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Billet de blog 19 juillet 2025

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Jane Birkin, une histoire d’amour ?… et d’emprise

Je voudrais vous parler d’une femme. Une muse, c’est le qualificatif qui lui a été souvent accolé. Elle était muse de, elle était femme de, elle était mère de. Elle l’a toujours été, je crois, avant que d’être elle.

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La muse de John Barry, de Serge Gainsbourg, de Jacques Doillon, leur femme aussi, la mère de Charlotte Gainsbourg, de Lou Doillon. Jane Birkin ; car elle aura gardé son propre nom, la marque de sa force, de son indépendance, malgré une vie d’emprise, de violence, régie par le désir et la domination masculine, la soumission et la réification.

Jane est morte le 16 juillet 2023, deux ans jour pour jour avant l’écriture de ce texte. Jusqu’à la fin, elle aura honoré la mémoire, comme on dit, de son grand amour, de l’homme de sa vie comme on dit aussi, Serge Gainsbourg (pas que j’oublie les autres, loin de là, on y reviendra). De plateau télé en salle de concert, elle n’aura eu de cesse de porter sa parole, d’interpréter ses textes, de sanctifier son œuvre, de clamer à quel point « Serge », qu’elle prononce avec douceur et cet accent anglais qui était sa signature vocale, était un homme extraordinaire, merveilleux, hors du commun, en un mot un génie. Un monstre sacré.

Elle aura servi son culte toute sa vie. Le culte d’une figure masculine toute puissante, au dessus des lois et des normes, nuisible pour les femmes de son entourage, raciste, misogyne, violente.

Cela me rend si triste.

JANE, JOHN & KATE

Jane est mineure quand elle épouse le compositeur anglais John Barry, aujourd’hui hypra célèbre pour ses musiques de films cultes dont le générique de James Bond. Elle a 17 ans et lui en a 30. Malgré cet écart d’âge, les parents de Jane la laissent partir avec lui et l’épouser. Le mariage tourne – sommes-nous surpris.e.s – au désastre. Encore enfant, Jane est sous emprise de John qui la rabaisse, l’humilie et la trompe publiquement avec d’autres femmes. Elle divorce en 1968, emportant avec elle leur fille, Kate Barry, âgée de quelques mois. Elle sort détruite de ces quatre années de relation déséquilibrée er abusive. Elle n’a que 22 ans, elle est déjà mère et trimballe un nourrisson et un beau bagage de traumas. Ce nourrisson, c’est Kate Barry, qui sera élevée jusqu’à ses treize ans par Serge Gainsbourg, que Jane rencontre à peine débarquée à Paris quelques mois plus tard. Lorsqu’elle se met en couple avec Jacques Doillon, c’est ce dernier qui reprend le rôle du beau-père. Jane et Jacques auront ensemble également une fille, Lou, que Kate chérissait tout comme Charlotte, sa première demi-sœur.

Kate Barry, photographe de talent, est morte à 46 ans en chutant du quatrième étage de son appartement parisien en 2013, on ne sait s’il s’agissait d’un accident ou d’un suicide. Ce qui est certain en revanche, c’est que Kate était dépressive, et mélangeait les antidépresseurs et l’alcool, sa santé mentale semblait vacillante. Née d’une union toxique, puis élevée par Gainsbourg, beau-père alcoolique, violent et incestuel, enfin par Jacques Doillon, réalisateur star aujourd’hui accusé de viol par Judith Godrèche, qu’il a mis en scène en 1989 dans « La fille de quinze ans ». (Trois autres plaintes ont été adjointes à celle de Judith à ce jour. ) Jane était en couple avec lui à cette époque.

C’est avec lui qu’elle aura en 1982 sa troisième et dernière fille, Lou Doillon.

JANE, SERGE & CHARLOTTE

Mais revenons à l’iconique duo Birkin et Gainsbourg, Jane et Serge.

Lorsqu’ils se rencontrent à Paris en 1968 sur le tournage du film Slogan, Jane a 22 ans, l’air d’en avoir 16, lui en a 41. Il se fait son Pygmalion, lui écrit des chansons puis des albums entiers. Pendant 12 ans il va l’utiliser pour son art, la façonner, la diriger, et entre les murs du foyer conjugal aussi la violenter, la frapper, l’humilier puis l’entraîner dans son sillage enfumé dans la consommation excessive d’alcool, tout en la trompant perpétuellement.

