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Billet de blog 16 novembre 2015

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Rester humain dans l'émotion

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce vendredi 13 novembre a marqué une seconde fois la France par des attentats djihadistes. Contrairement à janvier ce n’est plus un symbole qui est visé mais directement les civils. Le massacre est mécanique, le terroriste effectue une mission : tuer; effrayer; diffuser un message morbide.

Un drôle d’écho raisonne en moi, celui des années sombres de l’Algérie des années 90 et le terrorisme du GIA qui visait indistinctement les civils. Daech – GIA n’ont de foi que dans leur doctrine de guerre : ni religion, ni sentiment, ni croyance ; simplement de la mécanique froide. Alors oui, j’ai eu peur, j’ai toujours peur, c’est un sentiment normal, surtout que nous ne sommes pas préparés à cette situation.

Cet attentat nous rappelle d’un seul coup la violence de ce monde. Nous faisons partie des rares de cette planète à pouvoir vivre sans avoir peur de sortir, et c’est pourquoi nous devons maintenir nos vies comme hier… tout en sachant que cette violence n’est plus désormais uniquement sur nos écrans.

Comme en janvier, nous avons un énorme mouvement de solidarité envers les victimes, c’est le deuil nécessaire pour tout être humain. Mais s’en suit alors une revendication forte de notre « liberté », de notre « modèle de vie », « de notre bonheur », "de notre ivresse"… Ne nous trompons pas de combat. Nous n’avons pas besoin de revendiquer ces valeurs de manière exponentielle, elles nous sont déjà acquises. Ces terroristes ne nous ont pas volé notre liberté, ils ont endeuillé des familles.

Je vois ici et là des messages « vous n’avez pas gagné » « même pas peur », « Je suis en terrasse ». Pensez-vous un tant soit peu aux familles des victimes qui, elles, ont perdu un être cher? ou celles qui recherchent encore leurs disparus ? S’il vous plait ne transformons pas notre humanité en slogan volatile. Le besoin de se soutenir est nécessaire, mais notre émotion ne doit pas devenir mécanique, et être une simple publicité pour notre compte Facebook ou Twitter.

Mes prières vont à toutes ces familles, victimes d’une atrocité sans nom. Je suis heureux de voir que l’ensemble des pays ont eu une pensée pour nos morts, la réciproque par le passé aurait pu être décent de notre part. Je ne comprends pas non plus la réaction de certains : « ne priez pas pour nous, faites tout sauf prier, on a assez de religion pour cette nuit ». 1) Nos voisins ont le droit d’exprimer, comme ils l’entendent, leur soutien, ne soyons pas ethno-centrés dans notre deuil 2) faut-il rappeler que ce qui nous a touché vendredi n’était pas une religion mais le terrorisme. Notre émotion ne nous interdit pas de recevoir avec humilité les prières des autres, et de garder la tête froide.

Tête froide, cœur chaud. Nous pouvons avoir cette double attitude. Et cela ne nous empêche pas de réfléchir de manière globale à ce qui s’est passé vendredi. Tout est lié : le terrorisme, les théâtres d’opérations militaires, les réfugiés, notre propre politique nationale, notre capacité de discernement, de résilience, et de compréhension.

« Ce qui se passe en bas de chez nous, nous concerne plus » techniquement oui, c’est normal. Mais cela n’empêche pas de se sentir empathique. La violence du monde est là. Nous devons également comprendre qu’elle existe ailleurs afin de l’appréhender chez nous puisque nous l’avons malheureusement ressentie. Car tous les morts, même au-delà de notre voisinage, sont nos égaux, ce ne sont pas uniquement des pixels que nous regardons. Ils sont nous. Nous sommes eux.

Je reviens aussi sur notre capacité de discernement. Encore une fois notre émotion ne doit pas s’isoler de la pensée. Comme je le crains, l’émotion commence à se transformer en haine, tout en arborant fièrement nos valeurs nationales. Certains demandent même l’exécution publique des terroristes. Incohérence de valeurs ? Nul doute. User de la cruauté contre la cruauté, pour qu’eux -mêmes puissent devenir encore plus cruels ? Sommes-nous condamnés à rester dans le cycle perpétuel de la violence ?

Sans oublier les débordements haineux, violents et discriminatoires visant les musulmans qui vont se multiplier dans les jours prochains, tout comme la période post janvier.

N’isolons pas ces attentats dans un moment T, ne l’enfermons pas dans des slogans, dans une communication éphémère. Il est temps de comprendre. Pourquoi ? Comment ? Diplômé de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), je me suis spécialisé dans la communication terroriste pour tenter de trouver des moyens efficaces de lutte contre ces groupes. Je suis contre l’avis de dire que ces gens sont des simples « fous », je n’aime pas déresponsabiliser un individu pour les fautes qu’il a commises. Ce ne sont pas des animaux, ce sont des êtres humains, et l’humanité malheureusement n’est pas faite que d’éléments positifs. N’oublions pas que les terroristes réfléchissent et ont accès aux mêmes canaux de communication que nous. Ils nous étudient pendant que nous, nous les réduisons à l’expression de leur seul acte. Si nous voulons lutter efficacement contre ces individus, il va falloir faire un effort de réflexion, et nous interroger également nous-mêmes.

S’interroger sur notre rapport à la démocratie, et s’interroger quant aux agissements de nos politiques. Nous sommes des citoyens, pas des consommateurs. Etre citoyen ce n’est pas simplement voter lors d’une échéance électorale. Etre citoyen, c’est agir dans la société dans laquelle nous vivons. C’est aiguiser ses sens civiques et faire en sorte d’élever la société. « Oui mais tu sais ils sont tous pourris, ça sert à rien d’agir ». Donc nous faisons ce qu’ils attendent de nous : rien.

D’ailleurs le défilé politique est plus que nauséabond après ces attentats, toutes mouvances confondues. Je ne parlerai même pas du FN qui finalement joue son rôle. « Nous sommes en guerre » ; « Nous allons mener une guerre impitoyable ». Guerre contre qui ? Le terrorisme ? Comment comptez-vous bombarder une idéologie ? Les exemples passés nous montrent l’inefficacité d’une réponse uniquement militaire. Lutter contre le terrorisme et soutenir des régimes qui, comme l’Arabie Saoudite, financent les mouvances de l’Islam radical, est-ce productif ?  Evoquer les droits de l’Homme en fer de lance de notre combat et appauvrir le Niger de son uranium pour que nous, consommateurs français, puissions allumer notre lumière le soir, est-ce productif ? S’il faut faire une guerre, il faut avoir une stratégie, et de la cohérence.

Avec cette cohérence, Daech n’aurait aucune arme idéologique contre nous, Daech serait faible. Cependant nous donnons un maximum d’arguments qui alimentent le discours terroriste : notre empathie à double vitesse ; nos intérêts économiques qui s’entrechoquent avec nos valeurs humanistes, notre accueil déplorable des réfugiés dans le besoin (qui ont vécu au quotidien ce que nous avons vécu ce vendredi), le traitement fait à la communauté musulmane en France... Daech serait faible, si nous étions cohérents.

Restons unis, comprenons le monde, compatissons avec les victimes, toutes les victimes, réfléchissons et agissons pour le monde de demain. Ne devenons pas des êtres mécaniques...

Malik Fenardji

Pour aller plus loin sur la communication terroriste, voici un article que j'ai écrit très récemment  : http://lanouvellechronique.com/2015/10/17/les-rouages-de-la-communication-terroriste-comment-comprendre-les-enjeux-de-la-peur/

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