psychanalyse d’un Messie en quête de canonisation
Par Mahad Hussein SALLAM
À la veille du sommet Trump-Poutine en Alaska, enquête sur l’obsession du président américain pour le Nobel de la Paix.
Dans l’ombre d’Oslo
C’est un matin gelé sur la planète Trump. L’air sent le kérosène et la revanche. À Washington, la Maison Blanche n’a plus de murs blancs mais des reflets dorés, tant la communication présidentielle sature l’espace médiatique. Dans cette Amérique réinventée à son image, Donald Trump ne gouverne pas : il scénarise.
Depuis des mois, l’obsession prend forme. Elle n’a ni frontières ni idéologie. Elle s’appelle Nobel. Pas n’importe lequel : celui de la paix. Une distinction qu’il convoite comme on convoite un héritage. Comme une succession de son propre mythe, un certificat officiel de grandeur.
Pour y parvenir, il orchestre un théâtre global : annonces improvisées, rencontres “historiques”, embrassades calculées. La paix, pour lui, n’est ni un processus ni un idéal, c’est un décor. Le monde n’est qu’un plateau. Les drapeaux sont des accessoires. Les peuples, des figurants dans un scénario où il joue le Messie incompris.
À Oslo, on feint de ne rien entendre. Mais l’écho de ses pas résonne jusque dans la salle où, le 10 octobre, le comité Nobel rendra son verdict. Entre-temps, il y aura l’Alaska, Poutine, et des caméras. Beaucoup de caméras.
Anchorage, veille d’un sommet “historique”
Demain, 15 août 2025, les yeux du monde se tourneront vers Anchorage, Alaska. Officiellement, ce sera un sommet historique entre Donald Trump et Vladimir Poutine, destiné à trouver une issue à la guerre en Ukraine. Officieusement, ce sera surtout un acte supplémentaire dans la pièce maîtresse que Trump joue depuis son retour à la Maison Blanche : la quête effrénée du prix Nobel de la Paix.
Dans les rues glacées de la ville, les drapeaux américains et russes flottent côte à côte, sous un ciel bas. Les journalistes, emmitouflés, répètent leurs lancements devant les hôtels où logeront les délégations. Dans l’un d’eux, Trump se prépare, pas seulement pour négocier, mais pour capturer l’instant qui fera la une.
Depuis des semaines, il a multiplié les signaux : appels enflammés sur Truth Social pour « arrêter le bain de sang », alors qu a Gaza le massacre continu, proposition d’“échanges de territoires” entre Kiev et Moscou, promesses de “paix rapide”. Les chancelleries européennes s’inquiètent, Kiev grince des dents, mais Trump avance, imperturbable. Ce sommet, le premier tête-à-tête avec Poutine depuis 2019, n’est pas seulement une rencontre géopolitique : c’est un décor taillé pour Oslo, une scène calibrée pour inscrire son nom au panthéon Nobel.
Le fantasme du Nobel : revanche œdipienne et storytelling plaqué or
Tout commence en 2009. Barack Obama reçoit le prix Nobel de la Paix à peine installé à la Maison Blanche. Pour Trump, c’est une gifle mémorielle, une blessure d’ego qui ne cicatrisera jamais.
“Il n’a rien fait. Moi, j’ai fait la paix au Moyen-Orient. Je mérite ce prix dix fois plus.” – Donald Trump, Fox News, 2020
À Mar-a-Lago, lors de dîners arrosés à la Diet Coke, il ressasse cette injustice. Le Nobel devient un objectif stratégique, presque une entreprise familiale. Comme on achète un immeuble de prestige, Trump veut acquérir une reconnaissance éternelle. Peu importe que la paix soit partielle, fragile, ou purement cosmétique : dans sa logique, ce qui compte, c’est l’histoire qu’on raconte et l’image gravée sur les plaques commémoratives.
Psychanalyse d’un ego : le père, le vide, le moi surdimensionné
Fred Trump, patriarche impitoyable, inculque à son fils l’idée que l’amour se mérite uniquement par la victoire. Dans ce schéma, chaque succès est une validation affective, chaque revers une honte.
“Il a grandi dans un monde où la seule émotion acceptable était la victoire.” dira Mary Trump, psychologue et nièce de Donald
Dès lors, le Nobel devient le substitut ultime au regard paternel : un trophée qui scellerait, une fois pour toutes, sa domination sur le récit mondial. Non pas tuer le père, mais le surpasser dans l’arène symbolique et a titre postume.
