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Billet de blog 22 août 2025

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Images IA : l'intelligence artificielle déclenche la guerre de l'information visuelle

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En cet été 2025, elles sont partout. Sur les sites d'information, dans les campagnes publicitaires, inondant les réseaux sociaux. Des images d'une perfection troublante, d'un réalisme saisissant, générées en quelques secondes par une intelligence artificielle. La révolution créative promise il y a quelques années par les apôtres de la Silicon Valley a bien eu lieu.

Mais derrière l'utopie de la « créativité pour tous » se cache une réalité bien plus sombre : celle d'une précarisation massive des créateurs humains, d'une pollution visuelle sans précédent et, surtout, de la mise à disposition d'une arme de désinformation massive qui menace de faire voler en éclats notre rapport à la vérité. La fabrique du faux tourne à plein régime.

La grande spoliation : le pillage des artistes au cœur de l'algorithme

Avant de créer, la machine a dû apprendre. Et pour apprendre, elle a dévoré. Les modèles d'IA comme Midjourney ou Stable Diffusion ont été entraînés en aspirant des milliards d'images sur Internet, constituant des bases de données titanesques. Au cœur de ce festin numérique : des millions d'œuvres protégées par le droit d'auteur, des photographies et des illustrations issues du travail de centaines de milliers d'artistes, aspirées sans leur consentement et sans la moindre compensation.

Les procès intentés depuis 2023, notamment par des collectifs d'artistes ou de grandes banques d'images, n'ont pour l'instant abouti qu'à des décisions timides face à la puissance des géants de la tech. C'est un pillage de données à l'échelle planétaire, justifié par le discours fallacieux du « progrès technologique ».

Les conséquences économiques sont dévastatrices. Pour les photographes, illustrateurs et graphistes, c'est une concurrence frontale et déloyale. Pourquoi commander une illustration à 500 euros quand une IA peut en générer cinquante variations pour le prix d'un abonnement mensuel ? Le marché de la photographie de stock, qui faisait vivre de nombreux créateurs, est aujourd'hui inondé d'images de synthèse, souvent indiscernables des vraies.

Une étude du secteur prévoit une chute de près de 40 % des revenus des photographes indépendants d'ici 2026, directement imputable à la concurrence de l'IA. C'est une véritable prolétarisation du secteur créatif, où le savoir-faire humain est dévalué au profit de la puissance de calcul.

Fake news 2.0 : une arme de destruction informationnelle

Si la crise est économique pour les créateurs, elle est démocratique pour la société. Les premières images maladroites de 2023, comme celle du Pape en doudoune, ont laissé place à des créations d'un réalisme confondant. En 2025, il est techniquement possible de générer en quelques minutes une image crédible de n'importe quel événement : une explosion qui n'a jamais eu lieu, un leader politique rencontrant un opposant en secret, des scènes de panique dans une ville pour alimenter une rumeur...

Ces « deepfakes » visuels sont devenus une arme de choix dans les guerres hybrides et les campagnes de déstabilisation. L'agence française Viginum, chargée de la lutte contre les ingérences numériques étrangères, a noté dans son rapport de début 2025 une augmentation de 300 % des campagnes de désinformation utilisant des visuels générés par IA par rapport à l'année précédente. L'objectif n'est plus seulement de faire croire à un mensonge précis. L'objectif, plus pervers, est de saper la confiance même dans le réel.

En inondant l'espace public de faux plus vrais que nature, on installe un brouillard informationnel permanent, un doute systématique où le citoyen finit par se dire que « tout est potentiellement faux, donc rien n'est vraiment vrai ». C'est l'érosion du principe même de preuve par l'image, un pilier du journalisme et de la mémoire collective.

L'esthétique du vide : la standardisation de notre imaginaire

Au-delà de la désinformation, l'hégémonie de l'image IA pose une question culturelle profonde. En apprenant sur la totalité de la production humaine existante, l'IA ne crée pas, elle recombine à l'infini la moyenne de ce qui existe déjà. Le résultat est une esthétique lisse, parfaite, mais terriblement standardisée et sans âme. Les mêmes visages aux proportions idéales, les mêmes lumières dorées irréelles, les mêmes compositions sans défaut mais sans aspérité. C'est une imagerie qui gomme l'accident, l'imprévu, la singularité du regard d'un photographe.

Cette pollution visuelle appauvrit notre imaginaire collectif. Elle nous habitue à un monde d'images aseptisées, qui ressemblent à de la publicité permanente. En privilégiant l'imitation parfaite à l'interprétation singulière, l'IA risque de nous faire perdre le goût de l'image authentique, celle qui porte en elle une histoire, un point de vue, une présence au monde. Le combat pour la survie des créateurs humains n'est pas seulement une question économique, c'est aussi une bataille pour la diversité et la richesse de notre culture visuelle.

La régulation, notamment via l'AI Act européen qui impose désormais un marquage (souvent discret) des contenus générés, est un premier pas, mais il semble dérisoire face à la vitesse de propagation du phénomène. Sans une action politique forte et une éducation critique du regard massive, nous risquons de nous réveiller dans un monde où le droit fondamental de croire ce que l'on voit aura disparu.

Sources: prefectures-regions.gouv.fr, depositphotos.com, lapresse.ca

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