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Billet de blog 23 avril 2015

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FRANCOIS MASPERO EST MORT, LE CRIEUR DE JOURNAUX EST ORPHELIN !

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« Maspero, pour moi, c’est d’abord une légende. Comme un mantra d’initiés, un vocable qui accompagnait l’interdit, le subversif, le marronnage, la résistance qui se prépare au bond.C’est aussi comme un bout de formule secrète qui inaugurait la mise en transformation de moi-même et du monde »Patrick Chamoiseau

La cérémonie des adieux s’est déroulée le samedi 18 avril au cimetière du Montparnasse. François Maspero restera le Résistant, qui jusqu'aux derniers jours de sa vie fut le combattant  pour la défense de la Liberté, des Droits de l’homme et de la dignité humaine. Face à l’immense tâche qui reste à accomplir, il aimait, avec malice, citer Victor Serge : « De défaite en défaite jusqu'à la victoire finale … !»

 Il demeure près du poète César Vallejo dont il avait achevé la traduction des œuvres complètes en 2011. Dans la préface à cet ouvrage Jorge Semprun a écrit : « Dans son livre les abeilles et la guêpe François Maspero évoque notre rencontre sur la tombe de Vallejo au cimetière du Montparnasse qui deviendra le lieu géométrique de nos souvenirs peuplés des ombres frères de ceux qui hantent les derniers poèmes de Vallejo – ceux de l’Espagne. Mais nous le savons, François Maspero l’a écrit dans le sourire du Chat « au jeu de la vérité, le souvenir fût-il secouru par l’histoire, est toujours perdant. Comme la poésie de Vallejo est perdante – comme l’Espagne l’a été ». César Vallejo disait  qu’il avait toujours fait la différence entre les « évêques bolcheviques » et les communistes en chair et en os de toutes les clandestinités antifascistes : « Garde toi Espagne de ta propre Espagne  /  Garde toi de la faucille sans marteau / Garde toi du marteau sans faucille / Garde toi de la victime malgré elle / Garde toi du bourreau malgré lui / Et de l’indifférent malgré lui /….Garde toi de tes héros / Garde toi de tes morts / Garde toi de la République / Garde toi de l’avenir ! … » (César Vallejo Espagne écarte moi de ce calice - traduction François Maspero)

 Ces derniers mois, chaque fois que nous marchions dans les rues de Paris, François Maspero disait que ses parents ( sa mère résistante déportée à Ravensbrück , son père résistant mort à Buchenwald, son frère résistant dans la jeunesse communiste à Paris  et mort au combat dans l’armée américaine, engagé dans un bataillon de première ligne) et lui-même ne s’étaient pas battus pour voir la misère qui se développe aujourd’hui, visible dans nos rues, alors que d’autres vivent dans des richesses inimaginables et insensées.

 Souvent il venait me chercher et me raccompagner à la gare de Lyon, nous avions pris l’habitude de prendre une consommation à la brasserie du Train Bleu…brasserie des transits, brasserie de la nostalgie à l’évocation des trains de nuit pour Milan, Venise, le sud de l’Italie le chemin des Balkans, les voyages avec Klavdij Sluban  sur les chemins du « cancer des frontières » pour écrire Balkans transit. Mais la gare de Lyon c’est aussi les départs vers le midi. Ce midi défiguré par les promoteurs immobiliers, les mafias et toutes les extrêmes -droites. François Maspero avait la nostalgie du midi de son enfance du temps des italiens ou du dernier voyage de Lise, le midi dont le parfum, les saveurs se révélaient  après le passage de la gare de Valence…De ce midi détruit émerge la citadelle des Cévennes. Terre de résistance ; camisards et maquisards réunis ont laissé les traces de leurs luttes pour la liberté. Sur le chemin de la draille au dessus du Vigan, François Maspero retrouvait un léger accent du midi lorsqu’il dialoguait avec ses amis de la Confédération Paysanne qui habitent cette terre au bas du col de l’Exil, col qui était franchi par celles et ceux qui partaient pour le nord en espérant trouver un travail. L’exil  présent dans la vie de François Maspero dès le jour de  sa seconde naissance  en juillet 1944 quand la Gestapo est venue arrêter ses parents.

 Il était impossible pour François Maspero d’avoir participé  à la Résistance en ayant accepté et compris les choix de sa famille et de faire comme si  au lendemain de la guerre, la poursuite du colonialisme, le développement de l’échange inégal n’étaient pas une trahison des idéaux de la Résistance parce qu’« un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple libre ». Aux cœurs des luttes anticoloniales, des hommes et des femmes de tous les continents  ont espéré changer le monde, François Maspero en fut.

Sa maison d’édition, qui portait volontairement son nom en signe d’indépendance et de risque assumé  et la librairie La Joie de Lire furent des maillons de cette immense chaîne émancipatrice. En même temps François Maspero était lui-même un militant engagé dans des tâches de soutien aux combattants de l’indépendance algérienne bien au delà de la signature du manifeste des 121 pour le droit à l’insoumission, il participait aux passages de frontières pour les combattants recherchés par la police française…une traversée des frontières que la direction du FLN lui a demandé de cesser dès qu’elle en fut informée ; elle ne tenait pas à voir disparaître une maison d’édition et une librairie aussi importantes pour elle que les éditions Maspero. Engagement très concret de François Maspero quand les auteurs publiés par lui étaient poursuivis, il partait les soutenir que ce soit à Madrid, Tel-Aviv ou La Paz avec chaque fois les injures, les menaces et les expulsions ; en Bolivie ce fut plus grave avec des simulacres d’exécutions de la police bolivienne aux ordres  des « Yankees ». Ce voyage à La Paz où personne ne voulut accompagner François Maspero pour soutenir Régis Debray, finalement seul Chris Marker partira avec lui.

