Je suis machiniste receveur à la RATP.
Avant même le confinement, nous entendions de plus en plus de cas confirmés de covid-19 autour de nous, que cela soit parmi les gens que l'on transportait ou même parmi les collègues.
Nous avions tous la volonté d’arrêter de vendre des tickets de bus aux clients. Nous avons demandé à pouvoir monter la vitre pour éviter tout contact. Le problème est toujours de pouvoir le faire réellement.
Les premiers jours, il était très "déplacé" de conduire avec la vitre levée car cela n'apparaissait pas commercial pour le client. Et toujours pas officialisé par la direction. Alors certains le faisaient. Après tout ce temps passé au contact des voyageurs et des collègue, le 16 mars, enfin, c'est officiel : nous ne vendons plus de ticket, c'est une première victoire.
Vitre levée, demi porte fermée.
Mais la montée s'effectue toujours par l'avant.
Nous nous battons alors pour que celle ci soit effectuée par l’arrière pour éviter aux gens de valider leur ticket et qu'ils touchent tous le « valideur ».
Le 18 mars
Tous les services commencent et finissent au dépôt. Car des fois nous commencions et nous prenions la relève d’un collègue directement à la gare. Du coup c'est plutôt une bonne nouvelle, on se dit que l'on aura un bus attitré au service et pas de passage de bus entre collègues, sans désinfection.
Détrompez vous.

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Le 20 mars
Nous aurons les chefs qui sortent un peu de leur bureau pour nous installer de la Rubalise sur les deux premiers sièges. Heureusement qu'ils sont là, sur le terrain, ces super chefs (c'est ironique).
Le 22 mars
On nous distribue un kit avec deux masques et des lingettes de désinfection, des gants, avec une procédure à respecter.
On nous dit clairement que ce n'est pas un masque pour nous. Mais en cas d'intervention d'un cas de suspicion de covid19 dans notre bus.
Le 24 mars
La direction nous demande d'effectuer tous les arrêts de la ligne même si personne ne demande l'arrêt. Pour... éviter que les gens n'appuient sur le bouton de « demande d'arrêt ». Bonne idée sauf que les boutons de « demande d'arrêt » ne sont pas désactivés. Résultat : les gens appuient quand même donc ...cela ne change rien. À part que la ligne est encore plus ralentie, avec plus de monde ensemble.
La consigne est d'ouvrir les portes à chaque arrêt de bus pour « aérer ».
La RATP a revu son offre de transport et l'a adaptée à la crise. Sauf que moins de bus, c'est plus de monde réuni.
Nous ne transportons pas de pompiers, médecins ou infirmières toute la journée. Nous servons à faire circuler le virus.
En ce qui concerne les services dépôts. On peut se dire que cela pourra aussi permettre une gestion adaptée, pour avoir un bus nominatif par service. Non.
Les mêmes bus d'une ligne roulent toute la journée. L'agent du matin fait son service, il prend un bus qui a été désinfecté par une société privée, payée au lance pierre par ailleurs. Cette société s'occupe de nettoyer le sol des bus, passer le balai, puis depuis peu, elle nettoie les barres et tableau de bord. Sûrement avec une seule et même lingette.
Cette « désinfection » est faite de nuit par les gens du ménage avec un listing de bus que eux-même ne comprennent pas. Du coup l'agent du matin récupère un bus normalement désinfecté. Il fait son service et rentre au dépôt puis rentre chez lui.
Puis vient l'agent de l'après-midi.
On pourrait croire que lui aussi a « la chance » d'avoir un bus désinfecté puisque la majorité des bus sont garés à ne pas rouler.
Hé bien non, détrompez-vous. Il récupérera le bus du collègue du matin. Alors gain de quoi ? Je ne sais pas.
Il n'aura pas cette chance là. Il devra lui même désinfecter son plan de travail avec ces « rince-doigts » enfin c'est comme ça que j'appelle ça.
On a eu une fiole de gel hydro-alcoolique au tout début. On a signé pour ne pas tricher à en prendre deux... Depuis le début du confinement on nous donne quand il y en a.
Un sachet avec 5 lingettes désinfectante. Avec ces « rinces doigts » essayez de désinfecter un tableau de bord de bus.

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Un sachet avec 5 lingettes désinfectante. Avec ces « rinces doigts » essayez de désinfecter un tableau de bord de bus. Le volant. La vingtaine de boutons. Poignée de porte. Poignée de fenêtre. Le téléphone pour appeler la régulation. L'ICS de contrôle. Les manettes de relevage du siège et j'en passe. Du coup, oui, nous prenons un même bus toute la journée. Et nous nous repassons les bus entre collègue sans désinfection.
