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Billet de blog 29 septembre 2023

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Exode des Arméniens du Haut-Karabagh

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ceux qui ignorent l’Histoire s’exposent à devoir la vivre à nouveau. Nombreux sont les journalistes qui nous parlent des séparatistes arméniens. Ils semblent ignorer ce que fut la désintégration de l’URSS, tout comme ils  ne savent pas ce qu’est la séparatisme. 

Le séparatisme.

Le séparatisme est la volonté attribuée à un groupe humain, géographiquement localisé et possédant une homogénéité ethnique, linguistique ou religieuse réelle ou supposée et une tradition historique commune, de se détacher de l'État dont il fait partie pour constituer une entité politique autonome. Tous ces qualificatifs s’appliquent parfaitement au Haut-Karabagh. Mais l’appellation de séparatisme ne peut lui convenir car il n’y a pas là simplement l’expression d’une volonté mais une réalité : il s’agit d’une province autonome. Elle n’est pas séparatiste mais, depuis 1923, par une décision de Staline, séparée. Le dictateur avait alors créé l’oblast autonome du Haut-Karabagh.

Certains médias se plaisent à nous parler des séparatistes arméniens. Espérons que les aspirants négationnistes qui qualifient ainsi les Arméniens du Haut-Karabagh ne le font pas pour justifier l’agression azerbaïdjanaise. Mais leur coupable ignorance de l’Histoire ne saurait leur tenir lieu d’excuse. Les Arméniens et les Azéris sont de deux ethnies distinctes qui différent par la géographie physique,  l’histoire, la religion et la langue. Il nous faut hélas déplorer que, en septembre 2023, au Haut-Karabagh, comme au siècle précédent dans un empire ottoman à l’agonie, des Chrétiens sont assassinés par des Musulmans. 

Livrons-nous tout d’abord à un rappel géographique. 

Le Sud du Caucase a pour voisins, à l’Ouest, la Turquie et, au Sud,  l’Iran. Il comprend, en son Ouest, l’Arménie et, en son Est, l’Azerbaïdjan. Au Sud-Ouest de l’Arménie, on trouve le Nakhitchevan tandis, qu’à l’Est, le Haut-Karabagh la sépare de l’Azerbaïdjan. C’est sa proximité avec la Turquie et la Perse (pays appelé aujourd’hui Iran) qui lui a donné la deuxième partie de son nom. Le mot Karabagh, d'origines turque et persane, signifie littéralement « jardin noir » . Le préfixe Haut indique lui que son relief est montagneux. 

Passons maintenant à l’Histoire.

L'empire ottoman vaincu lors de la Première Guerre mondiale fut démembré à partir de 1918. Il trouva néanmoins assez de ressources pour perpétrer entre le printemps 1915 et l'automne 1916 le génocide arménien pendant lequel un million de personnes périrent. Encore aujourd’hui, trop d’individus s’obstinent à nier la réalité de ces massacres.

Au printemps 1918, le Caucase voit naître trois Républiques : la République démocratique de Géorgie, la République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan et la République socialiste soviétique d'Arménie. Les communautés arménienne et azérie du Haut-Karabagh sont de religions différentes, respectivement chrétienne et musulmane, la première étant forte de 95% des habitants de l’enclave. En 1920, Staline enlève cette enclave à l’Arménie pour la rattacher à l'Azerbaïdjan  et lui accorde ensuite l'autonomie.

