Maïa Delcourt (avatar)

Maïa Delcourt

Abonné·e de Mediapart

12 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 janvier 2021

Maïa Delcourt (avatar)

Maïa Delcourt

Abonné·e de Mediapart

En 2020, le combat féministe n’est pas resté confiné

"La cause féministe, je la partage, j'en ai fait un fil rouge de ce quinquennat", nous disait Emmanuel Macron le 14 juillet 2020. Pourtant, on décompte 139 féminicides cette année, son ministre de l’Intérieur est accusé de viol et le Garde des Sceaux opposé au mouvement #Metoo, alors pour un président qui se dit féministe, c’est plutôt cocasse !

Maïa Delcourt (avatar)

Maïa Delcourt

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« La culture du viol est en marche » 

L’année 2020 a été plus qu’éprouvante pour la lutte contre les violences faites femmes et le gouvernement actuel y a sa part de responsabilité. Dressons ensemble un bref récapitulatif de cette douloureuse année car après cette période difficile, une piqûre de rappel s’impose. En France, une femme est tuée tous les deux jours. 149 femmes sont mortes tuées par leur conjoint ou ex en 2019. Un décompte dramatique qui a marqué le début de l’année 2020. Manifestations, campagnes d’affichage et couverture médiatique : le terme « féminicide » est entré dans notre vocabulaire même si il n’est apparemment pas compris par tous « Le féminicide serait un nouveau crime ? Je ne sais pas, alors si c’est une femme qui tue un homme, c’est quoi ? Un “andricide” ? Je ne comprends pas bien » disait Eric Dupond-Moretti en 2018. Le 14 février 2020, les Femens peignent sur leurs poitrines nues « Je ne t’aime pas à en mourir » dans le but de dénoncer les féminicides en ce jour de saint Valentin, sur un pont de paris.

Février et le César de la honte. Le vendredi 28, plusieurs associations féministes avaient appelé à manifester devant la Salle Pleyel à Paris, où se déroulait la 45e cérémonie des César en protestation contre les 12 nominations du réalisateur Roman Polanski pour son film “J’accuse”. Il est visé par plusieurs accusations de viol et est toujours poursuivi par la justice américaine pour relations sexuelles illégales avec une mineure en 1977. Pour l’actrice Adele Haenel "distinguer Polanski, c'est cracher au visage de toutes les victimes. » A l’annonce de la récompense attribué au réalisateur, l’actrice quitte la salle avec comme seuls mots « la honte ».

En mars, c’est la violente répression de la Marche féministe qui fait l’actualité nationale. De nombreux témoignages dénoncent l’usage de la force et les comportements sexistes de la part de plusieurs policiers pendant la marche féministe du 7 mars. Des images de femmes traînées dans les escaliers, d’autres projetées au sol à coups de matraque, certaines tirées par les cheveux, le tout dans un nuage de gaz lacrymogènes, investissent massivement les réseaux sociaux et font les gros titres des plateaux télés. A la veille de la Journée internationale des droits des femmes, les critiques sont nombreuses contre la gestion disproportionnée et violente du maintien de l’ordre par la Préfecture de police de Paris.

Avril et la Une du Parisien. Le 5 avril, le quotidien titrait « Ils racontent le monde d’après » incarnés par des visages exclusivement masculins. Un monde d’après où on ne donne apparemment la parole qu’aux hommes. En effet, sur les émissions d’infos pour parler de la crise du Coronavirus, ce sont massivement des hommes que l’on a invité, représentant 80% des intervenants. En temps normal, 59% des invités étaient des hommes lesquels ne représentent pourtant que 48% de la population adulte. Cette surreprésentation des hommes dans les médias incarne l’idée que les postes à responsabilités sont dans la réalité attribués aux hommes. L’inégalité de représentation s’est accentuée. Réflexe d’autant plus choquant puisque pendant le premier confinement, les femmes constituaient la majorité des professions en première ligne soit 70%.

En ce 1er mai confiné·es, les associations féministes se mobilisent pour soutenir les travailleuses du monde entier. Les femmes étant en première ligne pendant la crise sanitaire, elles sont beaucoup plus précarisées. De nombreuses revendications émergent et notamment l’abrogation de la très controversée réforme des retraites qui pénalise d’autant plus les femmes car ce sont elles qui réalisent des carrières hachées par des congés maternités, qui occupent des postes plus précaires, qui constituent 80% des temps partiels, qui subissent des discriminations à l’embauche. L’égalité hommes-femmes dans le secteur du travail est loin d’être atteinte et ce type de réforme ne donne que très peu d’espoir quant à la politique menée par ce gouvernement.

En juin, le bilan du confinement est lourd : la politique du gouvernement Macron et sa gestion de la crise sanitaire a mis en exergue l’ordre des priorités et la lutte pour les droits des femmes n’en est visiblement pas une. En plein pic de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement a refusé de rallonger les délais de recours à l’IVG chirurgical, alors que la situation sanitaire empêchait les femmes de consulter. A l’issue de cette période, le Planning familial enregistrait une hausse de 150% des appels pour des demandes d’IVG hors délai et les plaintes pour violences conjugales ont augmenté de 36% en France. En réaction, le gouvernement ouvre un numéro vert.

