En matière de délinquance juvénile et de violences urbaines, les travaux de l'Ecole de Chicago entre les années 1930 et 1060 constituent une des principales références empiriques et théoriques. Les sciences sociales en général et la sociologie américaine en particulier ont été des instruments clés de la réforme sociale face aux problèmes d'intégration sociale, de délinquance juvénile et de violence urbaine dans les sociétés ayant une tradition d'immigration. En se préoccupant davantage aux causes sociales de ces phénomènes qu'à leurs conséquences évidentes en termes d'insécurité, elles se sont données les moyens de susciter une action publique responsable, cherchant avant tout à prévenir qu'à réprimer, fortes de la conviction que la seule répression, aussi massive et dure qu'elle puisse être, ne sera jamais une solution efficace.
La sociologie française a su emboîter le pas à ces recherches. Les démarches actionnalistes ont ainsi, dans un premier temps, mis l'accent sur la signification sociale de la délinquance juvénile en France dans les années 1970 : l'engagement dans des bandes ou dans des sous-cultures juvéniles avec toutes les opportunités qu'elles peuvent offrir en termes de passage à l'acte délinquant, a été analysé comme un moyen pour des sujets frustrés de leurs conditions sociales et désireux de contrecarrer la domination ou l'exclusion sociale dont ils pouvaient être la proie dedevenir des acteurs au sens sociologique du terme, c'est-à-dire des conscients et opposés. C'est justement l'épuisement du mouvement ouvrier qui permettait d'expliquer l'expérience de la galère dans les grands ensembles en France (F. Dubet) avec des sujets impuissants face à la domination et l'exclusion dont ils pouvaient être victimes, faute d'un ancrage et d'une intégration dans des groupes intermédiaires porteurs de revendications.
Beaucoup de sociologues ont été formés dans ce contexte particulier où l'opinion a été portée à croire qu'il y avait une recrudescence de la délinquance et de la violence des jeunes dans la société française. Les maîtres insistaient alors auprès de leurs étudiants afin de rester vigilants et attentifs pour continuer à construire dans le seul domaine scientifique. Il fallait se méfier des statistiques policières et des informations données par l'administration pour établir une hausse ou une baisse des phénomènes en question comme il fallait aussi se garder de croire aux impressions que pouvaient véhiculer l'opinion publique par médias interposés (L. Mucchielli). C'est grâce à ces précautions que l'on a pu, dans différents contextes, mesurer l'écart qu'il pouvait y avoir entre l'insécurité en termes de chiffres et le sentiment d'insécurité qui pouvait se propager par simple mimétisme ou par simple sensibilité aux images choisies de la télévision.
Quand les sciences sociales sont détournées de leurs vérités
Malgré ces mises en garde des maîtres, des soi-disant sociologues auto-déclarés criminologues - une appellation qui marquait peut-être leur mauvaise foi - ont choisi l'idéologie et l'entrisme. On peut aisément comprendre leur stratégie. Traditionnellement, sur les questions sociales comme la délinquance juvénile et les problèmes d'intégration et d'exclusion, les sociologues ont toujours inspiré l'action de la gauche malgré eux. Or, dans un contexte marqué par l'hégémonie de la droite dans la plupart des démocraties occidentales, se positionner dans ce courant politique pouvait assurer un certain avantage : avec peu de concurrence, on avait davantage de chance d'être recruté comme conseiller du prince.
Maurice Cusson, criminologue canadien, fut l’un des premiers de cette catégorie de conseillers. Il a développé une analyse de la délinquance juvénile comme relevant strictement de comportements rationnels avec des buts objectifs et clairs : user délibérément de moyens illicites pour participer à la vie économique et à la consommation. Pour cet auteur, en effet, les délinquants font des calculs rationnels avec une mesure des risques pris par rapport à l'utilité que leur procurent leurs larcins et à l'espérance de leurs gains. Cette analyse a justifié les politiques répressives des années 1990 en France, assimilant ainsi les politiques de prévention au "laxisme" de gauche.
