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Billet de blog 29 janvier 2025

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La Justice en marche

L’ancien Président Nicolas Sarkozy comparaît au tribunal correctionnel de Paris à partir du 6 janvier 2025 jusqu’au 10 avril, suite aux soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007.

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NICOLAS SARKOZY DEVANT LE TRIBUNAL DE PARIS.

Ce billet a été réalisé avec quelques emprunts à un article publié sur Médiapart.

Le 19 septembre 1989, la Libye avait perpétré un attentat contre un DC-10 de la compagnie aérienne française UTA, tuant cent soixante-dix personnes.

Le 23 janvier 2025, à la barre face à la Présidente du tribunal, Madame Nathalie Gavarino, Messieurs Claude Guéant et Brice Hortefeux comparaissent, piteux, miteux, minables, tels des gamins attrapés les doigts dans le pot de confiture. Leurs  réponses sont  hésitantes. Ils ne se rappellent plus les noms des participants aux réunions consacrées à l’affaire libyenne, pas plus que les propos échangés. Ils sont pitoyables.

Madame Gavarino appelle à la barre les parties civiles. Onze proches des victimes de l’attentat viennent alors témoigner : neuf femmes et deux hommes, des sœurs, des filles, une épouse, des fils de victimes de l’attentat.

Danièle Klein a parlé la première. « Mon frère Jean-Pierre est mort ». Lors du procès en 1999 des contumax libyens, les familles avaient été ignorées : «  cent soixante-dix morts, on pesait une plume. Et puis on a vu subrepticement la France reprendre les relations avec le régime de Kadhafi  [ …] Ce qu’ils [Sarkozy, Hortefeux, Guéant]   ont fait, c’est un sacrilège, un toboggan vers les tous pourris et le vote pour les extrêmes ». Elle se souvient d’avoir pensé que « la France donnerait une suite au procès qui avait condamné Senoussi et ses complices à une peine de prison à perpétuité ». « Rien, fermez le ban. ». « On était seuls, dans un désespoir muet  [ …]  La visite de Kadhafi à Paris a été pour moi une indignité ». Elle ajoute n’avoir pas imaginé se constituer un jour partie civile dans une affaire mêlant « corruption et terrorisme [ …]  La peste et le choléra ».

L’ancien Président Sarkozy a alors tenté d’intervenir mais a été fermement rembarré par la Présidente qui lui a indiqué  que la parole était aux parties civiles et que son tour viendrait plus tard.

Yohanna Brette, fille d’une hôtesse de l’air du DC-10, s’indigne de la « volonté de réhabiliter un terroriste [ …]  Comment des républicains, ceux qui nous martèlent la sécurité, la sécurité, pourraient bafouer des principes aussi importants ? » Elle poursuit : « J’ai grandi comme j’ai pu, à la Ddass comme on disait à l’époque, avec les abandonnées de la République, j’en suis une. » Elle ne comprenait pas pourquoi son grand-père l’amenait tous les 19 septembre au cimetière du Père-Lachaise, pourquoi des gens lui mettaient la main sur l’épaule en lui disant qu’il fallait être courageuse. « Quand il n’y a plus personne pour vous raconter des histoires, il faut compter sur les choses. [ …]  Quand Kadhafi est mort, j’ai pleuré comme jamais,  il allait falloir vivre avec ce nouveau vide ».

Françoise Tennebaum a perdu son frère. Elle s’adresse à Claude Guéant et Brice Hortefeux ainsi : « Je pose la question à ces messieurs : si à la place de mon frère, vos proches, des membres de votre famille avaient voyagé dans cet avion français, auriez-vous accepté de rencontrer, de négocier avec leur assassin, avec celui qui a organisé cet attentat ? Je ne pense pas ! ».

Nicoletta Diasio a perdu son père, tué à 51 ans. Elle se souvient de « la tente [de Kadhafi] plantée comme un poignard dans un jardin de la République ». Quand l’information a circulé, elle n’a d’abord prêté « qu’une attention flottante » au pacte de corruption présumé, objet de ce procès. Elle poursuit ainsi : « Mais, petit à petit, les questions ont fait leur chemin, l’idée que nos morts aient constitué une monnaie d’échange. Aurait-on négocié l’arrêt des poursuites ? Aurait-on fait commerce de nos disparus ? Ça a été pour nous une deuxième explosion ».