Au milieu de toutes ces violences, il lui a aussi fait un enfant. Une fille. Charlotte.

Baignée dès sa plus tendre enfance dans un climat incestuel glauque et pesant*, Charlotte était la petite poupée de Serge. Une enfant sexualisée, vampirisée par un père qui n’a jamais respecté son intimité. Un père qui l’a embrassée sur la bouche en public, alors qu’elle avait 15 ans et de grands yeux de faon, devant un parterre complice de personnalités du cinéma lors de la cérémonie des Césars en 1986. Cette scène a fait couler beaucoup d’encre, je la trouve personnellement insoutenable à regarder aujourd’hui et inconcevable qu’elle n’ai pas été perçue comme telle en 1986 ; mais un détail me frappe davantage encore car il a été passé sous silence (je n’en ai, même aujourd’hui, trouvé en dehors des images elles-mêmes que peu de traces). Lors de l’annonce du nom de Charlotte comme gagnante du César du meilleur espoir féminin pour L’effrontée, celle-ci se tourne d’abord vers sa mère, Jane, et cette dernière l’embrasse aussi sur la bouche, avant qu’elle ne se lève et que son père la saisisse fermement pour lui imposer deux autres baisers ultra cringe imbibés de la fumée de la gauloise qu’il tient à la main. Charlotte est bouleversée, la mine défaite, elle pleure à chaudes larmes en montant sur scène pour la remise de son prix ; elle a l’air éperdue, et autour tout le monde applaudit la fille de.

Car son père a commencé très tôt à la façonner, il se rêve en Pygmalion comme il l’avait fait pour Jane avant elle. Elle a à peine 12 ans quand il met dans sa bouche des mots d’une ambiguïté révoltante en écrivant pour eux deux le duo Lemon Incest. Tout est dans le titre. Ou presque, car là encore c’est à travers l’image que le climat incestuel répand le plus outrageusement son venin. Le clip, ode à l’inceste et summum du malaise, met en scène une Charlotte dévêtue, mineure et enserrée dans une toile familiale étouffante. Car si ce n’est pas sa mère qui s’érige pour elle en demi-dieu et se met en scène dans son lit, elle est aussi présente à chaque instant dans le tableau, simplement demeurée hors champ.

Bien plus tard, des décennies après la séparation avec « Serge », intervenue en 1980 ; Jane reconnaîtra dans son livre autobiographique Munkey Diaries (paru en 2020), les violences psychologiques et physiques exercées par le chanteur sur elle-même, et, à demi mots, sur leur fille. Cette dernière évoquera aussi pudiquement avoir été témoin des violences entre ses parents, sur fond d’alcool toujours. Dans une interview donnée à Télérama en 2021, elle confie que ces parents se  « mettaient sur la gueule », que « Même après leur séparation, quand il venait nous voir chez elle, les assiettes volaient. Ils buvaient beaucoup". Elle évoque longuement l’alcoolisme de son père et conclut cependant que rien ne pouvait altérer « l’admiration totale » qu'elle éprouvait pour lui.

Comme son public, qui le regardait avec jubilation dépasser les limites sur les plateaux télé, on se souvient de la séquence lunaire de Champs Elysées en 1986, durant laquelle Michel Drucker arrondit les angles tandis que Gainsbourg tripote Whitney Houston de manière non consentie et déclare dans un anglais ivre et balbutiant qu’il voudrait la baiser. Le tout devant un parterre hilare.

LE CYCLE DE LA VIOLENCE SOUS NOS YEUX ÉBAHIS

Au long de cinquante années de carrière, Jane s’est installée dans le paysage artistique français jusqu’à devenir une figure familière. Une personnalité emblématique, une femme douée d’un talent fou et d’un regard sans cesse renouvelé sur la vie, mélancolique et espiègle à la fois.

