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Billet de blog 28 février 2024

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La malédiction du sang versé

Selon Saint Matthieu, les Juifs ont dit : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! ». Cette phrase ne figure chez aucun des 3 autres évangélistes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans l’Évangile de Matthieu, on lit :

  • au verset 27.24 : Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule, et dit : « Je suis innocent du sang de ce juste ; cela vous regarde. »
  • au verset 27.25 : Et tout le peuple répondit : «  Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !»

Selon l’exégèse biblique, l’Évangile de Matthieu et celui de Luc ont deux sources : l'Évangile selon Marc ct la Source Q, auxquelles s'ajoutent leurs contenus spécifiques, le Sondergut matthéen et le Sondergut lucanien. La Source Q est un recueil de logia de Jésus de Nazareth dont la matière se retrouve en Matthieu et en Luc. Les quatre évangélistes rapportent que les Juifs demandèrent à Pilate de libérer Barabbas mais la malédiction du sang versé ne figure que dans l’Évangile de Matthieu.

Cette absence constatée dans les textes de trois des évangélistes suggère que la malédiction rapportée n’a jamais été prononcée mais plutôt inventée par Matthieu. Cette hypothèse a été avancée par Ulrich Luz, bibliste suisse qui présidait en 1997 la Studiorum Novi Testamenti Societas, société savante internationale. Ses travaux d'exégèse sur l'Évangile selon Matthieu, publiés en plusieurs volumes sur une période de 20 ans, font figure de référence. Le pasteur Daniel Marguerat, spécialiste de la narratologie appliquée aux recherches sur le Nouveau Testament, qui présidait en 2007 la même société savante, exprime lui aussi cette hypothèse : l’ajout du verset 27.25 constituerait une fiction rédactionnelle de l’auteur de l’Évangile matthéen. Cela n’a toutefois pas empêché cette possible forgerie de servir pendant des siècles de fondement scripturaire au mythe du peuple déicide et à l'antisémitisme chrétien.

Une séquence de Shoah, le documentaire réalisé en 1985 par Claude Lanzmann, illustre cette filiation. À la sortie d'une messe au village polonais de Chelmno, une vingtaine de paroissiens se sont rassemblés. Ils étaient contemporains de l’extermination en 1941 de 4.000 Juifs. L’organiste de l’église explique doctement que c’était là l’expiation du crime commis  il y a 2.000 ans par les Juifs en « condamnant à mort Christ qui était peut-être innocent ». Il cite alors le verset 27.25 du seul Évangile matthéen :  « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! »

On ne saurait soutenir que la responsabilité d’un crime des parents est portée par leurs enfants et encore moins par les générations suivantes. S’il est une vérité, c’est que les pères sont comptables des fautes de leurs fils et non l'inverse. Et il est assurément préférable de ne pas s’attarder sur le fardeau de ceux qui ont perpétué une conception opposée.

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