Le gouvernement nous l’assure : la réforme des retraites de 2023 était un passage obligé pour « sauver notre système ». Deux ans plus tard, en 2025, le discours officiel se veut rassurant, celui d'une comptabilité remise à flot.
Pourtant, derrière ce vernis technocratique, la réalité vécue par des millions de Français est celle d'un pacte social méthodiquement dynamité. Car la réforme n'était pas une simple mesure technique : c'est un projet idéologique qui, sous couvert de pérennité, organise la glissade d'un système solidaire vers un modèle à deux vitesses, où la promesse d'une retraite décente devient un produit de luxe. Tour d'horizon d'une casse sociale en trompe-l'œil.
La fabrique des travailleurs usés : le taux plein, un mirage pour les précaires
L'instrument central de la réforme, l'allongement de la durée de cotisation à 43 annuités, est une machine à fabriquer de l'inégalité. Prenons le cas concret d'une aide-soignante ayant commencé à 20 ans. Avant la réforme, elle pouvait espérer liquider sa retraite à 62 ans. Aujourd'hui, même si elle atteint ses 43 ans de cotisation à 63 ans, elle doit attendre 64 ans pour partir, soit une année de travail pénible supplémentaire pour un gain dérisoire sur sa pension. Ce n'est pas une exception, c'est la norme pour ceux qui entrent tôt dans la vie active.
Le cynisme du système est qu'il frappe en priorité ceux qu'il prétend protéger. Une note de la DREES, publiée fin 2024, est dévastatrice : la réforme contraint les femmes à cotiser en moyenne près de deux trimestres de plus que les hommes pour espérer compenser l'impact de leurs carrières hachées (maternité, temps partiel subi).
C’est une double peine en majesté. Pire, le report de l'âge légal a provoqué une explosion du nombre de seniors dans une zone grise : trop usés pour travailler, trop jeunes pour la retraite. Les derniers chiffres de France Travail sont une véritable bombe sociale : on dénombre plus de 850 000 demandeurs d'emploi de plus de 55 ans, un chiffre en hausse de près de 15% depuis 2023.
C'est une armée de laissés-pour-compte, poussés vers le RSA ou l'invalidité. Parallèlement, la revalorisation annuelle des pensions, qui était de 5,3 % en janvier 2024, est un leurre. Face à une inflation sur les produits alimentaires qui, sur la même période, a flirté avec les 8% en cumulé, la perte de pouvoir d'achat est bien réelle. Le chèque mensuel augmente, mais le caddie se vide.
Le Plan d'Épargne Retraite : la niche fiscale des nantis, l'illusion pour les autres
Face à ce futur assombri, le gouvernement et les banques ont un produit miracle : le Plan d'Épargne Retraite (PER). Vanté comme un outil de « liberté » et de « prévoyance », il est en réalité un chef-d'œuvre d'ingénierie fiscale au service des plus riches. Son mécanisme de déduction fiscale est une caricature d'injustice.
Prenons un cadre supérieur au revenu élevé, dans la tranche marginale d'imposition à 45 %. S'il verse 10 000 € sur son PER, l'État lui fait un cadeau de 4 500 € en réduction d'impôts. Prenons maintenant une caissière au SMIC, qui ne paie pas ou peu d'impôt sur le revenu. Son avantage fiscal pour le même effort d'épargne ? Zéro.
Le résultat est sans surprise. Une étude de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) publiée en 2024 le révèle crûment : plus de 60 % des encours des PER sont détenus par les 10 % des Français les plus fortunés. Vendre le PER comme une solution de masse, c'est comme « proposer des leçons de pilotage de jet privé pour résoudre les embouteillages du RER », ironise un économiste atterré.
On ne « sauve » pas les retraites pour tous, on crée un marché juteux pour Axa, BNP Paribas ou Amundi, qui se rémunèrent grassement en frais de gestion sur cette épargne subventionnée par l'argent public. C'est le cœur de la stratégie : rendre le système public moins attractif pour que les plus aisés le désertent au profit de produits financiers, affaiblissant encore davantage la solidarité collective.
Le « paradis » suisse : capitalisation, frais de santé et désillusions
Dans ce contexte, le modèle suisse est souvent brandi comme un eldorado par les partisans de la capitalisation. Une partie de la France qui en a les moyens rêve de cet exil fiscal et social. La réalité, là encore, est un miroir aux alouettes. Le fameux "2ème pilier" (LPP), une capitalisation obligatoire gérée par des assureurs et des banques, est tout sauf un long fleuve tranquille.
En 2022, année de forte baisse des marchés, le rendement net moyen des caisses de pension suisses a été négatif, à -8,7 % selon l'indice Credit Suisse. L'épargne-retraite de millions de salariés a donc fondu, sans qu'ils n'aient leur mot à dire. C'est la promesse de la capitalisation : socialiser les risques de la vie, privatiser les risques de la finance.
De plus, le mirage s'effondre face au coût de la vie. L'assurance maladie de base (LaMAL), obligatoire et privée, est un gouffre financier. En 2025, la prime mensuelle moyenne dépasse allègrement les 400 francs suisses (environ 415 euros) par personne. Pour un couple de retraités, c'est plus de 800 euros qui s'envolent chaque mois avant même la moindre dépense.
Le vote récent des Suisses en faveur d'une 13ème rente AVS (le 1er pilier solidaire) est un aveu de faiblesse : le système par capitalisation ne suffit plus à garantir une vie digne. Le paradis suisse est en réalité le stade ultime du projet néolibéral français : un système où l'on est seul face à la maladie, seul face aux krachs boursiers.
Au final, ce démantèlement méthodique transforme un droit collectif en un produit financier. Il ne s'agit plus de garantir à tous une vieillesse digne, mais d'offrir aux plus riches les outils pour se soustraire à la solidarité nationale. La question n'est plus de savoir si le système est viable financièrement, mais si nous acceptons une société où la pauvreté devient la punition de ceux qui n'ont eu que leur force de travail à offrir.
Sources : DREES, Swiss Serenity, France Travail.