Sous nos yeux, Jane aura aussi eu trois filles de trois hommes violents, des hommes qui l’ont malmenée, dominée mais qui, directement ou indirectement, ont aussi violenté ses filles. Jane a peut-être échouée à les protéger. Ce texte n’est pas le procès posthume de Jane, car comment l’aurait t’elle fait alors qu’elle a elle-même été abusée mineure par un homme adulte ? Avant que d’être une complice silencieuse, elle était aussi une victime.

Ce qui me rend infiniment triste aujourd’hui, c’est la criante démonstration du cycle de la violence et de sa reproduction que constitue le parcours du clan de Jane et Serge. C’est la continuation de l’emprise de Gainsbourg, même à titre posthume, sur ses ex femmes et ses enfants. C’est la mort prématurée de Kate, les demi-mots de Charlotte, les louanges chantées au propre comme au figuré par Jane. Ce qui me touche aussi, c’est la fragilité de sa dernière compagne et mère de son fils Lucien, Caroline de Paulus, - dite Bambou-, mannequin, héroïnomane et de 31 ans sa cadette quand il la rencontre en 1980. Dans une interview de 2024 sur France Inter, Bambou raconte que petite quand elle voyait Gainsbourg à la télé, elle se disait qu’elle voudrait un père comme lui… le serpent incestuel se mord décidément souvent la queue.

Et parmi toutes ces vies abîmées, ces egos piétinés, ces corps mâchés et recrachés par le monstre sacré, pas une parole de vérité sur ce qu’il était, sur l’ampleur des nuisances et des violences subies par les femmes de son entourage, ne sort de leurs bouches. Presque 35 ans plus tard, le tabou demeure fonctionnel, les lèvres restent scellées, la tombe fleurie, la mémoire sanctifiée. Lucien chante les chansons de son père, Charlotte a transformé l’ancienne maison familiale de la rue de Verneuil en musée, Ben Attal, son fils, a ouvert tout près un piano bar baptisé le Gainsbarre.

Et je suis triste... et en colère. Qu’est-ce qui apaiserait cette colère, qu’est ce qui rendrait enfin justice à la mémoire et à l’existence des victimes, directes ou collatérales, de la violence patriarcale ? Peut-être simplement qu’on dise les mots justes, qu’on arrête de dire amour, qu’on ne prononce plus passion mais qu’enfin, on dise collectivement les termes : injures sexistes, emprise, climat incestuel, violences domestiques par conjoint, violences sexistes et sexuelles (rappelons au passage que la consommation d’alcool, est, aux yeux de la loi, non pas une excuse mais un facteur aggravant de ces violences). 

Qu’on ne baptise pas, en 2024, une station de métro du nom d’un chanteur notoirement coupable de violences sexistes et sexuelles, et ceci malgré la mise en place d’une pétition lancée par l’autrice Cécile Cée et de multiples protestations dans les rangs féministes.

La semaine passée j’ai écouté un épisode du podcast « A la folie pas du tout » consacrée à la relation Birkin/Gainsbourg. Si le podcast a le mérite de regarder les parts sombres de l’histoire, il demeure le royaume des euphémismes, la « relation tumultueuse», les «travers » et « excès » y révèlent « le côté sombre » de Serge qui entre autres « provocations » «fait la cour » à Whitney Houston sur le plateau de Champs Elysées dans le costume de son alter ego Gainsbarre.

Or, j’aimerais qu’on cesse de romantiser la violence, de détourner les yeux des abus qui touchent directement, ou éclaboussent dans leur sillage, des enfants et des familles entières.

Qu’on cesse de nous exhorter non seulement à séparer de l’artiste l’homme, mais aussi le père, le mari, le bourreau et l’incesteur.

Combien de temps encore devra t’on regarder les victimes des monstres sacrés, leurs femmes, leurs enfants, leurs petits enfants, parler d’eux l’œil embué, et applaudir collectivement la mascarade des minotaures ?

Mamacat R. 

-> Pour aller plus loin, quelques sources

Munkey Diaries, Jane Birkin, Fayard éditions, 2021.

A la folie pas du tout : Serge Gainsbourg et Jane Birkin, idylle, chanson et alcool, Bababam podcast, 2025.

Le travail de l’autrice Cécile Cée sur son instagram @cecilcee


* Cécile Cee , autrice agissant pour sensibiliser à la problématique de l’inceste, elle-même victime, en parle très bien

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