Les négociations qui s’ouvrent avec les Etats-Unis ne peuvent devenir le lieu de tractations de nos propres législations ou conduire à une augmentation de nos importations en GNL. Le récent retrait par la Commission de la législation sur la responsabilité sur l’IA est, à ce titre, pour le moins troublant. Surtout,le point essentiel de cette riposte ne peut être d’accélérer le libre échange comme le proposait la Commission : 0% réciproque de droits de douanes dans les échanges commerciaux de produits industriels. Et avec le reste du monde comme avec des accords avec le Mercosur, le Mexique, l’Inde ou encore les Emirats-Arabes-Unis. Et pour que cela puisse se faire sans entrave, les législations qui régulent nos marchés sont remis sur l’établi par l'extrême-droite et la droite européenne : la déforestation importée ou encore le devoir de vigilance (à savoir l’obligation de reporting et de traçabilité des chaînes d’approvisionnement).
Encore plus inquiétants sont les signes de rapprochement avec la Chine, après l’appel du président Chinois à “résister ensemble” avec l’Union européenne1. Le même pays que nous accusions, d’une voix quasiment unanime, d’avoir précipité notre industrie vers l'abîme et qui s’attaque à la distribution et au commerce en Europe, avec des pratiques commerciales plus que douteuses. Où en est la commission d'enquête que nous avons obtenue au début de ce mandat, qui n’a toujours pas livré ses premières conclusions sur Temu et Shein, sites chinois leader de e-commerce en Europe ? Quel sera le sort du rapport d’initiative parlementaire européen sur le e-commerce et les produits importés ? Est-ce que le report de l’étude de la loi sur l’ultra fast-fashion au Sénat en France n’est pas de nature à indiquer que nous cherchons de nouveaux meilleurs ennemis pour notre business ?
Au-delà du revirement, ce serait reproduire des méthodes du passé, qui ont justement provoqué les crises que nous connaissons : la crise écologique, la crise agricole, ou encore celles des grands secteurs structurants de notre industrie, de l’acier et de l'automobile. L’argument est toujours le même : le libre-échange et l’intensification des échanges commerciaux auraient permis de gagner des dizaines de milliards d’euros. Mais cette croissance ne rend en rien compte du bilan économique et social réel. On le sait pourtant, s’il y a des gagnants, il y a aussi des perdants. Certains secteurs comme le textile ou la fabrication de produits manufacturés ont presque disparu. Quand d’autres, comme la grande distribution ou encore la chimie, ont prospéré. Ce sont des territoires entiers qui ont été dévastés. Un exemple : qui paye aujourd’hui pour prendre en charge les 300 000 friches polluées en France, ou pour les dépenses de santé de ceux qui payent le prix fort de nos choix de développement, de la pollution locale aux toxiques présents dans les produits consommés ?
L’Europe ne doit pas chercher de nouveaux meilleurs ennemis dans le jeu du business. Elle dispose en réalité de deux vraies cartes gagnantes.
Sa première carte est son marché intérieur et la collaboration entre ses Etats membres. Pour compenser 1% de baisse des exportations vers les Etats-Unis, il suffirait d’augmenter de 0,12% le commerce intra européen2. Ce que nous réclamons, depuis toujours, avec le Buy European Act, tourner notre économie davantage vers notre marché intérieur, en produisant durablement ici, ce que nous consommons ici. Et investir ensemble pour cela. C’est urgent aujourd’hui pour notre autonomie stratégique.
Sa seconde carte gagnante est la solidarité, fondatrice de nos institutions. D’abord entre les Etats membres, car tous ne seront pas impactés de la même manière par les mesures douanières. Alors que les prévisions estiment que la perte de PIB européen à 0,25% en moyenne. C’est pour cela qu’un fond de compensation, pour les pays et secteurs qui seraient les plus touchés, doit être immédiatement envisagé. Solidarité aussi avec les Etats tiers, comme le Bangladesh ou le Lesotho, car leurs emplois et leurs ressources dépendent des exportations vers les Etats-Unis. Ceux qui retiennent leur souffle face à la menace de voir leurs intégrités territoriales et leurs ressources frappées, ou encore qui ont vu, du jour au lendemain, l’USAID se retirer. Il ne faudra pas trembler pour activer l’instrument anti-coercition, mettre en place une taxe sur les géants du numérique, ne rien céder sur les Big-Tech, la régulation des services digitaux ou les politiques de diversité dans les entreprises, malgré les pressions de JD Vance, vice-président des Etats-Unis.
Car dans cette recomposition de l’ordre économique, si nous cédons à la tentative d’imposer de nouveau la loi du plus fort comme principe civilisationnel des relations entre les peuples, nous perdrons la bataille culturelle, celle qui précède les vraies défaites.
1. https://www.lecho.be/dossiers/guerre-commerciale/ue-et-chine-doivent-resister-ensemble-a-la-coercition-americaine-selon-xi-jinping/10602288.html
2. https://economic-research.bnpparibas.com/html/fr-FR/Cinq-raisons-lesquelles-Trumponomics-pourraient-affaiblir-Europe-contraire-10/02/2025,51298