les peuples face à l’effondrement du pouvoir
Par Mahad Hussein SALLAM
un monde qui tremble
Il y a des semaines où l’actualité semble éclater en fragments sans lien apparent. Et puis, il y a des semaines comme cette derniere d’août 2025, où des événements en Israël, en Inde et en Australie s’alignent pour dessiner une cartographie troublante de notre époque. En Israël, un homme politique , de l oposition, propose une coalition d’urgence pour sauver des otages à Gaza, défiant l’extrême droite. En Inde, un scandale autour d’un temple révèle une violence enfouie sous le sacré. En Australie, des centaines de milliers de citoyens descendent dans la rue pour dénoncer la famine à Gaza.
Ces crises ne sont pas des faits divers. Elles sont les symptômes d’un monde en tension, où des vérités refoulées resurgissent et où les peuples exigent justice. Depuis Paris ou Amsterdam, où le calme contraste avec ces secousses lointaines, ces événements nous interpellent : que faisons-nous, ici et maintenant, face à l’injustice ? Cet article explore ces trois crises comme des révélateurs d’un malaise collectif, en s’interrogeant sur ce qu’elles disent de notre époque, de nos désirs de justice et de nos responsabilités.
Avant d’aller plus loin, un détour par l’Europe s’impose. Le continent, jadis symbole de stabilité démocratique, vacille sous des crises politiques qui font écho aux secousses globales. De Paris à La Haye, les fractures institutionnelles et sociales préparent le terrain pour comprendre ce qui se joue à l’échelle mondiale.
L Europe en état de tension ou l inventaire des déchirements politiques
L’Europe, longtemps vue comme un modèle de démocratie mature, traverse une période d’instabilité sans précédent. De la France aux Pays-Bas, en passant par l’Allemagne, l’Italie, la Grèce et l’Espagne, les crises gouvernementales se multiplient, révélant une fracture profonde entre les citoyens et leurs dirigeants. Ce panorama des déchirements politiques, loin d’être exhaustif, met en lumière une quête de sens face à des institutions en perte de légitimité, un préalable pour comprendre les secousses globales.
En France, le compte à rebours du 10 octobre s'emballe
La France est au bord d’une rupture politique majeure. Depuis la chute du gouvernement de Michel Barnier en décembre 2024, François Bayrou, nommé Premier ministre, navigue dans une tempête. Le vote de confiance du 8 septembre 2025 s’annonce comme un test à haut risque dans un Parlement où aucune majorité claire n’émerge. Le plan d’économies de 44 milliards d’euros, destiné à réduire le déficit public, attise la colère sociale, alimentée par des grèves dans les transports et l’éducation. « On nous demande de serrer la ceinture pendant que les élites s’en mettent plein les poches », lance Marie, une enseignante parisienne de 38 ans, lors d’une manifestation à Bastille.
L’opposition, menée par Jean-Luc Mélenchon, intensifie la pression en menaçant de relancer une procédure de destitution contre Emmanuel Macron. Les mouvements citoyens, quant à eux, fixent leurs regards sur le 10 octobre, une date devenue symbole d’un possible point de bascule. « Si Bayrou échoue, ce sera la dissolution ou le chaos », prévient un collectif citoyen sur les réseaux sociaux. Ce climat de défiance reflète une société française en quête d’un nouvel équilibre, tiraillée entre la fatigue démocratique et l’élan de révolte.
Historiquement, la France a connu des crises similaires, comme en 1968 ou lors des Gilets jaunes en 2018-2019. Mais aujourd’hui, la fragmentation parlementaire et la polarisation idéologique rendent toute sortie de crise incertaine. La crise politique française s’inscrit dans un contexte européen plus large, où la méfiance envers les élites alimente des dynamiques similaires.
Les Pays-Bas : une démocratie en suspens
Aux Pays-Bas, la crise politique est tout aussi aiguë. Depuis juin 2025, le pays est sans gouvernement stable après l’effondrement de la coalition dirigée par Geert Wilders, leader du Parti pour la liberté (PVV), d extreme droite. Le retrait du PVV, motivé par des désaccords sur la politique migratoire, a précipité la rupture avec le parti centriste NSC et la démission du ministre des Affaires étrangères, Caspar Veldkamp, en août 2025. Veldkamp, en désaccord avec la ligne pro-israélienne rigide de Wilders, dénonçait une « diplomatie de la confrontation qui isole les Pays-Bas sur la scène internationale ».
