Au cours de cette semaine, pour la première visite d'État de son administration, le président américain Joe Biden recevra le président français Emmanuel Macron à Washington. Les deux chefs d’Etat se rencontreront pour échanger autour de la crise ukrainienne et l’inflation mondiale. L'état de la relation franco-américaine sera évidemment le principal sujet de cette visite d’Etat, la France et les Etats-Unis cherchant à réparer les dommages causés par la crise des sous-marins australiens. Ce voyage officiel parviendra-t-il à enterrer la hache de guerre et relancer l’union transatlantique ?
Sensible à la vie politique de la France et des Etats-Unis, je suis soucieux du futur respectif de chaque nation et de la relation bilatérale qu’ils entretiennent. Cette rencontre a donc deux objectifs importants : réaffirmer le retour à la normale pour l’alliance franco-américaine et montrer un front uni sur la scène internationale. Si la France reste le plus ancien allié de l’Amérique, la récente rivalité entre les deux pays pourrait-elle nuire durablement à leur amitié ?
Tout homme a deux pays, le sien et la France
En 1778, Louis XVI et Benjamin Franklin signent le traité d’alliance franco-américain, entérinant l’aide qu’apportera la France aux Etats-Unis dans leur guerre d’indépendance contre la Grande-Bretagne. De ce soutien militaire se développera une entente transatlantique : La Fayette devient le saint-patron du « franco-américanisme ». L’Amérique double son territoire en achetant la Louisiane des mains de Napoléon. Tocqueville théorise la pensée politique de la jeune nation. La Statue de la Liberté est érigée en divinité tutélaire à New York. Lors de la Grande Guerre, l'armée de Pershing se bat aux côtés de la France. Paris devient le refuge de la Lost Generation dans l’entre-deux-guerres. Le Débarquement inverse le cours de la Seconde Guerre mondiale et depuis la Guerre froide, Paris et Washington sont globalement alignés sur la scène internationale.
Si le franco-américanisme a mûri depuis sa naissance, sur quel fondement repose-t-il aujourd’hui ? Sa longévité ? Son développement ? La notoriété posthume du « héros des deux mondes » ? Les trois à la fois. Mais cette amitié s’explique surtout par le contexte géopolitique de l’époque. A la veille de la Révolution américaine, la France devient « le plus ancien allié de l’Amérique » car la France reste « le plus ancien adversaire de l’Angleterre ». Entente permanente ou alliance de circonstance ? Pendant la Révolution française, la neutralité des Américains, de nouveau proches des Anglais, avait beaucoup déçu les Français. Le transatlantisme est donc bien plus complexe qu’il n’y paraît…
Alliés ou rivaux ?
En effet, l'Histoire nous a montré que malgré une amitié de deux siècles, la coopération entre les deux pays a souffert à chaque fois qu'une crise majeure les a divisés : l'affaire XYZ, l'incident Heidsieck, le retrait de la France de l’OTAN, la guerre en Irak, l'affaire des sous-marins australiens… Ces clivages ont été sources de francophobie et d’anti-américanisme. La relation franco-américaine est-elle donc condamnée à être sans cesse altérée par les événements mondiaux et/ou désaccords bilatéraux ?
C’est pourquoi la fin de la Seconde Guerre Mondiale marque un virage important : en 1945, le Général de Gaulle souhaite rétablir la France comme superpuissance et décide de s’émanciper des Etats-Unis. Au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, si la Chine et la Russie composent le bloc de l’Est, l’Amérique et le Royaume-Uni (inséparables de la special relationship) constituent le bloc de l’Ouest. La France, elle, s’aligne avec l’Occident tout en gardant son indépendance (et reste le seul pays de ce « Club des 5 » qui, historiquement, n’a jamais été en guerre militaire ou commerciale avec les Etats-Unis).
Ce rapport de force, relatif mélange d’alliance et de rivalité, est depuis incarné par les présidents successifs de chaque pays. Outre les crises diplomatiques, le franco-américanisme est donc sujet à l’entente entre l’Elysée et la Maison Blanche. Si certains couples présidentiels ont été heureux (VGE et Ford, Hollande et Obama), d’autres l’ont été moins (De Gaulle et Johnson, Chirac et Bush fils). L’union peut-elle rester stable et exister en dehors de ses leaders ? Si Joe Biden et Emmanuel Macron coopèrent sur l’Ukraine, la crise des sous-marins fut un coup fatal pour l’actuel couple présidentiel. Lors de ce voyage officiel, le président français rappellera sans surprise l’importance de sa proximité avec son homologue américain tout en appuyant la voix de la France au sein de cette relation.
La Liberté unissant les peuples
À l'épreuve du temps, le franco-américanisme est resté solide malgré de rares tensions. Au cours de 245 ans d’histoire commune, la France et les Etats-Unis ont davantage été alliés que rivaux. Partenaires militaires de prime abord, une connivence sincère est née bien après la Révolution américaine. Depuis 1886, une statue du nom de Liberté témoigne du lien unissant Français et Américains. Toujours amis. Parfois rivaux. Jamais ennemis. Notre siècle doit toutefois procurer de nouveaux leaders et symboles fédérateurs à ériger aux côtés des figures vénérées et intemporelles du passé.
De sa porte-parole, Karine Jean-Pierre, à son secrétaire d'État, Antony Blinken, la très francophone administration Biden doit profiter de cette visite d’Etat pour entamer le prochain chapitre de sa relation avec la France. Quel sera l'état de l'amitié franco-américaine dans les 5 ou 55 prochaines années ? Nul ne le sait. Si la France est l’allié de l’Amérique depuis 1778, elle est aussi devenue son rival depuis 1945. Bien qu’inéluctable, cette rivalité est toutefois conciliable avec la longévité d’une amitié qui a survécu à chaque dissension bilatérale. La concorde doit donc être préservée entre des républiques sœurs qui partagent non seulement un passé riche, mais surtout un avenir prometteur.
Malcolm Biiga