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Billet de blog 10 août 2025

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Incendie de l’Aude

Début août 2025, l’Aude s’est embrasée : 17 000 hectares dévastés, une femme morte, vingt-quatre blessés, des dizaines de maisons détruites. Face à ces “méga-feux” amplifiés par la chaleur et le vent, nos défenses vacillent. Le bilan est sévère, l’avertissement clair : combien de drames avant d’agir ?

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Chronique d’un désastre annoncé

Par Mahad Hussein SALLAM

Début août 2025, l’Aude s’est embrasée. En quelques jours, plus de 17 000 hectares sont partis en fumée, réduisant en cendres forêts, vignobles et habitations. Un drame humain,  une femme décédée, vingt-quatre blessés, un choc matériel, des dizaines de maisons détruites, et un avertissement cinglant : face aux “méga-feux”, nos défenses vacillent. Dans le sillage des flammes, se dessine un bilan sévère, mais aussi une question : que nous faudra-t-il encore pour agir à la hauteur du danger ?

L’Aude en flammes : la semaine où tout a basculé

Il est environ 14 heures, ce lundi 4 août 2025, quand les premières volutes de fumée s’élèvent au-dessus des collines sèches de l’arrière-pays audois. La tramontane souffle en rafales, jusqu’à 50 km/h, et la terre craque sous la chaleur. La veille, le mercure flirtait déjà avec les 40 °C. La sécheresse, persistante depuis des mois, a transformé la végétation en un immense bûcher.

En quelques heures, l’alerte locale devient nationale. Les flammes gagnent les vignes, dévorent les bois, frôlent les maisons. Des centaines d’habitants sont évacués dans la précipitation. Les sirènes hurlent, les Canadair se succèdent au-dessus des villages, mais le feu court plus vite que les secours.

« Ce n’est plus un incendie, c’est une bête sauvage », lâche, la voix brisée, un pompier volontaire croisé à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, le regard fixé sur la ligne de feu.

Les images diffusées le soir même sur les réseaux sociaux choquent : murs de flammes léchant les façades, nuages de cendres obscurcissant le ciel, viticulteurs arrosant en vain leurs rangées pour sauver ce qui peut l’être. Dans l’Aude, la peur a pris la forme d’une lumière orange et suffocante.

Un bilan humain et matériel accablant

Au fil des jours, les chiffres s’accumulent, chacun ajoutant une couche au désastre.

  • Superficie détruite : plus de 17 000 hectares, dont 800 à 900 hectares de vignes, un coup dur pour l’économie locale et le patrimoine viticole.
  • Victimes : 1 mort,  une femme de 65 ans retrouvée dans sa maison calcinée à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse  et 24 blessés, dont 2 en urgence absolue. Parmi eux, 19 pompiers.
  • Habitat détruit : 36 habitations, 54 véhicules, 18 hangars et 3 chalets réduits en cendres.
  • Moyens mobilisés : jusqu’à 2 500 pompiers venus de toute la France, appuyés par 9 Canadair, 5 avions Dash, et des dizaines d’engins terrestres.

Les témoignages affluent : un agriculteur qui a perdu tout son cheptel, une famille hébergée d’urgence dans un gymnase, des pompiers qui ont dû plonger dans une piscine pour échapper aux flammes.

« On a tout perdu. La maison, les vignes, les outils… Il ne reste plus rien. C’est comme si on avait arraché notre vie à la racine », confie Jean-Marc, viticulteur à bout de larmes.

Le feu est aujourd’hui fixé mais non éteint. Les autorités maintiennent une surveillance accrue : une reprise est toujours possible, surtout avec la sécheresse et le vent. Les massifs forestiers resteront fermés jusqu’au 10 août inclus.

Le feu sous la loupe : comprendre l’embrasement

Si le déclenchement exact de l’incendie reste sous enquête, une imprudence humaine est évoquée mais non confirmée, son amplification, elle, ne doit rien au hasard. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour transformer un départ de feu en “méga-feu”.

