Il est difficile d’imaginer une société sans Gouvernance ni Institutions ; pourtant si l’on essaie de comprendre d’où nous vient cette certitude, on se rend vite compte que ces instances incontournables reposent sur des images que tout le monde peut croire légitimes.
Ces images qui constituent le soubassement de toutes les cultures sont la Croyance, parce qu’elle offre aux individus une vérité transcendante, la Politique censée offrir à chacun une place adaptée dans la communauté, et l’Economie qui doit gérer les ressources naturelles dont les hommes ont besoin pour vivre.
Selon les âges et les cultures, ces trois systèmes d’images se sont déclinés différemment, car les hommes ont un besoin essentiel de participer à une commune vérité, mais aucun des discours n’a pu offrir une Vérité universellement reconnue ; et au sein d’une même culture, ces trois sources de vérité ainsi que les lois ou comportements qui en découlent ne sont que rarement en cohérence. Il suffit de penser que depuis l’origine de notre civilisation les individus n’ont que peu bénéficié dans leur vie quotidienne des droits, libertés ou valeurs que les philosophes ou dogmes leur accordaient, que le pouvoir et les richesses ont toujours été entre les mains de quelques-uns, bourgeoisie d’affaire ou d’argent, oligarchies, princes, grandes familles ou sociétés anonymes… et que la place accordée au « communs des mortels » a toujours été définie par les intérêts de castes dominantes, quelles qu’elles soient, et à quelque niveau de pouvoir qu’elles se situent.
Un citoyen à l’écoute des informations trouvera ce constat pertinent, et les paroles médiatisées sont acceptées comme exactes parce qu’elles expriment à l’évidence, des vérités non prouvées certes, mais acceptables puisqu’énoncées par des professionnels. Leur sens est immédiatement compréhensible parce qu’elles sont référées spontanément à des connaissances non formulées, quotidiennement mises en chroniques que les sociologues appellent des fantasmes sociaux.
Par exemple, on peut vraiment croire que la croissance économique est nécessaire, puisque ces paroles sont répétées quotidiennement comme à un dogme légitimé par nos institutions ; et ce fantasme fait de nous tous en vérité des homo œconomicus.
Avant l’ère industrielle, la Noblesse, propriétaire des terres et parfois des hommes eux-mêmes imposait le travail productif, l’impôt et les services, l’enrôlement dans les armées et les guerres. Le Clergé assurait la cohésion communautaire en régnant despotiquement sur les mœurs, sous peine de sanctions parfois terribles. Ce modèle social a partiellement disparu à la révolution de 1789, mais au XXIème siècle, la valeur intrinsèque d’un individu, enfant ou adulte dépend toujours de sa force productive, et socialement il n’a toujours pas d’autre importance que d’être la matière d’œuvre nécessaire au développement des richesses. L’emploi est au centre des préoccupations de tout le monde, mais le travail n’est pas apprécié comme un échange de compétences nécessaires à la communauté ; ce qui compte c’est sa valeur comptable qui permet de maintenir l’économie du pays, et si un individu est privé de sa possibilité ou de son droit au travail, sa valeur devient nulle aux yeux de ceux qui lui accordent une place dans le système social.
Le droit de pouvoir travailler en contrepartie d’une richesse monétarisée lie le salarié de façon aussi organique que les chaînes de l’esclave, et cet assujettissement est même réclamé comme un dû par ceux qui ne peuvent pas concevoir de vivre ensemble autrement que grâce à leur pouvoir d’achat. Le salaire d’un individu n’est d’ailleurs sa propriété que comme une partie indissociable du fonctionnement global de l’économie, un placement temporaire qui doit rentrer dans la nécessaire circulation de l’argent ; et sa valeur n’est comptabilisable que s’il est dépensé, sujet à crédit, ou à intérêt.
L’idéologie marxiste voit dans ce mouvement perpétuel de l’argent la base de l’aliénation de l’Homme, mais la société ainsi décrite est selon les sociologues un « système complexe », c’est-à-dire un ensemble d’entités identifiables interactives dont on ne peut ni contrôler ni maîtriser le fonctionnement. Un tel système possède en lui-même toutes les énergies qui le font fonctionner, dont le principe d’homéostasie force d’inertie impersonnelle qui fait qu’une structure se maintienne en l’état par son fonctionnement lui-même.
Ce concept abstrait s’applique parfaitement au système économique mondial dont le credo repose sur la nécessaire croyance en ce progrès continu ; et aux mots déjà cités en italique, on peut rajouter les termes incontournables connus de tous : croissance, valeur, mondialisation, finance, dette, pouvoir d’achat…, symboles porteurs de vérité comme les Tables de la Loi.
Rituellement répétés par les rituels médiatiques ils fondent la sémantique reconnue, sinon comprise, de notre monde.
La croissance garantit la valeur de l’argent, symbole ultime de la bonne santé du monde, et la valeur de l’argent est garanti par la quantité virtuelle des richesses à venir. Cette certitude se maintient grâce à la confiance, qui accompagne au quotidien le mouvement des Bourses financières. La confiance, quotidiennement réévaluée est le mercure qui monte ou descend en fonction des aléas touchant l’équilibre du système, et toutes les structures qui tiennent l’économie mondiale en sont dépendantes.
Les institutions supra nationales sont elles-mêmes totalement prisonnières de cette seule réalité politique qui a pris le monde entier en otage depuis qu’au-dessus de l’économie, dont l’objectif était de gérer les ressources naturelles et les biens produits au profit des hommes, la finance est devenue la caution de la santé du système.
La finance a imposé ses propres règles, certifiées par le discours de l’économie qui n’est pas toujours vraiment en adéquation avec les ressources réelles du monde. Son unique objectif est de ne jamais être mise en doute, car une crise de l’une de ses composantes, surendettement ou faillite d’un État aurait un effet domino sur l’ensemble du monde, l’économie reposant sur la valeur comptabilisée des biens reconnus pour chacune de ses composantes, entreprise, État ou Banque.
Cette foi nécessaire en une croissance continue impose une estimation potentielle crédible pour maintenir la confiance ; mais la richesse réelle est inférieure de façon abyssale à celle artificiellement estimée. Les mécanismes de régulation proposés pour éviter une faillite en chaîne, plans de relance ou restructuration de la dette, reposent sur des artifices réalisables au détriment de la population qui doit produire des richesses pour maintenir le marché, et de plus détruisent la planète de façon irréversible.
Dans la situation de crise mondiale due à l’épidémie de Covid-19 actuelle, les États sont contraints de faire marcher la planche à billets de façon totalement déconnectée de leur valeur réelle pour éviter le crash, et ne pas faire imploser le système financier. Reposant sur un espoir de reprise économique dont personne ne peut avoir la moindre idée, cette fabrication de liquidités ne fait même plus semblant de reposer sur une réelle production.