Cette implosion a conduit à des élections anticipées prévues pour novembre 2025. En attendant, un gouvernement intérimaire gère le pays dans un climat de polarisation extrême. « On n’a jamais vu une telle fracture », confie Anke, une libraire d’Amsterdam de 45 ans, qui craint une montée, plus grande, de l’extrême droite aux prochaines élections. Les débats sur l’immigration, l’identité nationale et les relations avec l’OTAN. Malgres le fait qu’un sommet de l’OTAN a eu lieu le 24 et 25 juin 2025 à La Haye, peu de temps apres la dislocation de la coalition des droites extremes au pouvoir, cette instabilité met à nu les tensions autour de l’identité nationale et des relations internationales.
Cette crise rappelle celle de 2021, lorsque la coalition de Mark Rutte s’était effondrée sur un scandale des prestations sociales. Mais aujourd’hui, les enjeux sont plus profonds : la société néerlandaise, traditionnellement consensuelle, se divise sur des questions identitaires et géopolitiques. Ce vide institutionnel reflète une tension entre le désir de cohésion et la peur de l’autre, qu’il soit migrant ou partenaire international.
L Allemagne : l’essoufflement du moteur européen
L’Allemagne, longtemps pilier de l’Union européenne, n’échappe pas à la tourmente et chancelle à son tour. Le gouvernement d’Olaf Scholz, fragilisé par des divergences sur l’écologie et l’industrie, a jetter l eponge et dirigea le pays vers des elections anticipes. La coalition SPD-Verts-FDP peine à répondre à la montée des coûts énergétiques et à la désindustrialisation, qui touchent des régions comme la Ruhr. « On perd nos usines, et le gouvernement regarde ailleurs », déplore Hans, ouvrier de 52 ans à Dortmund .
La CDU de Friedrich Merz, en tete des sondages, capitalise sur le mécontentement face à la hausse des coûts énergétiques et à la désindustrialisation promettant un retour à la « stabilité ». Friedrich Merz est actuellement au pouvoir en Allemagne. Il a été élu chancelier fédéral le 6 mai 2025, après des élections anticipées en février qui ont suivi l’implosion du gouvernement Scholz. Son accession au pouvoir n’a pas été sans turbulences : il a dû passer par deux tours de vote au Bundestag, le premier ayant échoué à lui garantir une majorité. Finalement, il a obtenu 325 voix sur 630 députés lors du second tour, grâce à une coalition entre son parti, la CDU, et les sociaux-démocrates du SPD. Pourtant, la montée de l’AfD, parti d’extrême droite, complique le paysage politique. Cette crise s’inscrit dans une trajectoire plus longue et traduit une fatigue démocratique où la vision européenne portée par l’Allemagne s’effrite sous la pression des frustrations sociales. Depuis la fin de l’ère Merkel, l’Allemagne cherche une vision pour l’avenir, tiraillée entre ses ambitions écologiques et les réalités économiques.
Autres foyers d’instabilité
- Italie : La coalition de Giorgia Meloni, malgré une croissance modeste, est fragilisée par une dette publique de 141 % du PIB et des tensions autour du « Superbonus » fiscal, une mesure controversée. Les grèves dans le secteur public et les manifestations à Rome reflètent une insatisfaction croissante.
- Grèce : Une dette de 160 % du PIB et un chômage structurel maintiennent le pays dans une paralysie politique, héritée des années d’austérité post-2008. « On vit dans un pays qui ne croit plus en ses dirigeants », confie Eleni, serveuse à Athènes.
- Espagne : La question catalane et la fragmentation parlementaire continuent de miner la gouvernabilité de Pedro Sánchez. Les tensions avec les régions autonomes, notamment après des manifestations à Barcelone, fragilisent l’exécutif.
Ces déchirements européens ne sont pas isolés. Ces crises ne sont pas seulement institutionnelles, Ils traduisent une perte grandissante du lien entre gouvernants et gouvernés, où la quête de justice sociale et de souveraineté se heurte à des institutions en perte de crédibilité. Ce contexte prépare le terrain pour comprendre les secousses globales, où des dynamiques similaires de révolte et de refoulement se jouent à une échelle plus large.
Israël : une coalition face à la guerre
Le 23 août 2025, Benny Gantz, chef du parti centriste Union nationale, lance un appel audacieux à Benyamin Netanyahou, Yaïr Lapid et Avigdor Lieberman pour former un « gouvernement de rachat des prisonniers ». L’objectif : libérer les otages détenus à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et écarter l’extrême droite du pouvoir. « Chaque otage en danger de mort pourrait être notre fils, votre fils », déclare Gantz lors d’une conférence à Tel-Aviv selon Haaretz, du 23 août 2025.
Une nation tiraillée
Cet appel révèle une tension au cœur d’Israël : le désir de sauver des vies coexiste avec une logique de guerre. Gantz, ancien chef d’état-major, incarne une figure d’autorité cherchant à unifier un pays fracturé par deux ans de conflit. Pourtant, ses propos belliqueux « Les terroristes du Hamas doivent mourir, comme les nazis », trahissent une ambivalence. Cette contradiction reflète un dilemme plus profond : comment protéger les siens sans nier l’humanité de l’ennemi ?