La figure la plus fidèle et la plus finie de cette posture est aujourd’hui Sébastien Roché, figure intellectuelle qui a émergé en France à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, et dont on ne sait toujours pas avec certitude s'il est sociologue, criminologue ou politiste. Toujours est-il qu'il a réussi un coup de maître : transformer les "incivilités" des jeunes issus des milieux populaires en "crimes", donc ouvertes aux poursuites pénale. Pourtant, dans cette catégorie de faits où sont rassemblés le manque de politesse et/ou de respect, l'indiscipline, les menus dégradations de boîtes aux lettres, les crachats, l'occupation de hall d'immeubles, une infime minorité est prise en compte dans le code pénal classique. Comme tout idéologue de droite, Roché a choisi de ne s'intéresser qu'aux conséquences de ces actes en termes de "victimations" : le ressentiment des victimes justifie l'organisation de leur répression systématique, peu importe leurs causes ou leurs significations sociales et sociologiques des comportements et des conduites en cause. Pour lui, "la rupture de l'ordre" que créent les incivilités – qui sont pour lui de nouvelles formes de la délinquance juvénile – mérite une réparation immédiate et la droite est la seule formation politique pouvant la mener efficacement.
Roché et sa posture à peine voilée de conseiller du « roi » Sarko
Ceci n'est pas un procès d'intention. A travers cette communication, je cherche juste à rendre à César ce qui appartient à César. Voici ce que le prétendu sociologue-criminologue – qui mue comme au gré de l’actualité, et qui, à cette occasion, a repris opportunément sa casquette de politologue cette fois (c’est ce qu’il est censé être compte tenu de sa formation universitaire initiale) – disait froidement dans le journal de France inter, dans son édition de treize heures du samedi 31 juillet, pour réagir au discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble, discours où il a stigmatisé les Français d'origine étrangère :
"Le chef de l'Etat pense à 2012 (pourquoi pas à 2017 ?), à la prochaine échéance électorale. Il sait qu'il a réussi à gagner en ayant conquis, en ayant capturé les voix du Front national et il ne peut pas se représenter et gagner sans le FN. Les deux thématiques clés du FN sont bien connues, c'est d'un côté l'insécurité, la délinquance, et de l'autre côté l'immigration. Pour avoir les électeurs du FN, il faut aborder les thèmes les thèmes du FN (...) Le FN, avec Marine Le Pen, semble dans une bonne période. Il revient d'un accident considérable, il remonte la pente avec une Marine Le Pen plus jeune qui évite les erreurs de langage de son père, et dans cette perspective là, le FN a abordé des thèmes réels comme l'insécurité, comme la délinquance, qui sont des réalités aujourd'hui : ce ne sont pas que des thèmes du FN, ce sont des réalités. Donc Nicolas Sarkozy doit les affronter également".
Et la naïve journaliste lui pose cette question : " Autres réalités, la crise, le chômage ont des effets sans doute sur l'électorat ouvrier qui s'était bien porté sur le candidat Sarkozy en 2007. Est-ce que le gouvernement a perdu du terrain là aussi ?
Roché se transforme instantanément en économiste-politologue, prononçant des termes sans aucune maîtrise intellectuelle ni de rigueur scientifique, utilisant de manière indifférenciée les expressions « le chef de l'Etat » et « le gouvernement », sans les différencier dans leurs fonctions institutionnelles, comme s'il s'agissait des mêmes fonctions dans le cadre de la Vème République : " Le gouvernement n'a pas beaucoup de marge de manoeuvre, il y a d'un côté la crise de l'Etat au sens la crise des recettes publiques, il y a la crise fiscale, l'explosion de la bulle financière. Et donc quelles sont les propositions que le chef de l'Etat peut faire en cette matière ? Quelles sont les marges de progression ? Elles sont assez faibles : les taux de chômage très élevés, la précarité est là, donc il ne peut pas faire vraiment de propositions susceptibles de marquer l'opinion et d'engendrer l'adhésion. Donc il revient sur les thèmes de la sécurité qui sont ses thèmes chers. (Et) il revient d'autant plus sur ces thèmes que la gauche est très faible sur ces aspects-là, la gauche n'a pas grand-chose à dire sur la question des minorités, la gauche n'a pas grand-chose à dire sur la question de la délinquance, et encore moins sur la conjonction des thématiques minorité et délinquance (comme si celle-ci était scientifiquement établie et comme si lui, Roché, connaissait les critères efficients d'une bonne politique en matière de sécurité, sachant que la droite et NS ont les pleins pouvoirs depuis 2002 et que la violence, au niveau de la gravité des actes, a depuis monté de plusieurs crans). Et donc le chef de l'Etat n'a pas d'opposition en face de lui et donc il aurait tort de ne pas aller sur des voies qui lui semblent prometteuses".
Cette justification venant de la part d'un soi-disant scientifique est tout simplement grotesque. La morale de Roché : les fins justifient les moyens.