Les assassinats de Guevara et des leaders des luttes anticoloniales en Afrique ont mis fin au chemin des espérances d’émancipation des logiques impériales de l’Ouest et de l’Est. A la fin des années 1960 le monde rentre dans un autre temps.

Avec clairvoyance, politique et humaine, dés 1968 François Maspero donne la parole à celles et ceux qui allaient construire l’opposition démocratique dans l’Europe Centrale et Orientale en publiant dans la revue Partisans un texte des étudiants de Prague dénonçant l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie.  François Maspero a accompagné des militants politiques qui voulaient dessiner un autre monde, il créera et dirigera ainsi la revue L’ Alternative, qu’il ne cédera pas à François Gèze lors de la reprise des éditions par La Découverte mais qui cessera sa parution en 1984 devant la présence du nationalisme parmi certains « dissidents ». Il y a deux ans des jeunes indignés de Budapest sont allés rechercher des opposants des « années de fer » pour leur demander : que s’est-il passé ? qu’êtes-vous devenus  depuis l’implosion du système soviétique et la chute du mur de Berlin  et la victoire du libéralisme le plus sauvage ! La chute du mur de Berlin a ouvert un autre temps du monde dans lequel nous sommes aujourd’hui. Temps  chaotique où le veilleur surveille le sniper.

 François Maspero n’était pas un témoin du monde mais un veilleur vigilant, il y a deux mois lors d’une promenade dans les rue de Paris une jeune fille s’approche de nous pour nous faire signer une pétition pour la sauvegardes des abeilles et François de dire immédiatement : «  pour les abeilles c’est important, je signe !» lui  qui a toujours hésité à signer des pétitions et qui je crois n’en signera pratiquement plus. Peut-être  a-t-il pensé en signant à son livre les abeilles et la guêpe… la guêpe qui comme lui vient perturber le jeu des abeilles bâtisseuses...

Avec l’exposition François Maspero et les paysages humains et la réalisation du film François Maspero les chemins de la liberté, nous avons fait ensemble beaucoup de haltes dans des librairies, des médiathèques, des salles d’expositions. François rappelait toujours avec ironie et gourmandise que le « métier d’éditeur est un métier de proxénètes, qu’il avait le goût de la typographie, le goût des mots et des artisans éditeurs libres » (c'est-à-dire des éditeurs indépendants des groupes de presse et même des groupes industriels). Et pour celles et ceux qui volaient dans sa librairie et qui pour certains n’hésitaient pas à le revendiquer encore aujourd’hui devant lui, c’était le mépris, la violence retenue avec un regard de feu sans jamais accepter aucune excuse.

Je voudrais évoquer une rencontre exceptionnelle dans une librairie d’Argentat en Corrèze, après quelques mots de présentation de la soirée une jeune femme prend la parole avec une émotion non feinte, une estime pour François Maspero en lui disant : « Monsieur, je voudrais vous remercier d’avoir écrit l’honneur de Saint Arnaud, avec ce livre j’ai compris l’horreur de la conquête de l’Algérie par la France …. » cette jeune femme avait des racines en Algérie. L’invention des chambres à gaz dans les grottes, les violences sauvages, la destruction par les flammes de la bibliothèque de l’émir Abdel Kader… C’est cette France de Bugeaud, Thiers, Pétain, de l’OAS, de Le Pen qui lui était insupportable. Il en a démontré  toutes les turpides, tous les mécanismes et tous les assassinats d’opposants. Cette France-là lui était tellement insupportable qu’il a envisagé de la quitter, lorsque les opposants à la guerre d’Algérie étaient si peu nombreux, quand le combat épuise et que les injures fatiguent et détruisent.

Cet état de vigilance, François Maspero l’exerçait en participant jusqu'à ces derniers jours aux travaux du Tribunal Russel  sur la Palestine et il tenait à préciser que le Droit à l’existence d’Israël était inattaquable.

 L’œuvre et la vie  de François Maspero est une poétique de la Résistance qui peut-être trouve une de ses expressions dans le Chant des Marais. Ce chant créé par les premiers internés des premiers camps de concentration dans l’Allemagne nazie, les communistes, les libertaires, les femmes et les hommes libres. Les derniers vers sont un cri d’espoir quand il était minuit dans le siècle:

Oh terre de détresse

Oh terre de détresse

Où nous devons sans cesse

piocher

Mais un jour de notre vie

Le printemps refleurira

Liberté, liberté chérie

Je dirai : tu es à moi

Oh terre enfin libre

Où nous pourrons enfin vivre

Aimer

Bruno Guichard

directeur de la Maison des Passages - coréalisateur, avec les films du Zebre, du Film François Maspero et les chemins de la liberté - créateur, avec Alain Leger de l'exposition François Maspero et les paysages humains

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