Pourquoi l’imam Chalghoumi est tant honni par les citoyens français de culture ou de confession musulmane ? Pourquoi ce rejet ? Comment expliquer que ce personnage médiatisé, un peu trop aux yeux de certains, soit devenu la bête noire des français musulmans ? Scientifique de formation, j’ai pris le parti de réaliser une étude statistique effectuée auprès de 144 français de culture ou de confession musulmane afin de quantifier cette acrimonie. Et les chiffres sont éloquents : 97% des sondés ont un avis défavorable ou très défavorable sur l’imam Chalghoumi et, dans des proportions similaires, nombreuses sont les personnes interrogées estimant que ce dernier ne peut prétendre à parler au nom des musulmans de France. Une clameur de réprobation de cette ampleur contre l’imam controversé mérite que l’on s’appesantisse quelque peu sur la question.
Notons tout d’abord cette incohérence insupportable aux yeux de nos compatriotes musulmans. Celle consistant à exiger d’eux qu’ils s’attèlent à l’émergence d’un islam gallican, c’est-à-dire national, ancré dans la réalité française, cependant qu’il est mis ostensiblement en avant un imam, né en Afrique du Nord, ne maitrisant pas l’usage de la langue française dans ce qu’elle a de plus basique et dont l’expression orale est plus que lacunaire. Ces graves problèmes de locution, s’ils peuvent paraitre anecdotiques de prime abord, ne doivent nullement être minorés car ils exaspèrent au plus haut point des français musulmans éprouvant un immense malaise, pouvant aller jusqu’au sentiment de honte, à chaque fois que l’imam Chalghoumi se répand en public avec un français à ce point approximatif. Concédons que de tels attentats faits à la langue de l’illustre Bossuet, le « prince de l’éloquence sacrée », ont de quoi interloquer le plus rustre d’entre nous. Relevons que ce sentiment de « honte » ressort nettement dans le sondage précité. Il y a néanmoins plus grave. En particulier l’« ignorance » apparente de l’imam Chalghoumi que les sondés n’ont pas manquée de mentionner. En effet, les français de culture ou de confession musulmane reprochent ouvertement à l’incriminé, et c’est peut-être là l’un des plus forts griefs qui est fait au malheureux, son inculture manifeste. Concédons, et ce n’est pas une offense que de le dire, que jamais, l’infortuné imam n’a été capable de développer une analyse sinon profonde du moins charpentée d’un phénomène social en lien avec l’immigration d’origine maghrébine. Pire ! Le discours de l’imam, ennuyeux au possible, pleins de répétitions, de longueurs inutiles, est une litanie de lieux communs sans grand intérêt, aux dires de la majorité des sondés. Nombreux, du reste, sont ceux à parler de misère intellectuelle pour caractériser les interventions médiatiques de Monsieur Chalghoumi. Ont-ils totalement tort ?
Autre critique soulevée et récurrente, celle du « parachutage religieux » teinté d’« opportunisme ». Il est un fait que le statut d’imam de Hassan Chalghoumi n’est reconnu par aucune instance religieuse musulmane de France, Mosquée de Paris, CFCM, Union des Organisations Islamiques de France, etc. De là à parler d’un imam auto-proclamé, il n’y a qu’un pas que beaucoup de français musulmans franchissent sans vergogne. Quant à la Conférence des imams de France présidée par Monsieur Chalghoumi, nombreux sont ceux et celles qui s’accordent à dire qu’elle est l’exemple même de la coquille vide. Quant à son rayonnement, grand Dieu ! il est plus que limité puisque, en tout état de cause, ladite Conférence ne réunit qu’une poignée d’individus ne produisant ni études, ni rapports et encore moins d’idées en lien avec les thématiques de l’islam de France. Du reste, elle est totalement méconnue des français musulmans (moins de 2% des sondés ont affirmé la connaitre vaguement).
A ces difficultés, de taille, s’ajoute le syndrome, de loin le plus handicapant pour l’imam Chalghoumi, dit du « béni-oui-oui », terme maintes fois prononcés par les sondés. A l’époque de l’Algérie française, des indigènes algériens, soigneusement sélectionnés par le pouvoir colonial, étaient mis en avant à des fins de propagande évidente : étaler ostensiblement et la générosité d’une France coloniale résolue à guider, par la main, les indigènes sur le chemin du progrès et sa bienveillance à l’égard de cette masse arabe dont elle prétendait faire le bonheur en l’arrimant à la civilisation à laquelle elle aurait tourné le dos pour cause de mahométisme. Le rôle, de pure représentation et de faire valoir, du béni-oui-oui consistait alors à dire « oui » aux choix politiques coloniaux. En échange de sa docilité, celui-ci bénéficiait de faveurs et de marques d’égards octroyées par le pouvoir colonial.
