L’instauration logique de l’Etat d’urgence, et son extension, moins logique, a été l’ouverture d’une boite de pandore dont les effets commencent à se faire ressentir aujourd’hui.
La France se divise de plus en plus. Les perquisitions aléatoires ciblant en grande majorité des familles françaises musulmanes, souvent sous délation du voisinage, est une honte pour notre nation. Avec un taux de 0.08% de réussite (seules deux informations judiciaires ont été ouvertes sur environ 2500 perquisitions), ces perquisitions ne luttent finalement pas contre le terrorisme mais créent un fossé entre les différentes communautés françaises. La France se désagrège sous le regard vide de nos gouvernants qui hésitent entre la danse avec l’électorat frontiste, et le destin de notre Etat… ou peut-être confondent-ils les deux.
La décision prise, dès le 16 novembre dernier, dans le discours du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, d’étendre la déchéance de nationalité pour les binationaux à ceux qui sont nés en France, en cas d’acte terroriste, parachève l’illusion d’une véritable gouvernance qui est guidée par un marché électoral, dans lequel les partis politiques poussent de plus en plus à droite.
Pourquoi la déchéance de nationalité sera inefficace dans la lutte antiterroriste ?
En réponse aux attentats, nos gouvernants répondent par moins de liberté, moins d’égalité, et par conséquent moins de fraternité … en somme ce que souhaite l’Etat Islamique.
Malgré les discours guerriers, l’heure est au calcul politique. Malgré l’échec quasi-général des différents partis politiques aux dernières régionales (à l’exception du Front National), les discours et actions restent des façades ne cherchant qu’à essayer de comprendre le paysage électoral français : savoir quelle phrase va faire mouche, quelle action va réconforter l’opinion publique. Le champ lexical de la guerre est utilisé dès le lendemain des attentats en martelant à tue-tête que ce sont nos valeurs qui ont été frappées, notre mode de vie. Penser ainsi, c’est rejeter l’origine même de l’Etat Islamique, né des conséquences de l’invasion américaine en Irak en 2003. Sans oublier que la France est entrée en guerre contre Daesh depuis quelques années.
Rabaisser ce conflit contre le terrorisme à une guerre de valeur est une grossière erreur, d’autant plus quand elle est utilisée par nos gouvernants à nos dépends. Nous nous réduisons à l’argumentaire de Daesh pour leur répondre ? Au lieu de dire que nous sommes encore plus unis qu’avant, nous créons un climat de suspicion permanent envers les français musulmans, et les habitants des banlieues (en effet, plus le raccourci est rapide, plus il est assimilé). Nous créons toutes les conditions de stigmatisation et de discrimination envers une partie des français, à la fois par l’usage abusif de perquisitions dans le cadre de l’état d’urgence, et l’extension de la déchéance de nationalité.
« Cette révision de la Constitution doit s’accompagner d’autres mesures. Il en va de la déchéance de nationalité. La déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride, mais nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, je dis bien « même s’il est né français » dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité.»
Le Président, François Hollande, dans son discours du 16 novembre 2015 devant le Parlement réuni en Congrès.
Cette mesure est réaffirmée ce dimanche 27 décembre 2015 par le Premier ministre Manuel Valls, qui déclare « qu’une partie de la gauche s’égare au nom de grandes valeurs en oubliant le contexte, notre état de guerre, et le discours du Président devant le Congrès ». Si au moins cette mesure était efficace contre le terrorisme, nous aurions pu comprendre, mais ce n’est pas le cas, car cette annonce n’est qu’une mesure électorale pour tempérer un électorat « visible » de plus en plus à l’extrême droite. Cependant les conséquences de cette mesure seront négatives dans les deux cas : elle ne fera que donner un terreau fertile à Daesh qui pourra toujours insister sur « une France qui ne vous reconnait pas en tant que français à part entière » et elle ne donnera aucune garantie électorale. Cet électorat frontiste ne changera pas d’avis pour voter en faveur d’un parti qui a connu la gouvernance, et qui vole une idée du front national qui existe depuis longtemps. La déchéance de nationalité n’est pas une mesure antiterroriste, c’est une mesure qui entre dans le cadre de « la préférence nationale », défendue depuis le début par le Front National.
Sans oublier que cette mesure est techniquement inutile : comment demander à un pays de recevoir un ou une individu(e) ayant commis un acte de terrorisme, qui a grandi en France, qui a reçu l’éducation française et qui possède une deuxième nationalité ? 1) il faudrait que le second pays accepte un criminel qui n’a probablement jamais vécu sur son territoire. 2) Si tant est que nous arrêtions un terroriste (chose dans laquelle nous n’excellons pas vraiment), quel est l’intérêt de ne pas le juger en France ? Et pourquoi le renvoyer dans un autre pays dans lequel nous n’aurons plus de suivi réel. 3) Cette mesure ne dissuadera en rien un terroriste qui veut faire un attentat, cet individu n’est pas attaché à un Etat, il est attaché à une idéologie.
L’extension de la déchéance de nationalité est un message pour les citoyens français : une affirmation pour l’électorat frontiste qui voit ses idées banalisées de jour en jour, et une trahison pour le reste des français qui voit cette mesure comme une façon supplémentaire de créer le doute. Cette décision est un calcul politique dangereux, et si je devais être cynique, je dirai que ce calcul est un engagement perdant.
A force de donner des gages à un électorat de plus en plus extrémiste et nationaliste, les partis politiques s’engagent dans une déchéance de la nation. Aussi bien à droite qu’à gauche le discours s’est mis au diapason en prenant en compte le discours du FN, et au lieu d’apporter des garanties et de l’espoir aux citoyens, ils ont préféré suivre une opinion publique médiatique « qui n’existe pas ». Alors oui, l’électorat frontiste a aussi des raisons d’être en colère à cause de la crise économique et sociale, mais sa haine est tournée envers celui qui est étranger (et qui est surtout étranger aux prises de décisions nationales). On peut s’interroger sur l’avenir de notre Nation quand on voit la direction prise par les politiques et les médias, qui banalisent un discours de haine et de division, au lieu d’un discours progressiste et unificateur.
La France doit pouvoir se regarder en face, et arrêter de se mirer dans son plus beau profil des Lumières. La France doit aussi accepter sa part d’ombre historique, mais aussi dans ses relations économiques. Elle doit comprendre que sa jeunesse ne réagit plus à la dichotomie politique droite gauche, et qu’elle a besoin de pouvoir agir au-delà de sa sphère économique ou privée, mais aussi dans sa sphère citoyenne. Elle doit comprendre que sa jeunesse est hétéroclite et arrêter de catégoriser les jeunes, surtout venus des banlieues, comme un fardeau de sa Nation. Quand on voit le traitement médiatique et politique de l’affaire « Zyed et Bouna », où l’on se réfère constamment à eux non comme des jeunes français, mais comme des jeunes « de banlieue ». On les exclut donc de l’empathie nationale. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais la France doit se renouveler, et comprendre son destin commun. Ce destin n’est pas figé dans le temps « d’une race blanche » mais existe dans sa continuité et dans son histoire.
Cette proposition d’extension de la déchéance de nationalité est un pas de plus vers une déchéance nationale. Cette année 2015 a été très dure, et il est nécessaire que les citoyens français, et ce peu importe, leur orientation politique, leur sexe, leurs origines ou leur âge doivent sortir du cadre de spectateurs de la Nation, mais devenir des acteurs conscients pour créer une nouvelle histoire nationale.