Le conflit, déclenché par l’attaque du Hamas en octobre 2023, qui a fait 1 219 morts, a entraîné une réponse militaire israélienne dévastatrice, avec plus de 60 000 morts à Gaza selon Human Rights Watch en 2025. Ce cycle de violence a divisé la société israélienne, entre ceux qui soutiennent la ligne dure de Netanyahou et ceux qui, comme Gantz, cherchent une issue. « On veut nos enfants vivants, pas des héros morts », confie Rachel, mère d’un otage, lors d’une manifestation à Jérusalem.
Le pouvoir à l’épreuve
La coalition de Netanyahou, fragilisée par le départ des partis ultraorthodoxes en juillet 2025, manque de majorité à la Knesset. La coalition de Netanyahou, fragilisée par le départ du parti ultraorthodoxe Judaïsme unifié de la Torah en juillet 2025 et les tensions avec Shas, conserve une majorité précaire de 61 sièges à la Knesset, rendant le gouvernement vulnérable. L’initiative de Gantz, promettant 72 sièges, pourrait redessiner les équilibres politiques, mais elle suscite le scepticisme. Avigdor Lieberman qualifie l’idée de « pathétique », accusant Gantz de vouloir « sauver sa carrière » .
Pendant ce temps, des manifestations hebdomadaires à Tel-Aviv rassemblent des dizaines de milliers de personnes pour un cessez-le-feu. « Netanyahou sacrifie les otages pour sa survie politique », dénonce Yotal Cohen, frère de l’otage Nimrod Cohen. Le Hamas propose une trêve de 60 jours avec libération des otages en deux phases, en échange de prisonniers palestiniens selon Al Jazeera du 24 août 2025. Mais Netanyahou exige un désarmement total du Hamas, une condition jugée irréaliste par l’Égypte, le Qatar et meme les États-Unis.
Ce blocage reflète un système où la sécurité prime sur le dialogue. Les médiateurs internationaux soulignent l’impasse : « Sans compromis, il n’y aura ni otages libérés ni paix durable », avertit un diplomate qatari. La crise israélienne fait écho aux tensions européennes, où les gouvernements peinent à répondre aux aspirations populaires.
Limites et perspectives
L’initiative de Gantz, bien que séduisante, risque de rester un geste symbolique. Sans remise en question de la logique guerrière, le cycle de violence persistera. Une solution durable exigerait de reconnaître l’humanité de toutes les parties, un défi éthique autant que politique. Les parallèles avec l’Europe sont frappants : comme à Paris ou La Haye, les citoyens israéliens exigent des dirigeants qu’ils transcendent les calculs politiciens pour répondre à une crise humaine.
Inde : les ombres du sacré
À Dharmasthala, dans l’État du Karnataka, un scandale éclate en juillet 2025. C. N. Chinnaiah, ancien employé du temple Manjunatha Swamy, affirme avoir été contraint d’enterrer des centaines de corps de femmes violées et assassinées entre 1995 et 2014. Lors d’une audience, il brandit un crâne comme preuve d’un charnier dissimulé, secouant l’Inde, sous ce temple qui attire des milliers de pèlerins.
Une vérité enfouie
Ce témoignage fait resurgir un passé refoulé : des violences contre les femmes, cachées sous le vernis du sacré. Le temple, symbole de pureté spirituelle, devient le théâtre d’une horreur indicible. Bien que le crâne soit identifié comme provenant d’un centre de recherche, des restes humains découverts sur deux des seize sites signalés par Chinnaiah confirment une réalité troublante. « Ce n’est pas juste une affaire, c’est un miroir de notre société », déclare Priya, militante féministe à Bangalore.
Ce scandale s’inscrit dans un contexte plus large de violences genrées en Inde. Les statistiques officielles recensent 31 000 cas de viols en 2023, un chiffre sous-estimé selon les ONG (National Crime Records Bureau, 2024). À Dharmasthala, l’accusation de charnier rappelle d’autres affaires, comme les scandales des pensionnats religieux dans les années 1990, où des abus étaient tus par les institutions.
Un pouvoir en question
La famille Heggade, qui gère le temple, est dirigée par Veerendra Heggade, sénateur fédéral et figure influente. Elle est déjà soupçonnée dans 462 décès inexpliqués autour du temple. Pourtant, l’enquête patine : Chinnaiah est arrêté pour parjure, et des milliers d’articles sont censurés sur injonction judiciaire. « Le pouvoir protège ses propres intérêts », dénonce Arjun, journaliste à New Delhi.
