Spike Lee vient de réaliser un nouveau film qui prend le pouls de la société américaine de manière brute, directe et sans excuses, et en même temps une comédie parfois hilarante, un esthétisme sophistiqué (sexy comme le disent certains), et même une trame poétique. Le travail sur la langue est exceptionnel: le film, qui ouvre sur une chanson de hip-hop avec les paroles apparaissant au fur et à mesure en rouge sur fond noir, est écrit en vers dans la langue des quartiers, du hood des métropoles américaines et de ses influences. Un film qui ne peut certainement que se voir en version originale.
Surtout, Chi-Raq aborde directement la violence des armes à feu – et la NRA (National Rifle Association, la très puissante organisation de défense et de promotion des armes à feu) est directement citée –, le mouvement contre la violence faite contre les Noirs – et il mentionne non seulement le mouvement Black Lives Matter mais également les récentes victimes de la violence policière ainsi que des criminels tels que Dylann Roof (auteur du massacre dans une église à Charleston en Caroline du Sud le 17 juin 2015) –, et plus encore. La violence dans les villes américaines est liée à une histoire, à des intérêts, et à une situation d'inégalité profonde qui est à la base d'une communauté déchirée. Le film énonce notamment une réalité peu (re)connue: ceux qui vivent dans les quartiers pauvres ont recours au marché noir parce que les banques leur refusent des prêts raisonnables. Quel que soit le camp auquel on appartient dans l'affrontement à l'intérieur de la communauté, toutes les victimes semblent avoir les mêmes caractéristiques raciales et économiques.
Le film est un hommage à la pièce de théâtre d'Aristophane et également un film peu conventionnel: entre les interventions régulières du narrateur (joué par Samuel Jackson), des moments proches de la comédie musicale, des scènes dignes d'une vidéo musicale, une collection de faits sur la société américaine (le nombre de victimes de la violence par les armes à feu à Chicago dépasse le nombre de victimes américaines dans les guerres en Iraq et Afghanistan), on passe en vers et en rimes d'un rire à une larme, d'un coup de feu à un baiser.
Surtout, il souligne ce qui était vrai il y a 2 500 ans et qui l'est encore aujourd'hui, sorte d'évidence que l'on préfère généralement ignorer ou rejeter d'un revers de main moqueur: la guerre est une affaire d'homme et les victimes sont hommes, femmes et enfants. Peut-être la leçon la plus brûlante est aussi la plus ancienne, et peut-être devrions-nous réellement en faire une actualité constante; il est peut-être temps pour un nouveau féminisme global qui s'attaquerait aux guerres de tous genres, contre le terrorisme, contre la drogue, contre le changement climatique, contre la bêtise... En tout cas, le cri de Lysistrata dans le Chicago du XXIème siècle est un cri nouvellement traduit: No peace, no pussy.
Bref, un film actuel et intemporel, bien sûr. A voir.