Le 20 février 1988, le Parlement de l'enclave vote l'union avec l'Arménie et le 26 février, à Erevan, un million de personnes défilent pour revendiquer le rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie. Un référendum accordé à la population entérine ce souhait. À la même époque, l’URSS est en train de disparaître. Le 19 août 1990, un groupe de tenants de la ligne « dure » au sein du parti communiste tente de prendre le pouvoir à Moscou. Le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev reprend bientôt la main mais, finalement, démissionne le 25 décembre 1991. Le 26 décembre, le Soviet suprême de l’URSS reconnaît formellement la disparition de l'Union soviétique en tant qu'État et sujet du droit international. Cette disparition donne naissance à la République d’Azerbaïdjan, peuplée à 96% de Musulmans, qui s'enferre bientôt dans un conflit avec l'Arménie pour le contrôle de l'enclave du Haut-Karabagh : 

  • Le 2 septembre 1991, le Haut-Karabagh proclame unilatéralement son indépendance. Une guerre éclate alors.
  • Le 26 janvier 1992, des forces azerbaïdjanaises stationnées dans le Haut-Karabagh échouent à prendre un village arménien voisin de Chouchi.
  • Le 12 mai 1994, une trêve négociée par la Russie est conclue entre les Arméniens et l'armée azerbaïdjanaise.

À partir du 15 janvier 2019, de violentes émeutes ensanglantent le Haut-Karabagh jusqu’à ce que, le 22  août, les Arméniens reconnaissent la souveraineté azerbaïdjanaise. La ville de Chouchi, avec une population d'environ 43 000 habitants, composée pour moitié d’Arméniens et pour moitié d’Azéris, est au cœur de ce conflit : 

  • Le 22 mars 2020, des troupes azerbaïdjanaises entrent dans Chouchi. Les jours suivants, destructions et massacres se multiplient.
  • Le 26 mars, il ne reste quasiment aucun des 23000 habitants arméniens.
  • Le 27 septembre, l'Azerbaïdjan lance plusieurs assauts d'envergure contre le Haut-Karabagh.
  • Le 10 octobre, le Premier ministre arménien signe sous l'égide de la Russie un accord de fin des hostilités. 

Venons-en enfin à 2023 : 

  • Le 19 septembre, l’armée de l’Azerbaïdjan pénètre dans l’enclave et s’y livre à de nombreuses exactions.
  • Le 28 septembre, on annonce la capitulation du Haut-Karabagh. Un journaliste déclare que c’est la fin de la République séparatiste. Que cet ignare apprenne qu’il existe des livres d’histoire et que, avant qu’il ne s’exprime dans un média, sa déontologie lui impose de les consulter ! Pour son éducation, précisons-lui ici ce qu’est, à la différence du Haut-Karabagh, une République séparatiste.

République autonome populaire de Donetsk

Le 7 avril 2014, des rebelles russophones ont proclamé une  République autonome populaire de Donetsk et ont demandé leur rattachement à la Russie. On aurait du mal à identifier ce qui, par la géographie, différencierait le Donbass du reste de l’Ukraine. À la différence de ce qui se passe dans le Haut-Karabagh, ce n’est pas la religion qui les distingue du reste de la population. On ne saurait davantage y voir une raison linguistique : dans l’empire soviétique, le Russe était de facto une langue commune mais il n’a jamais été la langue officielle, pas même dans la Fédération de Russie. Jules César avait déclaré : « J'aimerais mieux être le premier dans ce village que le second à Rome ». Il semble que, à l’inverse, l’ambition des séparatistes du Donbass soit avant tout d’être rattachés à l’ogre russe.

Version française

Du temps de l'URSS, la République autonome était appelée Nagorny Karabagh, Nagorny signifiant en langue russe « haut » ou « montagneux » . Ni l'Arménie, ni l'Azerbaïdjan n'utilisent cette dénomination aujourd'hui.

Les Arméniens désignent la région sous le nom d'Artsakh. L’orgueil démesuré d’Emmanuel Macron l’avait amené  à tenter de négocier avec le Président de la Russie. Son penchant pro-russe l’a conduit à appeler «  à ne pas humilier Poutine ». Génuflexion devant la Russie ou nouvelle preuve de sa piètre connaissance de l’histoire : lors de son entretien télévisé du 24 septembre, il a utilisé pour le Haut-Karabagh le nom russe de Nagorny Karabagh. Alors, plus simplement : bévue ou soutien ?

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