Le bureau « d'accueil et maîtrise » est couvert de rubalise, de haut en bas. Avec des consignes de sécurité, de HOT SÉCURITÉ.
Nous passons, nous les machinistes, pour des gens infectés.
« Non les gars, pas à deux - Gardez vos distances ». Tu viens, tu bosses et tu la fermes. Et tout se passera bien.
Jusqu'à aujourd'hui le machiniste qui veut porter son masque au volant est très mal vu. La conduite du bus avec des gants ne nous est pas autorisée.
Lorsque l'on sort un peu du bus, pour aller au terminus quand nous avons le temps, nous rencontrons des gens qui demande des renseignements, tout simplement un conseil de correspondance ou autre. Mais la RATP ne prévoit pas de masques pour ses agents sur le terrain au contact de la population.
Nous transportons des gens malades, qui vont aux urgences ou même des gens peut-être porteur du virus sans le savoir.
Ce n'est pas sans remarque qu'un machiniste se rends au dépôt avec un masque. Certains agents de maitrise font des réflexions : « Tu sais ...le masque... ce n'est pas obligatoire heiiin ». Comme si en pleine crise nous avions besoin de prendre ce genre de réflexions. Alors qu'eux sont confinés dans leurs bureaux. À part les gens qui nous accueillent pour relever la présence, on ne voit personne sur le terrain. Pas d'agents de maitrise, nulle part. Encore moins sur ligne ni aux terminus. Aucune information rien.
Au jour le jour on nous pond des directives.
On te remet tes lingettes désinfectantes comme une médaille de bravoure. À savoir si tu n'en a pas déjà eu. Et surtout, SI IL EN RESTE.
Personne sur les lignes. Personne dans.les locaux. Pas de nouvelles du chef de dépôt. Pas de permanence pour avoir des infos. Pas de nouvelles du responsable de ligne. Pas de syndicats. Le flou total. Tu viens, tu badges, tu prends ton bus, tu fait tes kilomètres et tu rentres chez toi.
Je ne travaille pas pour la gloire. J'ai fais le choix de travailler car j'ai la santé. Je ne crache pas, ni sur les collègues en arrêt, ni sur les collègues qui gardent leurs enfants. Je suis papa aussi d'une grande famille, j'aurai aimé moi aussi être au chaud avec mes proches en confinement.
Résultat : encore plus stressé.
J'ai vu un médecin en "visio", il ma proposer directement un arrêt de travail après ce que je lui ai raconté. Je lui ai dit « non docteur mais je veux bien un truc qui m'apaise, qui me calme. » Du coup il m'a prescrit un déstressant. Car je devenais trop désagréable à la maison en rentrant du travail ou en repos.
Nous avons des « pointages maintien à la maison ». Ce pointage permet à l'agent de rester chez lui mais de rester disponible si on l'appelle. Donc ça tombe au jour le jour au bon vouloir de....on ne sait qui. Certains dépôts fonctionnent par semaine. Est ce que cela va être payé ou compté comme du chômage partiel ? Pas d'information. Aucune information sur la prime de 1000 € non plus. Nous ne la méritons pas ? Nous sommes début avril et personne ne sait se prononcer sur cela. Nous avons le sentiment qu'il est mieux pour eux que les agents soient en arrêt maladie que payé à la maison en « maintien de disponibilité ».
En ce qui concerne les collègues infectés. Aucune information sur cela. Nous avons un collègue infecté qui a été hospitalisé et est sorti d'affaire maintenant mais qui a frôler la mort, sur notre ligne.
J'ai eu la chance d'avoir ce collègue au téléphone pour prendre de ses nouvelles. Quand il est sorti d'hospitalisation, il a prévenu le dépôt et a déposé son arrêt de travail. À ce jour il n'a reçu aucune nouvelle, aucun appel, aucun message de la direction du centre-bus, ni de son chef de ligne. Un « bon rétablissement » ? Mérite-t-il cela ?
Nous, collègue de la même ligne, avons conduit les même bus que lui. Nous avons fréquenté les mêmes terminus, la même machine a café. Mais jusqu'à aujourd’hui, sur la ligne, personne à part moi ne sait qu'un de nos collègues a failli mourir du covid-19.
Malaise général, manque de respect des agents, manque de reconnaissance. Le temps est long. Et nous avons tous les jours le sentiment de ramener ce virus a la maison, qui pourrait infecter notre famille, ou les voisins en appuyant sur le bouton de l'ascenseur. La dernière roue du carrosse.