En Juillet, le remaniement ministériel a été un choc pour beaucoup et tout particulièrement par les féministes. Les nominations de Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti discréditent complètement les ambitions gouvernementales de promotion des droits des femmes. Un collectif de 91 intellectuelles et militantes féministes de plus de 35 pays, dont Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix, et Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature alertent sur le virage antiféministe pris par Emmanuel Macron. En signe de protestation, de nombreuses manifestations se sont déroulées partout en France et même au-delà avec comme mot d’ordre « démission ».

Le 26 aout, le MLF célébrait son anniversaire : il y a 50 ans, 9 militantes déposaient une gerbe à la "femme du soldat inconnu" pour souligner l'invisibilisation des femmes dans l’Histoire. Et le combat est loin d’être terminé ! Encore aujourd’hui en France, seulement 4% des rues en France portent des noms de femmes, et seulement 37 statues sur 350 représentent des femmes dans l’espace public parisien. Nos sociétés patriarcales ont encore du chemin à parcourir car « l’avenir boitera s’il n’est construit que des mains d’hommes et d’attentes de femmes » nous disait Gisèle Halimi.

En septembre, c’est l’hypersexualisation du corps des femmes et notamment des jeunes filles qui est une fois de plus remis sur la table avec la fameuse « tenue républicaine » de Jean Michel Blanquer, ministre de l’Education Nationale. Déclaration qui a fait réagir puisque le problème ne vient pas de la tenue des femmes mais bien du regard des hommes. Déclaration plutôt étonnante pour le ministre d’un gouvernement qui vantait les avancées de son pays sur le sujet en 2018 « La France est toujours à la pointe du féminisme » (sur France inter le 27/11/18). Dès juillet, la France faisait déjà parler d’elle quand Océane Nelien se voyait refuser l’entrée au musée du Louvre à cause de sa tenue jugée inappropriée par une employée. En réponse, la jeune styliste y organisait un défilé sauvage pour dénoncer la sexualisation du corps féminin ainsi que pour ouvrir le monde de la mode aujourd’hui si fermé.

Une lutte internationale

En octobre, la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a été réélue avec 55 % des voix. Elle est la plus jeune Premiere ministre au monde. Au cours de ses trois années de mandat, elle a du faire face à la pire attaque terroriste de l'histoire du pays, une éruption volcanique mortelle et une pandémie mondiale. Menant une politique progressiste, elle est la première chef d’Etat à avoir participé à une Marche des Fiertés dans son pays. Elle a accouché pendant son mandat, et a même emmené son enfant avec elle aux Nations unies. Pourtant, lorsque les médias ont appris qu'elle était enceinte, ils n'ont parlé que de sa maternité et occulté ses décisions politiques. Le traitement médiatique des femmes en politique est toujours extrêmement sexiste, leur vie personnelle est souvent mis au premier plan.

En novembre, c’est la Pologne qui fait les gros titres avec une manifestation rassemblant près de 10 000 personnes devant le parlement en réaction à la proposition de loi des députés du PiS, du mouvement antisystème Kukiz 15 et quelques députés de l’opposition, qui ont fait une proposition de loi visant à limiter strictement la pratique de la fécondation in vitro. Ils ont ensuite rejeté le projet de Sauvons les femmes, demandant à libéraliser l’IVG. Après une manifestation massive devant le Parlement, la Pologne connait ensuite sa première grève générale des femmes. Pays gouverné par la droite conservatrice catholique, où la législation concernant l’avortement est déjà l’une des plus restrictives d’Europe, il s'agit ici de protester contre un projet de loi bannissant totalement l’IVG, à une exception près : si la vie de la femme enceinte est en danger immédiat. Des milliers de Polonaises, ont décidé de se mobiliser. Ces manifestations sont devenues « une véritable révolution » qui s’élargit à d’autres domaines que celui de l’avortement. 

Un peu d’espoir en décembre avec la légalisation de l’IVG jusqu’à 14 semaines de grossesses en Argentine. Au terme d’un débat de vingt heures, ce projet de loi est approuvé à 131 voix contre 117. Une véritable victoire pour les militantes féministes qui s’étaient réunies devant le Congrès à Buenos Aires. « Nous écrivons aujourd’hui un nouveau chapitre de l’histoire. Je suis émue par cette avancée collective qui nous appartient à toutes et à tous. » exprimait la ministre des Femmes, des genres et de la diversité, Elizabeth Gomez Alcorta, le vendredi 11 décembre.

« Les réseaux sociaux ont permis de mettre à l’ordre du jour des sujets ignorés, l’islamophobie, la grossophobie, la transphobie » explique Rokhaya Diallo, militante et journaliste. Aujourd’hui, les actions féministes prennent différentes formes : manifestations, collages, happenings etc. On parle d’activisme 2.0 pour désigner ces protestations rendues massives par les réseaux sociaux. La question des droits des femmes est en première ligne, en effet, dans toutes périodes de crises les droits des minorités sont les premiers remis en cause. Le féminisme est un combat qui n’a pas terminé d’être mené et qui, d’après cette année, a visiblement a encore beaucoup de travail.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.