« Prendre des vessies pour des lanternes » ou la stratégie de la diversion
Je plains ses étudiants qui ont en face d’eux un idéologue pur jus en lieu et place d’un professeur de Sciences sociales. Car j'ai appris par la même occasion que Roché était professeur de Science politique à Grenoble. C'est hallucinant ce qui se passe aujourd'hui en France. Voilà quelqu'un qui est payé par les deniers publics pour enseigner et faire des recherches scientifiques, et qui n'a pas peur d'aller dans une radio publique de grande écoute pour étaler ses convictions idéologiques qui sont, du reste, d'un très mauvais goût. Car si on le suit bien le pseudo scientifique, la France est à la veille de l'élection présidentielle et Nicolas Sarkozy, qui est censé à l’heure actuelle être le président de tous les Français, est entré en campagne électorale ("...Il ne peut pas se représenter et gagner sans le FN" nous dit Roché) alors, qu'en réalité, nous sommes à plus de vingt mois de cette échéance électorale. Sébastien Roché n'est pas suffisamment intellectuel et intelligent pour faire la différence entre une campagne électorale, disons-le avant l’heure, et une stratégie de DIVERSION dont le seul but est de tenter de détourner l'opinion des affaires Woerth-Bettancourt qui affaiblissent l'exécutif et qui, à terme, vont poser la question de sa légitimité.
Il n’est nul besoin d’être diplômé du supérieur pour percevoir et comprendre la cynique stratégie de NS. Dans sa radicalisation forcée où il établit des amalgames et désigne nommément des boucs émissaires, il cherche manifestement la provocation, en faisant le pari que ces amalgames indigneront les « bonnes consciences » et provoqueront un débat aussi bien du point de vue de la morale sociale que de l’action politique. Là ou les observateurs avertis ont perçu un nième tentative de « rebondir » face à des difficultés récurrentes de sa majorité depuis qu’il a été élu dans sa conduite et son style de gouvernance (les épisodes du Fouquets et du bateau de Boloré, les défaites successives aux élections locales avec la dernière en date au printemps 2010, et, aujourd’hui les soupçons de conflits d’intérêts et de financement illégal de sa campagne électorale nés de l’affaire Woerth-Bettancourt, pour ne citer que ceux-là), Roché ne remarque qu’une reprise de main en vue des prochaines élections présidentielles. N’est-ce pas une première sous la Vème République qu’un Président, censé rassembler toute la communauté nationale, engage des propos et des arguments aussi violents au risque de diviser les Français ? Il n’est alors pas du tout exagéré de parler, comme l’a fait Dominique Voynet, d’ « amalgames irresponsables » et « une déchéance morale de la part du gouvernement et du Président de la République (…) au regard des valeurs qui animent la République française ». La maire de Montreuil a raison de signaler que « les Français ne considèrent pas que le problème majeur de la société française soit la question des Roms ».
Sébastien Roché nous a au moins permis de mieux le connaître et de savoir qu'il est un agent de la Sarkozie. Dés 1997, il recevait le Prix Littéraire de la Gendarmerie Nationale (catégorie Œuvres de réflexion). En 2006, il reçoit le Prix Habert décerné par Le Figaro-Science Po avant d'être décoré comme Chevalier de l'ordre des Palmes Académiques en 2007 par le ministère de la Justice. Autant de titres qui peuvent permettre de comprendre sa posture intellectuelle et idéologique. Je voulais dire ... son imposture. Il est quand même étonnant et déconcertant que quelqu'un, qui se doit de s'exprimer dans le cadre de la science - les sciences sociales en l'occurrence car il intervient en tant qu'expert sociologue, criminologue ou politologue - cautionne et légitime une utilisation politicienne des thématiques de la délinquance, de la sécurité et de l'immigration, allant même jusqu'à établir un lien de causalité entre elles, comme vient de le faire le président de la République. Si les socialistes n'ont rien à dire dans ce domaine comme le prétend Roché, il faut qu'il nous explique comment se fait-il que le sentiment d'insécurité soit si présent en France malgré toutes les lois, mesures et actions décidées par Monsieur Sarkozy, d'abord en tant que ministre de l'intérieur, puis en tant que président de la République. Roché ferait mieux de se pencher sur l'histoire récente de la France qui nous apprend que toute la politique de la droite en matière de sécurité est un échec, avec, de surcroît , l'effet inverse, avec une société où les violences entre les personnes ne cessent d'augmenter.Quitte à choisir, je préfère ceux "qui n'ont rien à dire sur ces thématiques" à ceux qui créent des catégories de citoyens, contribuant par la même occasion à installer des tensions dans la société française.
MLC