La canicule comme accélérateur
Les températures extrêmes de début août, supérieures à 39 °C dans l’Aude, ont asséché les sols et réduit à néant toute humidité résiduelle. La canicule n’a pas seulement fragilisé la végétation : elle a créé un environnement explosif où la moindre étincelle pouvait se transformer en brasier.

Le vent comme carburant
La tramontane, implacable, a propulsé les flammes sur plusieurs kilomètres en quelques minutes. Les pompiers parlent d’une propagation « horizontale et verticale », les foyers sautant de colline en colline, franchissant routes et champs en une poignée de secondes.

Un terrain vulnérable
L’Aude, riche en massifs boisés et en vignobles, offre au feu un combustible continu. À cela s’ajoute une urbanisation diffuse, avec de nombreuses habitations construites en bordure de zones naturelles, souvent sans périmètres coupe-feu suffisants.

La limite des dispositifs actuels

Malgré la mobilisation massive, les pompiers et les moyens aériens ont été confrontés à leurs propres limites.

Une course perdue contre la vitesse du feu
À plusieurs reprises, les secours ont dû renoncer à défendre certaines habitations, faute de pouvoir sécuriser les abords à temps. L’ennemi était trop rapide, et le front trop large : jusqu’à 15 kilomètres par endroit.

Des réseaux fragiles
Les coupures d’électricité et d’eau, survenues dès le deuxième jour, ont paralysé certaines zones. Privés de pompes, les habitants ne pouvaient plus humidifier leurs terrains. Les coupures ont aussi affecté les moyens de communication, compliquant la coordination.

Le coût humain pour les secours
Avec 19 pompiers blessés, dont plusieurs par brûlures graves ou inhalation de fumées, l’incendie rappelle que l’engagement physique des soldats du feu atteint ses limites face à ce type d’événement. La fatigue, la chaleur extrême et la dangerosité du terrain amplifient les risques.

Climat : le chaînon manquant

L’embrasement de l’Aude n’est pas un accident isolé : il s’inscrit dans une tendance lourde. Les “méga-feux” se multiplient sur le pourtour méditerranéen, et la France n’est plus épargnée.

Selon Météo-France, la fréquence des vagues de chaleur a triplé depuis les années 1980. L’été 2025 pourrait être l’un des plus secs depuis le début des relevés modernes.
Les prévisionnistes rappellent que 53 départements sont actuellement touchés par un épisode caniculaire, dont 12 en alerte rouge, des demain matin. Les records de températures tombent les uns après les autres, et avec eux, les illusions : l’Hexagone est désormais pleinement exposé au risque climatique.

« Les conditions que nous observons aujourd’hui dans l’Aude sont comparables à celles de la Grèce ou du Portugal il y a dix ans. La différence, c’est que cela devient la norme », prévient un climatologue du CNRS.

Les enseignements politiques d’un brasier

L’incendie de l’Aude est plus qu’un drame local : c’est un révélateur. Il expose, en creux, les failles de notre système de prévention et d’anticipation face aux catastrophes naturelles aggravées par le changement climatique.

Une culture du risque encore balbutiante
Dans plusieurs communes, des habitants ont refusé d’évacuer, préférant                  « défendre leur maison » plutôt que de suivre les consignes. Ce réflexe, compréhensible sur le plan affectif, met pourtant en danger les secours et retarde les opérations.
En France, la culture du risque reste faible. Les campagnes d’information sont sporadiques, souvent cantonnées à des brochures distribuées en mairie ou à des messages diffusés après coup, lorsque le danger est déjà là.

Une prévention en retard d’un train
Les zones les plus exposées manquent encore de pare-feu, d’entretien régulier des bois et de zones tampons entre forêts et habitations. Les associations environnementales dénoncent depuis des années un sous-investissement chronique dans la prévention, jugée moins “visible” politiquement que la gestion de crise.

