Certains estiment que, dans les temps difficiles que traverse notre pays, les retraités, qu’ils jugent aisés, devraient participer à l’effort national. Ils avancent que, les retraités étant souvent propriétaires, ils n’ont pas à consacrer une part importante de leur revenu à leur logement et se trouvent donc « aisés », attribut commode pour éviter le terme malséant de « riches ». Voilà qui nous fait penser aux rentiers de jadis et évoque la mention « propriétaire » qui orne orgueilleusement des plaques de rues parisiennes. En fait, s’il arrive que le logement que nous habitons nous a été légué par un parent, il est souvent le fruit de notre travail. Je me permets ici, pour illustrer ce trait, de me référer à mon expérience personnelle.
Sans me comparer au « Petit chose » d’Alphonse Daudet, étant né peu avant la Libération dans une famille modeste, bon élève, j’ai bénéficié de l’ascenseur social de notre République et, boursier, j’ai suivi des études supérieures à l’issue desquelles je me suis trouvé ingénieur de grande école. Pendant mes études, je gagnai quelque argent en donnant des cours particuliers, travaillai pendant les congés scolaires et passai l’été en colonie de vacances, d’abord colon puis moniteur.
Voici maintenant quelques détails attestant de l'aisance de ma vie active. Aux débuts de mon mariage, le mobilier de notre ménage se limitait à un lit, une cuisinière, une table et deux tabourets. Après mon service militaire, je fus embauché dans une entreprise qui logeait ses cadres. La crise de la sidérurgie entraîna au bout de dix-huit mois la suppression de l’avantage dont je disposais et je dus payer un loyer. À la même époque, mon père perdit son emploi de magasinier dans une entreprise textile et j’eus à l’aider financièrement.
Trente ans plus tard, j’avais achevé de rembourser les emprunts successifs qui m’avaient permis d’acquérir un F4 à Paris. Et voici que des élus, nombreux à émarger mensuellement à plusieurs milliers d’euros, considèrent que des salariés percevant plus de deux mille euros doivent contribuer au remboursement de la dette colossale constituée au fil de soixante ans par leurs dirigeants. On devrait mesurer la compétence de ces derniers, qui n’hésiteraient pas à demander une nouvelle participation à ceux qui, des décennies durant, ont par leurs efforts contribué à la prospérité de notre pays. Ils devraient s’employer d’urgence à justifier leurs propres rémunérations et les avantages qui s'y attachent !
Pour juger de la qualité des élites citées plus haut, on peut rappeler un aspect du parcours de notre Président : il intégra en 2004 le corps de l'Inspection générale des finances, fut nommé en 2007 rapporteur adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française, devint banquier d’affaires en 2008 et, en 2014, François Hollande le fit Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Tandis que, de son côté, Bruno Le Maire détint de 2017 à 2024 le portefeuille des Finances.
De nombreux augures semblent oublier que les pensions des retraités ne sont pas l’effet de quelque libéralité de l’État. Pendant plus de quarante ans, ceux désormais inactifs ont versé des cotisations avec lesquelles les caisses de retraite ont pensionné leurs prédécesseurs. Les élus zélés soucieux de léser des retraités tenus pour aisés devraient s’employer d’urgence à justifier leurs propres rémunérations et les avantages qui s'y attachent !