Soyons directs, soyons clairs: Donald Trump a une vision du monde, de la société, de la politique qui sont tels que ses propos: fascistes. Bien sûr, nous pourrions débattre du terme lui-même à l'infini, mais que chacun relise les classiques et fasse sa propre opinion. Trump construit sa campagne présidentielle pour les primaires républicaines sur une plate forme basée sur la peur, le plus vieux des outils politiques de ces droites extrêmes ou pas: il est viscéralement anti-immigration – il propose entre autre d'interdire les musulmans de venir aux États-Unis après avoir proposé qu'on les distingue en tant que tel sur leur carte d'identité –, il prétend être tough (dur) en ce qui concerne le terrorisme – il souhaite notamment réintroduire voire légaliser la torture (waterboarding) –, et il compte gouverner le pays comme un business, un point c'est tout.
À première vue, c'est ahurissant qu'un tel clown (c'est le spectacle d'un showman et, à regarder de près ou de loin, il ne fait pas preuve de beaucoup d'intelligence) puisse être loin devant dans les sondages parmi les candidats républicains. Non seulement il a lancé sa campagne avec une tirade contre les immigrants mexicains (disant notamment que ce sont en grande majorité des violeurs) – un segment de la population qui, faut-il le rappeler, lui a permis de devenir milliardaire – mais depuis il n'a pas arrêté de faire preuve de démagogie extrémiste.
Prenons un exemple en évoquant une référence historique à laquelle il a fait allusion : pour justifier sa proposition d'interdire toute immigration de musulmans aux États-Unis, il a fièrement rappeler un acte de FDR (Franklin Delano Roosevelt). Il s'agit du décret présidentiel (executive order 9066) de FDR de créer des camps d'internement pour tous les japonais-américains pendant la seconde guerre mondiale suite à l'attaque sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Or, ces camps d'internement, actifs entre 1941 et 1945, sont l'une des pages les plus sombres de l'histoire des États-Unis en ce qui concerne l'immigration (ce n'est pas la seule, et peut-être qu'un rappel historique devra faire l'objet d'un autre billet de blog). Plus de 120 000 personnes d'origine japonaise, dont plus de la moitié étaient en âge d'aller à l'école, ont été enfermées pendant quatre ans dans des camps d'internement entourés de barbelés, logés dans des baraques en bois construites pour l'occasion, dans des conditions sanitaires très aléatoires. La plupart étaient des citoyens américains ou des résidents permanents. Ces personnes furent arrêtées chez elles, laissant derrière emplois, maisons, affaires et relations, et furent emmenées de force vers les camps. Tout cela sans aucune preuve d'espionnage ou acte de sabotage. Simple suspicion, simple mesure préventive. Ce fut l'un des rares cas où le congrès américain a reconnu qu'une "grave injustice a été faite" et a dédommagé les survivants de ces camps à l'échelle de 20 000$ chacun avec une excuse officielle signée par le président en 1988. Voilà l'évènement auquel Trump fait référence pour justifier ses propositions racistes et xénophobes.
Les exemples abondent. Et l'on peut s'attarder sur Trump pendant longtemps tant ses positions sont extrêmes, ses propos scandaleux, sa personnalité mégalomaniaque. Mais la vraie question, selon moi, est la suivante: comment un tel personnage, qui devrait être rejeté dans les marges extrémistes dès son apparition, peut-il attirer des citoyens, des votes, un intérêt, et être pris au sérieux?
Il y a, à cette question, de nombreuses réponses. De toute évidence, le scandale vend, la bêtise aussi, et les médias se régalent avec lui. Il y a aussi son argent et sa puissance qui en découle (impossible désormais, aux États-Unis, particulièrement depuis la décision de la cour suprême Citizen United v FEC en janvier 2010 – connue sous le nom Citizen United – de réaliser quoi que ce soit politiquement lors d'une candidature présidentielle sans des millions et des millions, voire des milliards). Il y a la simplicité des discours d'extrême droite qui sont si faciles à comprendre et à digérer (nous manquons d'argent, d'emploi, il y a de l'insécurité, le monde est dangereux, c'est la faute de ____, clairement, ils sont différents...).
Surtout, deux points à signaler qu'il faut prendre au sérieux. En premier lieu, les griefs des américains sont réels. Avec un taux d'inégalité record depuis que l'on en prend la mesure, avec des travailleurs pauvres qui, malgré plusieurs jobs, n'ont pas assez pour vivre et nourrir leur famille, avec une grande partie de la population qui a fait ce que l'on attendait d'elle et qui se retrouve sans être capable de vivre décemment, le raz-le-bol a besoin d'un exutoire, d'une solution radicale, anti-système. L'extrême droite, comme en France et ailleurs, fleurit dans l'abondance de bouse.
Second point. Trump, avec ses clowneries et sa démagogie, cache un problème plus profond, plus systémique: les autres candidates républicains ne sont pas si différents. Voilà le vrai danger de Trump, celui de nous faire croire qu'il est un individu qui gagne de l'attention et du soutien mais qu'il n'est pas lui-même le produit d'un système. Il est extrême, certes, mais les autres candidats jouent sur les mêmes peurs, proposent des solutions similaires (Jeb Bush a proposé que l'on accepte que des chrétiens comme réfugiés), et ont des positions très proches, tant sur la politique intérieure que sur la politique extérieure, de ce démago. C'est sur cela qu'il faut s'attarder, plus encore que sur les singeries d'un mégalo.
Lueur d'espoir à discuter ultérieurement: pour une fois depuis longtemps il y a dans les rangs des candidats démocrates un démocrate socialiste, fier de son socialisme, Bernie Sanders, sénateur du Vermont. Bien évidemment, il n'a pas le même temps d'antenne que Trump, mais lui aussi est caractéristique d'une nouvelle attention et attraction aux États-Unis. Après tout, pourquoi ne pas terminet ce billet avec un brin d'espoir...