Vous brûlez des cierges, vous racontez le deuil, l’effroi, les hommages se multiplient, et nous mesurons ce que vous auriez pu.
On savait, nous ne sommes pas naïfs, que votre indifférence était un choix. Nous savions aussi que c’était le résultat amer de la machine à déshumaniser les musulmans, et que nos protestations étaient bien vaines face à cet ordre racial là. Mais c’est toujours monstrueux de vérifier à quel point.
Vos morts ont des bougies, les nôtres l’indifférence ou la pisse. C’est le monde que vous nous offrez.
Je ne suis pas surprise, nos ainés nous ont appris à ne jamais compter sur votre moralité, mais ma peau est si fine, ce serait mentir que de dire que j’en ai pas le vertige. Votre universalisme est si cruel quand on est assignés en dehors de celui-ci.
Quand nous comptions nos morts, quand conscients de votre indifférence, nous étions coupables de ménager nos efforts, ou peut-être de protéger nos martyrs de votre apathie, nous prenions même plus la peine de vous raconter nos tragédies. Mais hier, avant-hier, il y a une semaine, un mois, six mois, un an, cinq ans, dix ans, vingt ans : vous auriez pu.
Pour la Palestine, la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Libye, vous auriez pu. Les morts arabes ne sont pas kilométriques, ils sont juste non-Blancs.Votre humanisme est si risible, quand on est assignés en dehors de celui-ci.
Après le 7 Octobre vint le soupçon, par vous, de nos instincts barbares, et il s’érige entre nous comme un mur infranchissable.
Comme une insulte aussi : celles et ceux qui font la fête toute l’année à quelques km de Gaza se croient autorisés de nous soupçonner d’immoralité. Celles et ceux qui s’accommodent d’un monde où les Palestiniens suffoquent, où nos bombes françaises sont vendus puis larguées sur des civils en Afrique et au Moyen-Orient - ces civils qui eux n’ont jamais eu de noms -ceux-là se pensent autorisés à sonder nos âmes.
Alors quand coule le sang de ceux que même la Tour Eiffel pleure, je me refuse à vous confier mon amertume, quand bien même celle-ci vous rassurerait peut-être sur mon humanité.
Après votre long silence, alors que nos tragédies collectives vous éclaboussent, vous qui êtes si souvent protégés, vous osez nous demander si nous avons mal, nous aussi. Vous avez besoin, un besoin viscéral, de le vérifier. Vous n’en avez pas honte et vous posez la question ouvertement :
est-ce que notre sang vous réjouit ?
Je réponds rien à votre insulte.
Ou je réponds : je vous emmerde, nous avons mal partout depuis trop longtemps, jamais je ne vous montrerai mes plaies !
Je préfère être digne qu’être comprise, c’est comme ça. Je préfère que vous ayez peur de moi plutôt que de vous confier mes cauchemars, uniquement pour réaliser que vous êtes incapables de les écouter.
Je crois qu’on est nombreux, comme ça.
Le combat est perdu d’avance, ce sera nous les monstres, et vous l’écrirez partout : dans les journaux d’abord, puis dans les livres que nos enfants liront, dans les films qu’ils visionneront.
De l’autre côté du bien, de la civilisation, de l’innocence, nous vous disons : c’est vous les monstres d’indifférence ! C’est vous la gauche qui pense s’élever en nous sermonnant, c’est vous qui êtes capables de faire la fête à quelques minutes d’une prison à ciel ouvert ! C’est vous dont l’ordre n’a jamais été perturbé par la tragédie palestinienne, par les civils bombardés, les journalistes ciblés ! C’est vous dont le deuil et l’hommage s’érigent comme une frontière entre le Nord et le Sud !
C’est vous qui n’écoutez jamais les voix palestiniennes qui ont la noblesse de vous répéter, calmement, qu’ils existent et méritent à ce titre qu’on les considère.
Nous n’avons aucune leçon à recevoir de vous, c’est vous les animaux !
Rupture. Les mots polis, appris dans les couloirs de vos universités prestigieuses, auprès de ceux qui n’ont jamais eu besoin d’hurler pour être entendus, m’échappent : je vous lance un ultime crachat et le dialogue est rompu.
Vous ne comprenez pas ma haine.
Et me voilà, moi, bête enragée, moi qui suis personne, moi qui titube à la vue du sang, moi fragile, moi arabe, moi qui ai mal au bide, me voilà enragée, me voilà comme vous pensiez que je l’étais depuis le début.
Que votre universalisme est cruel, quand on est assignés en dehors de celui-ci...
Makroura