Mahad Hussein Sallam

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Billet de blog 4 août 2025

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Mémoires confisquées : trier les douleurs, trahir l’universel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une mémoire sous influence : penser la justice au prisme du souvenir

« Plus jamais ça. » Cette injonction née de la Shoah s’est imposée comme un impératif moral universel. Gravée dans les musées, répétée dans les discours, elle prétend empêcher la répétition du pire. Mais que vaut cette promesse si elle ne protège que certains, et justifie les souffrances des autres ?

La mémoire, loin d’être un sanctuaire, est un champ de bataille. Elle éclaire ou elle occulte. Elle peut prévenir, ou dissimuler. Lorsqu’elle devient instrumentalisée, elle cesse d’être un devoir pour devenir un levier de domination.

Le philosémitisme comme talisman moral : entre devoir de mémoire et aveuglement politique

Ivan Segré écrivait : « Le philosémitisme est la meilleure manière de ne plus être antisémite, tout en continuant à dominer. » Le philosémitisme d’État transforme la mémoire de la Shoah en absolu moral. Toute critique d’Israël devient suspecte. La confusion entre judaïsme, sionisme et État se fait arme de domination.

À Gaza, plus de 60 000 morts, des enfants dénutris, des journalistes tués, des hôpitaux détruits. Et un silence médiatique effrayant. Human Rights Watch, ONU, MSF alertent : usage de la famine, bombardement d’infrastructures civiles, crimes de guerre. Pourtant, dénoncer ces faits, c’est risquer l’accusation d’antisémitisme.

Une mémoire hiérarchisée : Gaza, Rwanda, Yémen, Congo et Namibie

Le Rwanda, 1994 : 800 000 Tutsis massacrés. Des alertes ignorées. Une complicité passive de puissances occidentales. En France, les archives révèlent une proximité avec les génocidaires. Ce génocide est toujours absent des manuels.

Le Yémen, depuis 2015 : 370 000 morts. Bombes françaises, britanniques, américaines. Choléra, famine, silence. Aucun musée, aucune journée de commémoration. A nos jours des millions d enfants sont encore menaces par la famine et les multiples epidemies selon les organisations internationales. 

Le Congo de Léopold II : plus de 10 millions de morts pour le caoutchouc. Mains coupées, villages incendiés. Silence encore, un siècle plus tard. En 2020, le roi Philippe exprime des "regrets", mais sans excuses officielles, sans réparations.

Herero et Nama : le génocide inaugural du XXe siècle

En Namibie, entre 1904 et 1908, les Allemands exterminent 80 % des Herero et 50 % des Nama. L' ordre officiel du général von Trotha, octobre 1904 : « Tout Herero trouvé à l’intérieur de la frontière allemande, avec ou sans arme, avec ou sans bétail, sera fusillé. »                                          Camps de concentrations, viols, expériences médicales. Les crânes sont envoyés à Berlin pour des études raciales. La reconnaissance de 2021 reste symbolique. Pas de réparations, pas de mémoire partagée, pas d attention particuliere tant que cela se passe sur un autre continent.

Un historien namibien résume : « Le génocide Herero est le chaînon manquant entre l’impérialisme du XIXe siècle et le nazisme. » Mais l’Europe n’a rien retenu. Le crime a été effacé de l’histoire commune.

Géopolitique du souvenir : à qui profite la mémoire ?

Certaines douleurs sont sacralisées, d’autres rejetées. Israël bénéficie d’un capital mémoriel unique, lié à la Shoah et à l’ordre postcolonial. Ce capital sert aussi de bouclier géopolitique.

La mémoire devient outil d’oubli. Auschwitz est enseigné, Sabra et Chatila sont tus. Le philosémitisme n’est pas amour des Juifs : c’est l usage stratégique de leur histoire. Un diplomate européen l’admet : « Reconnaître Gaza comme tragédie humaine, ce serait délégitimer notre alliance avec Israël  C’est politiquement impensable. ».

La mémoire historique n’est jamais neutre. Elle est hiérarchisée, instrumentalisée, calibrée selon des intérêts géopolitiques. En Occident, certaines souffrances sont sanctifiées, d’autres, tues ou reléguées.

