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Billet de blog 29 mars 2015

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Big Brother et traditions

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En cette période d'ouverture de la chasse au bébé phoque, la plupart du temps à des milliers de kilomètres a lieu l'émoi face à cette barbarie servie par des aficionados en manque de GTA, grassement récompensés par l'industrie de la mode, la même qui envahit les moindres recoins de nos rues. Celle qui a mis en vogue la fourrure de chien et autres petits animaux plus mignons les uns que les autres en bordure d'une capuche sur deux. Mais à cette époque qui est la nôtre et même dans nos contrées, la question du jeune veau à qui on prend son cuir commence enfin à causer un certain émoi également, grâce au partage de l'information par ceux qui tâchent de nous dépoussiérer de la propagande de l'industrie. Espérons que les défenseurs des phoques sauront aussi se trouver dans les régions plus proches des phoques. Je vois bien d'ici le canadien offusqué par nos corridas qui signe une pétition du CRAC dès qu'il peut...

Quand on y pense, le problème est que pour l'instant la grande majorité des fameux 99% agirait à la place des 1% exactement comme eux, y compris ceux qui meurent de faim, et même la plupart d'entre nous qui menons une vie aisée, voire même qui sommes indignés et prenons le soin de rendre en fonction notre quotidien le plus cohérent possible. Et c'est qu'en plus d'avoir le privilège de ne pas être dans le besoin qui rend monocorde ni d'être dans l'excès qui rend despote, nous avons aussi cet autre avantage, ce recul qui ouvre la brèche d'un monde meilleur. Saisir cet avantage est sans doute le plus grand espoir de changement de notre civilisation.

Quel que soit l'indulgence que l'on s'autorise, il y aura toujours cette part plus ou moins infime chez chacun, cette part à éveiller et à cultiver. Quelque chose en soi éclaire sur ce qui pourrait sortir et préserver de cette attrape-humains qu'est le système actuel, dans lequel le tirage au sort à la naissance, selon qu'il nous classe SDF ou PDG, enfant irakien ou prince de Monaco, nous rend plus ou moins parasite des ressources d'autrui. Cette force d'action et de conscience, si difficile à toucher du doigt et à définir, ne va pas délimiter, ne va pas classer, elle n'est pas le fruit d'un savant calcul ni se ressource dans un règlement de comptes. Justement, elle rend la rancœur insipide, la valeur de l'argent inintéressante et paralyse la soif de pouvoir. 

Renan Larue explique très bien les raisons judéo-chrétiennes, culpabilisatrices donc, du rejet du végétarisme comme étant la trahison de sa propre espèce par la négation des avantages qu'elle se serait attribués. Il affirme même que les origines de ce phénomène se trouveraient il y a 24 siècles, à l'âge d'or des philosophes grecs. En réalité, toute barbarie humaine est à un point ou un autre justifiée par celui qui la pratique, et considérée comme inadmissible par d'autres. Aucune barbarie originelle n'a de justification si ce n'est celle d'assouvir la revanche de la souffrance d'un vécu malheureux. Aucun enfant aimé, sans avoir connu l'exemple du sadisme, n'a en lui l'instinct inné et gratuit de la torture. La meilleure manière que l'humain a eu d'expliquer chacune des barbaries qu'il opérait, s'il n'avait pas le recul de sa revanche originelle ou le culot de (se) l'avouer, était donc de se servir d'un dieu ou chef dominateur, punisseur et égotique - à son image - qu'il faudrait servir à tout prix. Cette métaphore de lui-même a permis à l'humain non seulement de justifier les pires atrocités, mais aussi de s'enterrer dans des nœuds non résolus, qui en dehors de certaines rares cultures pacifiques comme la bouddhiste, ont occulté la peur originelle la plus grande de toutes, celle de regarder la mort en face, à travers des traditions plus ou moins carnassières, allant du simple ramassage de coquillages à la plage au génocide de ses propres voisins.

Et de quelle autre manière l'abscondité d'une habitude peut-elle se camoufler? En l'imposant à son milieu comme étant une fierté. Sans quoi par exemple jamais personne n'aurait pu chanter "Le temps des colonies", ni aucun pays ne pourrait se classer dans les puissants alors que tout avion qui le survole se trouve systématiquement à moins de 15 minutes d'une centrale nucléaire. Les traditions sont un outil merveilleux en ce qui concerne le profit, car elles peuvent justifier des atrocités sans qu'on n'ait besoin de s'expliquer le moins du monde. L'encouragement publicitaire, les privilèges apparemment obtenus par ceux qui cèdent à ces mouvements, qu'ils soient nés dedans ou qu'ils y adhèrent pour faire partie du groupe, sont autant d'outils pour obtenir ou fidéliser ses recrues en toute impunité, selon les meilleures techniques du groupe social avancées par Deleuze et du langage analysées par Klemperer. Le démultiplication de domaines concernés et la quantité d'humains qui commencent sérieusement à s'entasser sur cette Terre ne donnent qu'une idée de la proportion du nombre de besoins qui nous sont créés de toutes pièces au quotidien, sans que nous sachions comment en sortir le plus souvent.

Et c'est donc précisément là que la brèche doit faire ses preuves. Car la seule garantie de ne pas y arriver serait de baisser les bras et de ne plus y croire, le fameux silence des pantoufles, le célèbre théorème des singes selon lequel un groupe peut transmettre des habitudes qui desservent l'avancée de sa propre société. La brèche est nécessaire sans quoi les enfants mangeraient du chocolat à en tomber malades, n'ayant pas la connaissance de la frontière entre la quantité qui est agréable et celle qui devient indigeste. Cette culture à transmettre est plus qu'utile, tout comme l'outil qu'est notre portefeuille, véritable bulletin de vote quotidien, à affuter régulièrement. Aujourd'hui, tel un art martial d'autodéfense, l'adage de Coluche "Dire que si personne n'achetait ça ne se vendrait plus" prend tout son sens plus que jamais. 

Désormais donc, pour sortir de ce cercle vicieux traditionnel, il ne reste plus qu'à être le singe qui dans la nuit parvient à saisir les bananes secrètement et à les partager avec tous les autres, pour qu'au moment de leur réveil l'alternative opère. Au fond, au delà des traditions, en possession de l'information, il y a le bon sens et l'empathie. Si la peur engendre l'obscurantisme et le désespoir, la culture et le raisonnement personnel peuvent faire tache d'huile et devenir la brèche qui se fera enfin la peau de Big Brother.

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