Diplomatie Trumpienne : missiles, deals et mises en scène
Palm Beach, un soir a 22h. Trump observe une carte du Moyen-Orient.
“Tu vois ces accords ? Ils valent un Nobel.”
Les accords Abraham, vendus comme une révolution, ont surtout aligné des intérêts économiques et militaires. Les Palestiniens étaient absents, mais les caméras bien présentes.
Jared Kushner
Gendre modèle en façade, agent immobilier de la paix en coulisses. C’est lui qui a ficelé les accords Abraham, alliant promesses de contrats militaires et promesses d’investissements. Dans le récit trumpien, Kushner est l’architecte discret, celui qui traduit le langage brutal de Donald en diplomatie PowerPoint.
Idem avec Kim Jong-un : de “Rocket Man” à “ami loyal”, la transformation s’est opérée en photos, pas en résultats concrets.
Vladimir Poutine
Pour Trump, Poutine est à la fois adversaire stratégique et partenaire idéal. Homme fort, habile en scène, rompu aux images viriles. Les deux partagent une vision transactionnelle du monde : la paix n’est pas un idéal, c’est un deal. Le sommet d’Anchorage est une opportunité pour chacun de renforcer son image intérieure.
Volodymyr Zelensky
L’outsider devenu président en t-shirt kaki. Dans ce théâtre, il est l’absent présent : ses intérêts sont au centre du conflit, mais son visage ne sera pas sur les photos d’Anchorage. Pour Trump, c’est un personnage secondaire dans une intrigue qu’il écrit lui-même.
Le style Trump : diplomatie de téléréalité
Trump gouverne comme il produisait “The Apprentice” : en cliffhangers permanents. Truth Social est son plateau, le monde son décor, ses adversaires et alliés ses acteurs.
“Je suis le seul à pouvoir faire la paix.” martella Trump au CPAC 2023
Les sommets deviennent des saisons, les tweets des bandes-annonces. Demain, Anchorage ne sera pas seulement une négociation : ce sera le lancement d’un nouvel épisode, tourné pour séduire Oslo et l’opinion américaine.
Les autres ? Des figurants
L ONU ? Club bavard. L OTAN ? Groupe d’assistés. L Europe ? Bureaucrates inefficaces.
Poutine est traité comme un partenaire de deal. Bolsonaro était un camarade d’idéologie. Trudeau, Merkel, Macron? Ridiculisés. Dans le casting mondial de Trump, seuls ceux qui valident son narratif ont un rôle. Les autres sont des figurants qu’il écarte du champ.
Résultats : paix ou post-vérité géopolitique ?
Le bilan est mince : retraits de l’accord de Paris, de l’OMS, de l’UNESCO, tensions accrues avec l’Iran et la Chine. Les cessez-le-feu sont éphémères.
Petit bilan chiffré
- Accords internationaux quittés : 5 majeurs
- Cessez-le-feu conclus : 3, durée moyenne 12 jours
- Partenaires autocrates rencontrés en mandat : 9
- Sommets mis en scène avec drapeaux et cérémonial : 27
La “paix” version Trump est un récit, pas une réalité. Demain, Anchorage pourrait produire la même chose : une image forte, un communiqué optimiste… et sur le terrain, rien de changé.
Trump vs Nobel : peut-on récompenser le chaos en costume ?
Histoire du Nobel de la Paix
Créé en 1901, il a récompensé des militants anonymes comme des chefs d’État controversés. Kissinger l’a obtenu en pleine guerre du Vietnam. Obama, pour un “élan” plus qu’un bilan. Mais jamais le prix n’a été remis à un chef ayant autant revendiqué ouvertement son droit à le recevoir.
Le Nobel a déjà récompensé des choix discutés. Mais Trump incarne autre chose : la consécration du spectacle sur la substance. Le récompenser demain serait entériner l’idée que la mise en scène suffit à faire l’Histoire.
Le Nobel ou le néant (et le néant tweete mieux)
Trump ne veut pas la paix. Il veut le prestige, la postérité, la photo dans les livres d’histoire. S’il échoue, il criera au complot, accusant Oslo de partialité.
Demain, à Anchorage, il jouera son rôle. Mais le 10 octobre, lorsque le comité Nobel se prononcera, peut-être que le silence sera la seule réponse digne, un silence qui, pour une fois, fera plus pour la paix que toutes ses déclarations réunies.