Coordination nationale: le double visage
Le renfort rapide des colonnes de pompiers venues d’autres régions et l’usage massif des avions bombardiers d’eau ont montré l’efficacité d’une réponse nationale. Mais cette efficacité reste réactive : la stratégie française n’a pas encore intégré le fait que ces incendies ne sont plus exceptionnels, mais potentiellement récurrents chaque été.

L’ombre portée du changement climatique

Cet incendie n’est pas une simple “catastrophe naturelle” : il est un symptôme.
Les scientifiques sont clairs : la multiplication des épisodes caniculaires et la sécheresse prolongée créent des conditions idéales pour des feux incontrôlables.
En 2022, le gouvernement avait promis un plan national de lutte contre les incendies incluant renforcement des effectifs, modernisation des moyens aériens et mesures de prévention renforcées. Trois ans plus tard, beaucoup de ces engagements n’ont pas dépassé le stade de l’annonce.

L’effet domino
Un incendie de cette ampleur n’endommage pas seulement l’environnement : il provoque des pertes agricoles durables, fragilise l’économie locale, accentue l’érosion des sols et multiplie les risques d’inondations lors des prochaines pluies.
Dans l’Aude, des viticulteurs parlent déjà de millésimes sacrifiés et de parcelles irrécupérables.

Un électrochoc nécessaire

L’Aude rejoint désormais la longue liste des territoires meurtris par le feu : la Gironde en 2022, le Var en 2021, la Corse en 2023… Cette répétition dramatique doit cesser d’être abordée comme une série de crises indépendantes les unes des autres. Elle doit devenir l’élément central d’une politique publique d’adaptation au climat.

Investir massivement dans la prévention
Cela implique des budgets pérennes pour débroussailler, créer des zones tampons, renforcer les réseaux d’eau, et former la population.
Les experts rappellent qu’un euro investi en prévention permet d’économiser entre 4 et 7 euros en gestion de crise et en réparation des dommages.

Repenser l’aménagement du territoire
Limiter la construction en zones à risque, imposer des matériaux résistants au feu, et intégrer la prévention incendie dans chaque plan d’urbanisme : autant de décisions qui nécessitent un courage politique à long terme.

Tirer les leçons d’un brasier

L’incendie de l’Aude n’est pas un épisode isolé dans un été caniculaire : c’est un avertissement.
En quelques jours, il a condensé les fragilités structurelles de ce pays face aux catastrophes climatiques : prévention insuffisante, aménagement du territoire inadapté, culture du risque déficiente, et réponse encore trop centrée sur l’urgence plutôt que sur l’anticipation.

Le feu comme révélateur
Si la mobilisation héroïque des pompiers, des bénévoles et des riverains a permis d’éviter un bilan humain plus lourd, elle ne saurait masquer l’essentiel : la France n’est pas prête. Chaque été, nous réapprenons à la dure que les incendies ne sont plus un aléa rare, mais une menace structurelle, renforcée par des vagues de chaleur et une sécheresse persistante.

Trois enseignements majeurs se dégagent :

  1. Anticiper : investir dans la prévention, adapter les forêts, les réseaux et les habitations, créer une culture du risque dès l’école.
  2. Coordonner : mettre en place un véritable commandement national du risque incendie, capable d’anticiper les crises et de déployer rapidement des moyens massifs.
  3. S’adapter : intégrer dans toutes les politiques publiques l’augmentation des risques liés au climat, qu’il s’agisse d’urbanisme, d’agriculture ou de protection civile.

Un été qui ne fait que commencer

Alors que l’Aude panse ses plaies, le reste du pays suffoque. La canicule annoncée touche désormais 53 départements, dont 12 en alerte rouge. Les cartes météo affichent des températures record, et les bulletins d’alerte s’enchaînent.
Le réchauffement climatique n’est plus une hypothèse : il est là, mesurable, palpable, destructeur.

Face à cela, une question demeure, brûlante :

Est-il enfin temps de prendre, sérieusement, les mesures que nous repoussons depuis trop longtemps ?

Car si nous n’agissons pas maintenant, les incendies de demain ne seront pas seulement plus fréquents et plus violents,  ils deviendront notre nouvelle normalité.

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