Israël bénéficie aujourd’hui d’un capital mémoriel sans équivalent. Cela s’explique bien sûr par l’horreur de la Shoah, mais aussi par le contexte stratégique dans lequel cette mémoire a été reconnue : celui d’un monde post-impérial, où les puissances occidentales redessinaient les contours de leur influence. La mémoire de l’extermination juive est devenue, en parallèle d’une reconnaissance éthique, une caution morale pour une nouvelle architecture d’alliances au Moyen-Orient.

Cette équation brutale éclaire une vérité dérangeante : la mémoire de certains peuples est protégée, car elle sert des intérêts. Celle des autres est effacée, car elle les dérange.

On commémore Auschwitz, mais pas Sabra et Chatila. On criminalise le négationnisme des crimes Nazi mais on relativise les morts à Rafah. La mémoire devient un outil de diplomatie, une arme de sélection morale.  Pétrole, gaz, matieres premieres, géopolitique et intérêts stratégiques : voilà, hélas, les véritables titres sous lesquels s’écrivent bien des tragédies humaines, que l on reconnait ou que l on nies. 

Le philosémitisme contre le judaïsme ?

Gideon Levy déclare : « Israël ne protège pas l’héritage moral du judaïsme, il le trahit. » L’usage sacré de la mémoire empêche toute critique. Dominique Vidal : « Les autres génocides deviennent secondaires. » Annette Wieviorka : « Nous avons figé la souffrance juive dans une sacralisation. ».  Le philosémitisme devient un piège. 

Des penseurs de confession juive comme Ilan Pappé, Norman Finkelstein, Marc Ellis dénoncent la confusion entre judaïsme et colonialisme. Pour eux, c’est la fidélité à l’éthique juive qui commande de s’opposer aux oppressions, même lorsqu’elles sont perpétrées par un État se réclamant du judaïsme.

Et si l’excès d’amour apparent devenait une autre forme de trahison ? C’est ce que dénonce Gideon Levy, journaliste israélien :  « Israël ne protège pas l’héritage moral du judaïsme, il le trahit. »
L’instrumentalisation de la Shoah sert aujourd’hui à sanctuariser un État qui bombarde, colonise et discrimine. Cette sacralisation crée une hiérarchie implicite des douleurs.


Le Résultat devient en toute evidence que toute critique d’Israël devient suspecte. La mémoire devient un bouclier idéologique. Comme le souligne si bien Dominique Vidal : « Le risque c’est que les autres génocides deviennent des tragédies de second ordre. »

Le philosémitisme moderne, admiration excessive, intouchabilité politique, ne protège plus les Juifs, il les enferme dans un rôle d’icône sacrée au service d’un pouvoir.
Abel Herzberg l’avait dit avec acuité : « Il y a deux sortes d’antisémites : ceux qui nous haïssent, et ceux qui nous aiment trop. »

Gideon Levy dénonce aussi un État juif devenu racial, inégalitaire, exclusif. Il n’est pas le seul. D’autres penseurs juifs, Ilan Pappé, Norman Finkelstein, Avraham Burg, tirent sur  la même sonnette d alarme : confondre judaïsme et sionisme, c’est nuire à tous. Alors que Marc Ellis conclut : « La seule manière d’honorer la mémoire juive, c’est de se tenir aux côtés des opprimés, pas des oppresseurs. »

une mémoire universelle ou rien

La mémoire ne doit pas trier les morts. Elle ne doit pas légitimer l’oubli des vivants. Elle doit désarmer les récits, accueillir toutes les douleurs, enseigner toutes les tragédies.

Ce texte est un appel. Enseigner le génocide rwandais, les massacres coloniaux, la famine à Gaza, le sort du Yemen, avec la même solennité que la Shoah. Non pour relativiser, mais pour universaliser.

Faire du « plus jamais ça » non pas un simple slogan vider de son sens, mais une exigence réelle. Car une mémoire sélective est toujours le prélude à d’autres violences. L’universalisme commence quand la mémoire cesse d’être une arme. « Une mémoire qui trie les morts finit toujours par justifier les vivants qui tuent.»

Mahad Hussein SALLAM

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