Aujourd’hui, le colonat n’est plus. Pourtant, dans l’imaginaire collectif des français issus de l’immigration maghrébine, la blessure coloniale, mal refermée, est ravivée par la médiatisation d’un imam non choisi et, pour tout dire, imposé par un système politico-médiatique alors même que Monsieur Chalghoumi souffre d’un manque de légitimité patent au sein du paysage islamique de France. A ce sujet, le sondage révèle qu’une fraction non négligeable des personnes interrogées (27% environ) pense que l’imam Chalghoumi n’a d’autre légitimité que celle conférée par le Crif « soupçonné » de manipuler un imam malléable à souhait et à l’intelligence épaisse. Certains, moins nombreux il est vrai (18%), ont été jusqu’à soutenir que « Chalghoumi est l’imam des juifs ! ». Ce dernier propos, condamnable, tant il est porteur de préjugés antisémites, dévoile une chalghoumiophobie de nature "complothéïste" et, partant, inacceptable.
Paradoxalement, Hassan Chalghoumi qui milite pour un dialogue judéo-musulman, noble et belle initiative à encourager et à soutenir sans ambages, du fait du rejet qu’il suscite dans la communauté musulmane de France, est devenu le plus mauvais ambassadeur de la cause qu’il prétend défendre, au point même de la desservir gravement. On peut enfoncer le clou en affirmant que le dialogue judéo-musulman, dont la France a besoin afin d’atténuer les tensions communautaires, est la première victime collatérale du phénomène "Chalghoumi".
A la lecture de ces quelques lignes, on comprend aisément le succès de l’islamologue Tariq Ramadan, dont le profil, s’il est pris à contre-pied, donne celui de l’imam Chalghoumi !
En conclusion, nous dirions que l’imam Chalghoumi, personnage sympathique s’il en est, sert, sans même sans rendre compte, la cause de Tariq Ramandan qui lui tient lieu de repoussoir et grève l’avenir du dialogue judéo-musulman en France. Depuis quand, en effet, fonde-t-on les bases d’un dialogue sur un « mirage », une illusion d’optique ? Car là est le drame de Hassan Chalghoumi qui, malgré tous les efforts déployés par les uns et les autres pour lui donner consistance, reste cette ombre médiatique sans légitimité réelle. Samia, doctorante en science humaine, épanchant son fiel, sa rancune, me lança ces quelques mots : « Nous sommes des citoyens à part entière ! Quand je vois Chalghoumi, j’ai l’impression de revivre ce que mes grands-parents vivaient en Algérie lorsque la France leur imposait des caïds », c’est-à-dire des « béni-oui-oui » ! Un rien excessif, le propos de cette étudiante en colère, ne supportant plus que l’on accable de la sorte les français musulmans en leur imposant cet imam au mépris des règles élémentaires de la démocratie, doit être entendu car il est porteur d’une souffrance, d’une désespérance. Imagine-t-on un seul instant en France un prêtre ou un rabbin non reconnu par leur institution respective, Eglise et Consistoire, s’afficher ainsi dans les médias et parler au nom des chrétiens, pour le premier, des juifs, pour le second ? Derrière cette remarque cocasse se dessine, en filigrane, les contours d’une problématique cruciale ; celle de la construction sérieuse et pérenne d’un islam gallican, enraciné dans notre culture nationale. Cela exige que le pays dispose d’imams français dotés, dans l’idéal, d’un certificat délivré par un Institut Universitaire de Formation des Imams de France - qui reste à construire - ou, à défaut, qu’ils possèdent une véritable légitimité acquise par leurs écrits, leur savoir pluridisciplinaire, ou fondée sur une reconnaissance obtenues des instances représentatives officielles de l’islam de France. Ne répondant à aucun des critères précités, Hassan Chalghoumi, sujet d’un feu roulant et incessant de quolibets, parfois méchants et injustes, est victime finalement d’une révolution silencieuse annonçant l’amorçage d’un processus d’intégration profonde d’une jeunesse française musulmane ne pouvant plus supporter d’être représentée par un imam auquel elle ne peut en aucun cas s’identifier. Et pour cause ! L’imam Chalghoumi ne fait pas « terroir ». Derrière ce vent de réprobation suscité par Hassan Chalgoumi, se dissimule donc une véritable soif d’intégration non verbalisée. Et cela est plutôt rassurant pour notre pays.