujours été favorable (Le vote blanc, la réduction du nombre de parlementaires, etc... bref des trucs de ce genre). Le gouvernement va gagner car la majorité va répondre oui. Macron pourra alors s'envelopper de toutes les vertus démocratiques d'un référendum sans jamais avoir réellement permis l'expression du peuple, et le tour sera joué! Et d'ici là, il n'y aura plus de gilets jaunes. Voilà, le gouvernement va gagner car il assume progressivement l'autoritarisme, la violence et la désinformation comme méthode d'exercice du pouvoir. Il a compris que la fable de la mondialisation heureuse ne passait plus; il a compris que les peuples ne pouvaient plus supporter les méfaits de la globalisation économique et du libre échange. Il a compris qu'il pouvait et devait utiliser, étant omnipotent, tous les moyens nécessaires à la survie d'une doctrine économique qui consiste en l'asservissement des hommes et dont fort logiquement la majorité ne veut plus.
Voilà, le gouvernement a gagné car on ne voit aucune issue au piège qui nous est tendu depuis si longtemps déjà.
Voilà, le gouvernement à gagné : il est parvenu au plus infâme des résultats: montrer à certains (qui se croyaient à l'abri de ça et dont je suis) qu'ils peuvent dans certains cas être traversé par une telle colère qu'ils pourraient en devenir violents. Il ne faut pas, surtout pas, céder à ça. En attendant: certains ont faims, d'autres se gavent, la planète part en couille. Moral en berne.