L’année 2020 marquée par une France en plein mouvement de contestation sociale face à un gouvernement qui ne semble pas répondre aux revendications. Un gouvernement instable illustré par la démission de la Ministre de la Santé Agnès Buzyn le 16 février (2). C’est donc dans un contexte de fragilité politique que la crise sanitaire s’inscrit.
Dans quelles mesures la crise du Covid-19 est-elle le déclencheur de mutations sociétales d’ampleur ?
La gestion de la crise sanitaire met en lumière l’émergence de nouvelles stratégies de gouvernance engendrant d’autres manières d’appréhender la politique, l’économie, la politique étrangère. Cependant, cela ne sera pas sans conséquences. Les répercussions sociétales seront responsables d’une prise de conscience sur la situation mondiale. Deux visions s’affronteront alors sur « le monde d’après ».
Le gouvernement Macron adopte une nouvelle stratégie ; le journaliste F.Says explique que le discours politique s’appuie sur la science mais qu’il s’abrite aussi derrière elle (3). Emmanuel Macron s’est entouré d’un Conseil Scientifique et d’un Comité d’analyse pour l’aider à répondre à la crise. Cela entraine un discrédit de la parole politique comme le démontre l’actuel Ministre de la Santé, Olivier Véran en disant « si vous ne m’écoutez pas moi, écoutez au moins les soignants. » Les scientifiques au pouvoir, la nécessité ferait donc loi ? Il est primordiale de nuancer cela ; certes le politique doit prendre en compte l’expertise scientifique mais en aucun cas, celle-ci ne doit s’y substituer.
Les conséquences de la crise du Covid-19 sont d’ampleur ; pour Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, ce sera « la pire récession depuis 1945 » (6/04). « En France, on peut s’attendre à ce que le PIB chute de 10 % à 20 % » titrait l’Obs le 19 mars (5). Le secteur touristique s’effondre avec la suspension des vols avec les zones dites « à risques » (4). Le cours du pétrole dépasse désormais les 50% suite à l'effondrement de la demande après les mesures de confinement prises pour freiner l’épidémie (6). Le taux de chômage français s’emballe, ce sont désormais 5 800 000 salariés concernées par des mesures de chômage partiel (7). Cela traduit de la fragilité inhérente à nos économies interdépendantes. La carte des pays touchés par le Covid-19 faite par Le Monde est assez similaire à la carte des pays ayant le plus d’échanges commerciaux au niveau international. Serait-ce le revers de la médaille de la mondialisation (8) ?
80 % des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont fabriqués hors de son espace économique. « La preuve est faite une nouvelle fois que, du fait de la multiplicité des maillons de la chaîne de production, il suffit d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, {...} pour entrainer des ruptures d’approvisionnement{...} Il faut relocaliser la production de nos matières premières pharmaceutiques » (4). La question de la souveraineté nationale se pose, ainsi que des réels effets d’une Europe qui handicape plus qu’elle n’apporte. Le néolibéralisme est-il voué à disparaitre ?
Les répercussions sociétales s’inscrivent dans une logique de « monde d’après ». L’échelle des priorités changent avec à son sommet la protection sociale, le système de santé, une prise de conscience face aux inégalités de logements, d’accès à l’éducation numérique. Le confinement amène les populations à vivre différemment à travers les commerces de proximité, l’agriculture maison etc. Cependant, la prédominance du numérique dans les nouvelles pratiques de la société interroge (9) « Tout le monde est en train de miser sur le numérique » explique le sociologue J.M. Charon sur l’adaptation des médias au Covid-19. (10) L’utilisation du numérique comme alternative, les magistrats en télétravail, les jugements se font désormais par Skype. (11) Si ces moyens fonctionnent, pourquoi revenir au système antérieur ?
Le « monde d’après » inquiète, deux visions émergent ; la première pense revenir au système d’avant, appréhendant la crise comme une phase sans en considérer le caractère disruptif. La seconde s’inscrit dans une prise de conscience des dysfonctionnements de nos sociétés qui ne peuvent « continuer comme ça car le changement climatique lui, ne s’arrête pas » (J.L. Mélenchon) (12). F. Lordon théorise l’idée que « la division du travail refaite en vue de l’élimination des boulets, la société identifiera clairement ceux à qui elle doit le plus, et les traitera en conséquence. » (13) Il est encore trop tôt pour savoir le tournant que prendront les choses à la sortie de cette crise sanitaire, il est certain que le monde capitaliste néolibéral court à sa perte.
Sources documentaires
(1) L’Express, « Hôpital en crise : 1000 médecins hospitaliers démissionneront le 14 janvier », le 13 janvier.
(2) Mediapart, « Covid-19: chronologie d’une débacle française », le 11 avril.
(3) France Culture, « Covid-19 : les scientifiques au pouvoir » par Frédéric Says, le 3 avril.
(4) Exposé sur les épidémies
(5) L’Obs, « En France, « on peut s’attendre à ce que le PIB chute de 10 % à 20 % », 19 mars.
(6) L’Echo, « Accord sur une baisse "historique" de la production de pétrole », 8 avril.
(7) L’Obs, « En France, « on peut s’attendre à ce que le PIB chute de 10 % à 20 % », 19 mars.
(8) Le Monde, « Coronavirus : suivez la propagation de la pandémie en France et dans le monde » publié le 27 février et mise à jour le 13 avril.
(9) L’Essentiel, « Coronavirus, drones, traçage numérique et libertés : Des limites posées », le 30 mars.
(10) La Croix, « Coronavirus : la presse écrite continue d’informer sur fond d’incertitudes économiques », le 23 mars.
(11) Reportage LCI, « Tribunaux au ralenti : comment la justice fait face ? », 12 avril.
(12) France 5, « C Politique » avec Jean-Luc Mélenchon, le 10 avril.
(13) Le Monde Diplomatique, « Orientations », blog de Frédéric Lordon, le 7 avril.
Ressources complémentaires
L’Obs, "Le coronavirus provoque « les pires conséquences économiques » depuis 1929, prévient le FMI », le 9 avril.
France Culture, « Covid-19 : quand le chômage partiel joue le rôle d'amortisseur social » par Anne- Laure Jumet, le 8 avril.
La lutte des classes au XXIème siècle, Emmanuel Todd, janvier 2020. L’entraide : l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, 2017. Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, 2015.