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Billet de blog 5 juillet 2024

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Taxer les milliardaires : un antidote politique face à la montée de l'extrême droite

L'extrémisme et la polarisation se renforcent, en particulier en Europe, en Amérique latine et aux États-Unis. La montée de l'extrême droite a déstabilisé la scène politique en France et en Allemagne. Une nouvelle alliance de partis d'extrême droite espère devenir le plus grand groupe de droite dure au Parlement européen.

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Taxer les milliardaires : Un antidote politique face à la montée de l'extrême droite

Par Magdalena Sepúlveda (*)

L'extrémisme et la polarisation se renforcent, en particulier en Europe, en Amérique latine et aux États-Unis. La montée de l'extrême droite a déstabilisé la scène politique en France et en Allemagne. Une nouvelle alliance de partis d'extrême droite espère devenir le plus grand groupe de droite dure au Parlement européen. 

Pour contrer cette menace existentielle pour la paix sociale, les gouvernements doivent investir dans des services publics de qualité tels que l'éducation, la santé et les infrastructures qui font une réelle différence dans la vie des citoyens.

Aujourd’hui, le dilemme le plus important pour la démocratie est donc de savoir comment lever des fonds. La réponse est simple : il faut aller chercher l'argent là où il se trouve, dans les mains des grandes multinationales et des super-riches qui sont experts dans l'art de le dissimuler pour éviter de payer leur juste part d'impôts.

La bonne nouvelle : l'idée d'un impôt minimum mondial sur les ultra-riches fait son chemin. Ce n'est pas seulement la bonne chose à faire, c'est aussi la chose populaire à faire, comme le montrent de récents sondages. Une enquête menée par l'initiative Earth4All auprès de 22 000 citoyens des plus grandes économies du monde montre qu'une écrasante majorité des personnes interrogées au sein du G20 (68 %) est favorable à une augmentation de l'impôt sur les riches pour financer des changements significatifs dans l'économie et la qualité de vie.

Un autre sondage, commandé par Patriotic Millionaires, une ONG d’Américains fortunés, a révélé que plus de 60 % des personnes interrogées considéraient l'augmentation des inégalités comme une menace pour la démocratie. Une majorité (62 %) des 800 adultes interrogés disposant d'un patrimoine supérieur à 1 million de dollars - à l'exclusion de leur logement - sont favorables à une norme internationale d’imposition des super-riches.

En d'autres termes, le sentiment que le système international actuel est dépassé, injuste et qu'il encourage les puissants à pratiquer la fraude et l'évasion fiscales est largement répandu.

La récente proposition de la présidence brésilienne du G20 de négocier une norme mondiale d’au moins 2 % d’imposition sur les super-riches, soit quelque 3 000 personnes, a ravivé l'attention portée à cette question. Dans cette optique, le professeur Gabriel Zucman, mon collègue à la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), a vient de publier un rapport commandé par la présidence brésilienne du G20 et intitulé « Plan directeur pour un impôt minimum coordonné sur les personnes très fortunes » . Publié avant le sommet des ministres des finances du G20 en juillet, le rapport propose des idées pour la mise en œuvre d'un tel impôt, soutenue également par l'Espagne, la France et l'Afrique du Sud, entre autres.

Même le dernier sommet du G7 en Italie s'est engagé à travailler avec le Brésil pour faire avancer la coopération internationale sur cette question. « Nous continuerons à travailler de manière constructive avec la présidence brésilienne du G20 pour faire progresser la coopération internationale. Nous nous efforcerons d’accroître nos efforts en faveur d’une fiscalité progressive et équitable pour les particuliers », indique le communiqué des dirigeants du G7, le 15 juin 2024.

Il y a dix ans dejá, plusieurs scandales d'abus révélés par des lanceurs d'alerte, tels que les Panama Papers, Luxleaks et les Pandora Papers, ont ouvert les yeux des citoyens du monde entier et ont conduit le G20/OCDE à lancer le processus de réforme qui a abouti à la "solution des deux piliers". Cette proposition stipule que les plus grandes entreprises multinationales doivent payer des impôts là où elles opèrent (pilier un) et propose un taux d'imposition minimum global des sociétés de 15 % (pilier deux).

Il s'agit d'une proposition visant à ce que les plus grandes entreprises multinationales paient des impôts partout où elles opèrent (premier pilier) et à ce qu'il y ait un taux global minimum d'imposition des sociétés de 15 % (deuxième pilier).

Si cette solution a permis de faire avancer une réforme progressive, le résultat est loin d'être favorable aux pays en développement. Désabusés par ces résultats négatifs et par les manipulations des économies avancées au cours du processus de négociation, les pays ont décidé de porter le débat devant les Nations unies.

En novembre dernier, l'Assemblée générale des Nations unies a voté massivement en faveur d'une résolution proposée par l'Union africaine, initiant des négociations pour la mise en place d'une convention-cadre des Nations unies sur la coopération fiscale internationale. Un comité intergouvernemental ad hoc est chargé d'élaborer les termes de référence de ce nouvel organe, d’ici le mois d’août.

Les négociations progressent également en Amérique latine. Les vents favorables à la coordination fiscale régionale ont conduit à la création d'une plate-forme de coopération fiscale régionale pour l'Amérique latine et les Caraïbes (PTLAC), que le Chili préside cette année.

Si cette tendance croissante à la coopération fiscale se poursuit dans la bonne direction, les pays en développement pourraient disposer des ressources nécessaires pour investir dans de meilleurs services publics et relever les défis mondiaux tels que l'urgence climatique (le mois de mai dernier a été le plus chaud jamais enregistré et le douzième mois consécutif de températures record pour la planète). Ces phénomènes doivent être traités de toute urgence en investissant dans les services publics.

Malheureusement, des décennies de privatisation et de commercialisation ont détérioré les services publics et exacerbé les inégalités. Nous devons inverser cette tendance en augmentant la mobilisation des ressources nationales par le biais de la coopération fiscale promue par le Brésil au G20 et par l'Union africaine aux Nations unies.

C'est peut-être le seul espoir pour les économies émergentes, accablées par une dette insoutenable et une inflation incontrôlée, d'obtenir les ressources dont elles ont besoin pour répondre aux demandes de la société. En imposant de façon équitable les multinationales et les ultra-riches, il est possible de générer les fonds nécessaires. Cela renforcera la cohésion sociale et fournira les outils nécessaires pour surmonter les menaces qui pèsent sur nos démocraties.

Des services publics de qualité sont le fondement d'une société qui fonctionne et le principal outil pour relever les défis mondiaux et susciter des changements significatifs. Investir dans ces services peut fournir à la société un antidote efficace contre les menaces de l'extrémisme et du populisme, préservant ainsi notre avenir.

(*) Magdalena Sepúlveda est directrice exécutive de l'Initiative mondiale pour les droits économiques, sociaux et culturels (GI-ESCR). Elle est également membre de la Commission indépendante sur la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT). Elle a été rapporteur spécial des Nations unies sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme.

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