Patrick Chamoiseau revient à la Maison des Passages mercredi 25 janvier 2017 pour une soirée artistique autour de son dernier livre "La matière de l'absence".
La soirée est co-organisé par la Maison des Passages et l'Institut Tout-Monde.
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Depuis l’ouverture de la Maison des Passages en 2006, nous avons régulièrement accueilli Patrick Chamoiseau. Chaque fois pour des rencontres exceptionnelles autour d’un livre, d’un atelier d’écriture, d’un film… Patrick Chamoiseau le marqueur de parole, le guerrier de l’imaginaire, celui qui nous appelle à « Changer radicalement nos systèmes de représentations, et donc, notre imaginaire du monde, changer d'échelle, aller à des refondations ».
Avec son dernier livre, La matière de l’absence Patrick Chamoiseau aura attendu seize ans pour pouvoir parler de la mort de sa mère; entre temps il aura vu disparaître en 2011 « le commandeur sublime » Édouard Glissant. Son livre est une méditation, une poétique du temps, ce grand sculpteur comme disait Marguerite Yourcenar. Entre ombres et lumières, invisible et visible, Patrick Chamoiseau sculpte avec patience, lucidité et flamboyance l’histoire de racines de notre monde. La matière de l’absenceest un livre essentiel pour penser le temps présent. Livre dans lequel l'intensité et la densité de la réflexion donne à la phrase une somptuosité poétique.
La maman de l’auteur, Man Ninotte (que l’on trouve dans presque tous ses livres) s'éteint le 31 décembre 1999, "la mort clôturait l'enfance d'un coup sans précaution », pour Patrick Chamoiseau les traces et les empreintes du monde d’hier saisissent le monde contemporain. En pays Martinique les traces sont d’abord celles du colonialisme et de l’esclavage : « lorsque les pluies sont violentes, que les tempêtes fracassent les rivages, on voit surgir des os, tout un lit de décombres qui proviennent des peuples amérindiens aujourd’hui disparus. Certains de ces vestiges appartiennent aussi à nos ancêtres esclaves : leur souffrance imprègne chaque maille de cette terre….c’est la mémoire coloniale qui balise notre territoire…chaque brin d’herbe est un lieu de mémoire»….. « Se maintenir en sensibilité à la Trace est une manière d’envisager le réel du monde et de lui donner sinon sa vérité, son mystère, je veux dire son vivant »
Dans La matière de l’absence on retrouve les questionnements, les enthousiasmes, quelques auteurs de sa sentimenthèque, Héraclite, Borges, Char, Montaigne, Morin….. Tous les alliés substantiels de l’auteur.
Il y a dans La matière de l’absence, comme dans Ecrire en pays dominé (1997), deux livres frères, un réel enjeu de création littéraire. Patrick Chamoiseau montre une nouvelle fois qu’il est un des rares écrivains créateurs de la langue française. Il a fondé sa création sur l’enracinement de l’oralité dans ses écrits et sur ce que Milan Kundera -Une rencontre éd. Gallimard2009 - a qualifié d’une « langue chamoisisé » : « il a pris la liberté d'un bilingue qui refuse de voir dans une de ses langues l'autorité absolue et qui trouve le courage de désobéir. Chamoiseau n'a pas fait un compromis entre le français et le créole en les mélangeant. Sa langue, c'est le français, bien que transformé; non pas créolisé (aucun Martiniquais ne parle comme ça) mais chamoisisé ….il a surtout donné à son français la liberté de tournures inhabituelles, désinvoltes, « impossibles », la liberté des néologismes : avec aisance, il transforme les adjectifs en substantifs (maximalité, aveuglage), les verbes en adjectifs (éviteux), les adjectifs en adverbes (malement, inattendument), les verbes en substantifs (égorgette, raterie, émerveille, disparaisseur), les substantifs en verbes (horloger, riviérer), etc. Et sans que toutes ces transgressions mènent à une réduction de la richesse lexicale ou grammaticale du français (il ne manque ni les mots livresques ou archaïques ni l'imparfait du subjonctif).
Cette langue poétique, nous la retrouvons à chaque page dans La matière de l’absence.
Patrick Chamoiseau est l’auteur d’une quinzaine de romans, récits, nouvelles, également d’une quinzaine d’essais, de contes pour la jeunesse et des plusieurs scenarios de films. Il a obtenu en 1992 le Prix Goncourt, pour Texaco, en 1993 le Prix Carbet de la Caraïbe, pour Antan d’enfance, en 2002 le Prix Spécial du Jury RFO, pour Biblique des derniers gestes, en 2008 le Prix du Livre RFO, pour Un dimanche au cachot.