Madame Maryvonne Raveneau, veuve du commandant de bord, avait écrit en son temps :  « Je lutte pour connaître le pourquoi de cet attentat, me heurtant sans cesse au mépris des autorités françaises qui voudraient que cet acte n’ait jamais existé. [ …]  Quelle aurait été votre réaction si votre épouse avait été tuée dans cet attentat ? Pensez-y le jour où vous recevrez Kadhafi en France, ce jour arrivera… ». Et il est hélas arrivé. Madame Raveneau avait refusé le million de dollars versé par les Libyens, leur  formulaire d’indemnisation indiquant  « mort dans une explosion » et non « dans un attentat  ». Elle estime que « la France s’est agenouillée devant Kadhafi » et choisit de lire à la  barre une lettre adressée à Nicolas Sarkozy le 22 juillet 2007, lettre qui n’a jamais reçu de réponse. L’ancien Président présente alors ses excuses pour son absence de réponse. Cette impolitesse était outrageante. Plutôt que de présenter des excuses, il eut dû, pour réparer sa goujaterie, demander un pardon.

Mélanie Hoedts-Klein, qui a perdu son père dans l’attentat, intervient à son tour : « Je suis là parce que je n’ai pas envie de me taire. Je veux savoir si d’autres hommes, des Français cette fois, se sont réunis, et si la justice rendue à mon père était négociable ». Elle ressent « une perte de confiance totale dans les gens qui sont censés nous protéger et nous rendre justice ».

Mélanie Grisot a déclaré : « J’ai perdu mon innocence quand celui qui représentait la France a invité le dictateur  » et a cédé la parole à Véronique Vellard, qui n’a plus jamais revu son petit frère de 20 ans, mort avec deux amis.

Guillaume Denoix de Saint Marc, ancien président de l’Association des victimes du terrorisme, dont le père a péri dans l’attentat, rappelle : « Il n’y a pas d’autres attentats ayant fait 170 morts visant la France ». « J’étais sidéré d’apprendre à quel point le cas Senoussi était au cœur du dossier. Je ne voulais pas le croire au début ». Il cingle : « Le procès d’aujourd’hui permettra de mesurer l’ampleur de la trahison de Nicolas Sarkozy envers les victimes de l’attentat. Je suis écœuré que ces agissements, s’ils sont avérés, aient pu nourrir des ambitions personnelles ».

Christophe,  fils du commandant  Raveneau, déclare avoir reçu au Niger, comme les autres, un sac, encore imprégné du sable du désert du Ténéré.  « Il a fallu identifier les restes, enterrer les restes, sans avoir la certitude que c’étaient les siens. Messieurs les prévenus, imaginez-vous devant un cercueil quasi vide, et on vous dit : “c’est papa, chéri”. Monsieur Sarkozy, ce jour-là, j’avais l’âge qu’a votre fille aujourd’hui. Monsieur l’ancien président, messieurs les anciens ministres, vous ne saurez jamais le poids de cette traversée du désert ». Il rejoint les bancs des parties civiles dans un silence absolu.  La Présidente suspend l’audience.

À la reprise, Nicolas Sarkozy demande la parole : « Quatre mots me viennent à l’esprit. La dignité de tous ces témoignages. J’ai écouté dans le détail. La douleur, je la respecte, je la comprends. La colère, comment ne pas la comprendre ? Et le doute ». La Présidente interroge ensuite Nicolas Sarkozy qui livre un plaidoyer de trois heures, lequel laisse surtout transparaitre sa  sécheresse de cœur.

L’habileté d’avocat de notre ancien Président le conduit parfois à gravement  se méprendre : parlant de la rencontre entre Claude Guéant, son directeur de cabinet, et Abdallah Senoussi, responsable de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, Nicolas Sarkozy corrige :  « Je n'emploierais pas le mot faute, qui implique comme vous le savez une intention de nuire, je parlerais plutôt d'une erreur ». Vaine argutie : une faute, par exemple d’orthographe, est le plus souvent involontaire et n’implique aucune intention, qu’elle soit de nuire ou autre. La rencontre indigne de Claude Guéant avec un terroriste constitue une faute. Rappelons la parole de Talleyrand à Napoléon après  l’exécution du duc d’Enghien : « Pire qu’un crime, Sire. Une faute ! »

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