Un triste score pour le pays de la liberté de penser et de dire. Cela amène à réflexion sur les mécanismes pouvant expliquer une place si basse. En effet, 90% des médias français sont actuellement détenus par 9 personnes. Les groupes Bolloré, Lagardère, Bouygues, LVMH, avec des noms omniprésents comme celui de Xavier Niel, ou Patrick Drahi ont donc une influence significative sur les lignes éditoriales des médias qu’ils possèdent. Une question se glisse dans un coin de ma tête sur les manières de traiter l’information et sur la neutralité journalistique en France. Cependant, comment analyser ce phénomène sans tomber dans le complotisme ?
Pierre Bourdieu disait que "l’écran de télévision est devenu aujourd’hui une sorte de miroir de Narcisse » (L’emprise du journalisme). Selon lui, la télévision incarne l’évolution de la presse aujourd’hui à travers un dictat de l’audimat basé sur la règle d’or de l’immédiateté. Le top des parts de marché des JT 20H démontrent une forte concentration autour de certaines chaines créant une sorte d’oligopole de l’information télévisuelle. TF1 détient 24,1% des parts de marché ce qui représente 6,5 millions. France2 est à 20,3% soit 5,5 millions. Ces mêmes chaînes détenues par les mêmes actionnaires qui, d’après Bourdieu, « cachent les mécanismes anonymes, invisibles, à travers lesquels s’exercent les censures de tous ordres qui font de la télévision un formidable instrument de maintien de l’ordre symbolique ». Cette censure est d’autant plus efficace que les acteurs principaux des mécanismes de maintient de celle-ci en sont complices inconsciemment ; ce sont les journalistes. Ces derniers mois illustrent parfaitement la méfiance des citoyens vis à vis des médias qui cherchent des alternatives pour trouver une nouvelle information, une qui les concerne, par les réseaux sociaux comme Twitter.
Les gilets jaunes en sont le symbole, un mouvement désorganisé issue des bulles cognitives formées par les réseaux sociaux ; on donne aujourd’hui la parole à la minorité bruyante contre la majorité silencieuse expliquant l’omniprésence de polémiste comme Eric Zemmour qui incarne en une figure les conséquences d’une presse qui s’organise sur le succès de son audimat. Edwy Plenel nous dit que « la méfiance de la société passe d’abord par a méfiance de la presse libre et indépendante, celle qu’on ne peut pas contrôler ». En effet, le rachat du média Le Monde a nourri de nombreuses inquiétudes, et le refus de signature de la clause d’agrément par Daniel Kretinsky enrichi une défiance des citoyens vis à vis du monde médiatique.
Il exprime la nécessité en démocratie d’avoir accès à « une presse libre et indépendante » car selon le directeur de Mediapart, « le droit de savoir et la liberté de dire sont deux libertés qui préexistent à l’exercice du droit de vote ». Cependant, le journalisme d’investigation est régulièrement questionné pour ses méthodes. Jean-Michel Apathie interroge ; « Est ce que tout est bon au nom de l’information ? Le journaliste n’est ni un justicier, ni un juge d’instruction. ».
Il y a une controverse vis à vis de ce type de journalisme tantôt « héros » tantôt « bourreau » car la publication de certaines informations entraine de l’intranquillité en société. Il y a aujourd’hui une bataille entre l’information et la communication dont l’affaire Cahuzac a été un révélateur. « Vous ne savez pas à l’origine ce que vous cherchez » exprime Fabrice Arfi. Selon lui, le journalisme d’investigation est avant tout, faire la différence entre un à priori et une intuition. Il utilise le terme de « journalisme d’initiative » pour faire référence à son travail d’enquête sur l’affaire Cahuzac. Il insiste sur le fait que le journalisme ne doit pas chercher à faire la chronique de ce que disent ou font les autres mais à trouver une certaine autonomie. Le journalisme incarne un contre-pouvoir face à des personnalités publiques qui doivent rendre des comptes. La question de la transparence s’impose, jusqu’où les différentes lois sur le secret (des affaires notamment) sont-elles ethniquement acceptables ? F.Arfi décrypte le caractère malsain inhérent au journalisme d’investigation dans le sens où ce type de journalisme est très mal accueilli par certains et loué par d’autres, « la faute n’est pas celle du messager » explique-t-il. Le journaliste met en garde sur l’ambiguïté du secret aujourd’hui qui est d’après lui « mal défini et mal contrôlé » car pour lui « les hommes publics doivent rentrent des comptes ».
Le journalisme d’enquête est régulièrement l’outil de la transparence qui se base sur un travail minutieux, rigoureux or la transparence est-elle toujours synonyme d’amélioration sociétale ? ».
Aujourd’hui, la presse française est en proie à de nombreuses attaques, son indépendance, son intégrité sont remises en cause pas les citoyens qui cherchent à s’informer par des moyens alternatifs qui favorisent les extrêmes et permettent une montée croissante du populisme en France. Les citoyens sont enfermés dans un scaphandre d’opinions similaires aux leurs ayant des conséquences significatives sur l’exercice politique.
Aude Lancelin évoque la difficulté à se frayer un chemin dans un monde des médias dans lequel elle a du mal à se reconnaitre. Selon elle, la sphère médiatique est dans une situation critique, « tout est à changer dans le milieu des médias en France […] avec une presse entièrement corrompue, tenue et on ne peut pas se satisfaire d’une situation pareille quand on aime la liberté ». La journaliste fait un portrait du monde des médias qui est pour elle à la dérive, un quatrième pouvoir inféodé par les influences économiques qui empêche le bon fonctionnement d’une presse supposée être libre de toute dépendance. Elle dénonce une tendance hypocrite à une fausse objectivité et y préfère une subjectivité assumée.
Quel sera l’impact d’un véritable changement de paradigme médiatique sur la pratique du politique car "toute révolution technologique appelle à une révolution démocratique. » (Edwy Plenel)