Faisant honneur a son nom d’al-Faisal (le juste, le médiateur), il était un commandant connu pour son humanité. La guerre l’a endurci mais ne l’a jamais conduit à renoncer à ses principes. Il est mort en martyr devant la ville de Manbij en 2016 (Allah yarahmou). Voilà une lettre à sa fille Layla, écrite pendant la bataille de Kobané:
« A ma Layla adorée,
C’est notre chemin et c’est notre devoir de défendre, travailler et combattre tant pour ton avenir que pour celui des autres enfants comme toi.
Je souhaite que, quand tu auras grandi, on ne jettera pas la honte sur nous en disant que vos parents et vos grands-parents n’ont rien fait pour vous.
Je combats pour toi, pour les enfants comme toi. Si nous encourrons tous ces dangers et ces risques, c’est pour œuvrer à un avenir meilleur pour toi et les autres enfants comme toi, pour que vous puisiez vivre une vie libre et sécure dans ce pays.
Nous allons continuer cette révolution jusqu’à la libération totale de notre pays adoré, la Syrie.
Tu me manques tellement..
Oh ma douce Layla, soit sûre que tu pourras être fière de ton père, que je sois vivant ou martyr.
Ton père, Abou Layla, à Kobané. »
Au début de la guerre, al-Faisal, natif de Kobané, était un jeune mécanicien de 28 ans, père de deux petites filles qu’il adorait. Au début de l’insurrection, sous le nom de guerre d’Abou Layla (« le père de Layla, en hommage à sa fille aînée) il prit la tête des bataillons Chams al-Chamal, puis de Jaych al-Thuwar (l’armée des révolutionnaires), avec la volonté d’en finir avec le régime al-Assad. Puis, révolté par les crimes des milices de la soi-disant « armée syrienne libre » désormais manipulée par l’Etat turc, l’Arabie saoudite et le Qatar, il conclut une alliance avec les milices kurdes YPG et YPJ (Unités d’Autodéfense du Peuple/Unités d’Autodéfense des Femmes) pour une Syrie démocratique et multiculturelle.
Certaines personnes cherchent à expliquer tout le conflit syrien par des grilles d’analyses nationalistes ou communautaires (en gros, il y aurait les Arabes sunnites, les Alaouites, les Chrétien-ne-s, les Kurdes…et chacun combattrait pour sa communauté). Mais la réalité est beaucoup plus complexe. Ainsi, la bataille de Kobané a souvent été présentée en Europe comme une « victoire des Kurdes contre Daesh », mais plusieurs commandants de Daesh était des Kurdes, tandis que Saadoun al-Faisal, plus connu sous le nom d’Abou Layla, un des héros les plus populaires de la résistance était un commandant arabe.
Les Kurdes ne sont pas un bloc homogène, ils et elles sont traversé-e-s par les luttes politiques et les luttes de classe. En ce moment, la famille féodale des Barzani (les amis de Kouchner et de BHL!) qui dirige le Kurdistan d'Irak envoie ses mercenaires (les "Roj pershmerga", entraînés par l'Etat turc) mener la guerre contre les bases du PKK dans les montagnes (à la frontière kurde) et aussi contre les survivant-e-s du génocide yézidi de 2014 qui se sont rapprochés du PKK. La politique des Barzani est pro-impérialiste et anti-populaire, ils "oublient" de payer les fonctionnaires mais se font construire des villas aux States, ils maintiennent leurs propres minorités nationales (Arabes sunnites, assyrien-ne-s, yézidis...) dans des logiques d'allégeance et de clientélisme et les répriment quand elles demandent des droits, ils tolèrent les "crimes d'honneur" et les mutilations sexuelles des petites filles...Bien que Kurdes, les Barzani sont d'abord des féodaux.