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Billet de blog 15 septembre 2024

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L’abbé Pierre, puis l’affaire Mazan, comment sortir de l’image du violeur ?

Affaire Mazan, Abbé Pierre... L'accumulation des faits de violences sexuelles soulève une indignation se répète à chaque fait divers, sans évolution tangible de l'image des auteurs de violences sexuelles. Pour sortir de ce schéma, il est nécessaire de changer de langage.

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L’abbé Pierre, puis l’affaire Mazan, comment sortir de l’image du violeur ?

Les récentes révélations concernant l’abbé Pierre et l’affaire Mazan choquent, à la fois par la personnalité touchée : qui de plus impensable qu’un vieux religieux altruiste comme auteur de violences sexuelles ? ou par le profil de la victime aussi éloigné que possible de la bimbo  ultrasexualisée. Pourtant, à force de balayer tous les milieux artistiques, politiques, médicaux, médiatiques, religieux… l’image du violeur tapi dans l’ombre de la nuit devrait s’écorner pour laisser place aux hommes simples de nos quotidiens. Il n'en n’est encore rien et nous cumulons, affaire après affaire, un étonnement lénifiant qui finirait presque, dans l’esprit de certains, à faire croire à un complot mondial des féministes, tant il est impensable que n’importe quel homme puisse être concerné. Cet étonnement mou, ressurgit presque intact au fil des faits divers, et le combat féministe repart de zéro ou presque son travail patient d’éducation et de diffusion des faits sociologiques pourtant largement documentés.

Comment peut on sortir de cette cage qui nous interdit de voir le fait pourtant évident : s’il y autant de victimes, c’est qu’il y a une masse d’auteurs. Nous les fréquentons au quotidien. Et il est alors bien difficile de définir un collègue, un père, un fils, un ami comme étant un « violeur ».

Et si pour sortir du fatalisme, il fallait changer de sémantique ? Il n’y a pas plus de violeur que de monstres ou de loups tapis dans bois. Il y a des pratiques sexuelles de viol, illégales. Il y a des pratiquants, condamnables pour leurs pratiques. Les pratiquants peuvent donc être autre chose que leurs pratiques : ils peuvent avoir une famille, une histoire, un statut social, des amis, des loisirs. Et pratiquer le viol. Ils peuvent avoir une sexualité parfois non violente à certains moments de leur vie, ou dans un certain cadre. Et pratiquer le viol dans un autre cadre. Ils peuvent pratiquer le viol sur une femme « louée » sur internet et avoir une sexualité consentie avec leur compagne. Ils peuvent donc présenter publiquement des femmes qui jurent qu’ils sont parfaitement équilibrés sur le plan de la sexualité, et dans le même temps, être mis en cause pour viol. Ils peuvent avoir un emploi prestigieux et pratiquer une sexualité pédocriminelle. Ils peuvent avoir pratiqué le viol à une période de leur vie, et pas à une autre. Donc ils peuvent évoluer dans leur conscience et choisir de ne plus pratiquer. Ils peuvent aussi évoluer vers la pratique illégale du viol, délibérément.

Avec cette image en tête, peut être serait-il plus facile pour les hommes de discuter de leurs pratiques comme un sujet de réflexion. Puisque qu’ils ne SONT pas violeurs, mais qu’ils peuvent avoir PRATIQUE le viol, alors il est possible de discuter ensemble, hommes et femmes, de ces pratiques. Si les hommes ne sont pas fiers d’une étiquette de « violeur », s’ils rabâchent à chaque dénonciation du fait social le « not all mens » comme un totem d’immunité qui tracerait une séparation claire, intangible et immuable entre les violeurs et les autres ; ils sont en revanche beaucoup plus enclins à discuter de leurs pratiques sexuelles. Peut-on imaginer d’examiner ces pratiques en société ?

Les femmes, en tant que victimes, parcourent un long chemin pour s’autoriser à elles-mêmes ce statut : victime. La déconstruction des schémas de domination patriarcale est lente et infinie pour celles qui s’y engagent et la première étape n’est pas toujours d’accepter une étiquette de « victime ». Il est donc entendable qu’un pratiquant de sexualité violente, non consentie (et donc illégale), chemine lentement vers la déconstruction des mécanismes sociaux, historiques, économiques, qui sous tendent cette pratique. Et que ce chemin de démarre pas obligatoirement par l’acceptation de l’étiquette « je suis un violeur ». Il est de même plus acceptable de discuter dans nos cercles familiaux et amicaux de nos pratiques sexuelles, de nos façons de gérer le consentement, de la place des mots dans nos relations, des fantasmes et des attentes qui servent de décor à notre vie sexuelle plutôt qu’à se dire que notre voisin de table est un violeur.

Chaque fait divers mettrait alors en lumière une modalité de pratique illégale différente, plutôt qu’une révélation sensationnelle centrée sur une personnalité singulière et irrémédiablement disqualifiée ; et permettrait aux pratiquants ordinaires de questionner à leur tour leur pratique plutôt que de pousser un secret ouf de soulagement d’être – encore pour un temps- un « not all mens ».

Nous femmes et hommes victimes de ces pratiques illégales, et du cortège des discriminations de genre qui les accompagnent et les permettent, n’avons pas besoin de trier la population masculine entre « violeurs » et « non violeurs », ni de bannir les « violeurs ». Ce serait entretenir implicitement la culture du viol que nous combattons. Nous avons besoin que la société progresse collectivement, en questionnant sereinement sa culture. Expliciter l’intime, l’infime, accueillir le conditionnement viril pour le questionner, dans notre entourage proche, chaque jour à chaque occasion possible. Pour que la surprise se transforme en question, et la question en transformation.

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