Le ministre de l’Intérieur du Karnataka, G. Parameshwara, promet que « justice sera rendue », mais l’opposition accuse le gouvernement de protéger les élites religieuses. Cette tension entre vérité et pouvoir reflète une Inde déchirée entre modernité et tradition, où les institutions peinent à répondre aux exigences de justice sociale.
Ce cas fait écho aux crises européennes, où les gouvernements, comme en France ou en Allemagne, sont accusés de privilégier la stabilité au détriment de la vérité. La censure médiatique à Dharmasthala rappelle aussi les restrictions sur la presse en Hongrie ou en Pologne, où le pouvoir étouffe les voix dissidentes.
Limites et perspectives
L’enquête risque de s’enliser face aux doutes sur le témoignage de Chinnaiah et à la censure. Pourtant, comme le souligne la sociologue Rukmini Sen, « une seule accusation vérifiée suffirait à exiger une refonte des institutions ». Ce scandale oblige l’Inde à confronter ses silences, tout comme l’Europe doit affronter ses fractures. La justice devrait commencer par écouter les victimes, un défi universel.
Australie : la rue contre l’inaction
Le 24 août 2025, plus de 350 000 Australiens défilent dans 40 villes, de Sydney à Melbourne en passant par Brisbane, pour dénoncer la famine à Gaza et exiger des sanctions contre Israël. Porté par le Palestine Action Group, ce mouvement est qualifié de « plus grand rassemblement pro-palestinien de l’histoire du pays ».
Un élan de vie
Brandissant des casseroles comme symboles de la famine et des pancartes avec les noms d’enfants tués, les manifestants incarnent un refus de l’indifférence. « Les Australiens exigent la fin de ce génocide à Gaza », déclare Josh Lees, organisateur à Sydney. Cette mobilisation, réunissant étudiants, retraités, diasporas arabes et juives critiques de l’occupation, transcende les clivages. « Je suis ici pour mes enfants, pour leur apprendre ce qu’est la justice », confie Sarah, mère de famille à Melbourne.
Ce mouvement s’inscrit dans une vague mondiale de solidarité avec la Palestine, comparable aux manifestations sud-africaines ou chiliennes de 2024. En Australie, la famine à Gaza, où 80 % de la population dépend de l’aide humanitaire selon l UNRWA, a galvanisé une société déjà sensible aux questions de justice sociale, comme lors des mobilisations pour les droits aborigènes.
Le pouvoir face à la rue
Le gouvernement d’Anthony Albanese a reconnu un État palestinien le 11 août 2025, un geste symbolique salué par les manifestants mais critiqué pour son manque de suivi. Netanyahou accuse Canberra de « trahison », tandis que les manifestants dénoncent l’inaction : « Les enfants meurent de faim, et notre gouvernement se contente de mots », lance Amir à Sydney.
Ce décalage rappelle les tensions européennes, où les citoyens, comme en France ou aux Pays-Bas, reprochent à leurs dirigeants de privilégier la diplomatie à l’action concrète. L’absence de sanctions contre Israël reflète une prudence géopolitique, dans un pays allié des États-Unis et sensible aux équilibres mondiaux.
Limites et perspectives
Malgré son ampleur, la mobilisation australienne reste peu visible en Europe, où les débats sur Gaza sont feutrés. À Amsterdam, les échos de Sydney passent inaperçus, soulignant une fracture dans la solidarité globale. Pourtant, ce mouvement pourrait inspirer d’autres pays à agir, comme la Norvège ou l’Irlande, qui ont reconnu la Palestine en 2024. Sans mesures concrètes, il risque toutefois de s’essouffler, comme les manifestations européennes pour le climat en 2020. La responsabilité collective exige de transformer les cris en actes.
Des fissures à l’action
De Paris à Sydney, de Tel-Aviv à Dharmasthala, ces secousses révèlent un monde où le pouvoir chancelle et les peuples s’élèvent. En Europe, les crises gouvernementales en France, aux Pays-Bas, en Allemagne et ailleurs traduisent une défiance envers des élites perçues comme déconnectées. À Tel-Aviv, les familles des otages crient pour la paix ; à Dharmasthala, un témoignage brise le silence ; à Sydney, des casseroles résonnent contre l’injustice.
Ces événements ne sont pas isolés. Ils traduisent un malaise collectif, où les vérités refoulées exigent d’être entendues. À Amsterdam, où le calme contraste avec ces tumultes, une question persiste : regardons-nous ces crises comme des drames lointains, ou comme des appels à repenser notre rapport au pouvoir et à la justice ? Si les peuples s’éveillent, c’est que le silence n’est plus tenable.