La clef de la présidence d'Obama réside sûrement dans sa victoire à l'élection de 2008: celle, bien sûr, du prix marketing de l'année pour sa campagne présidentielle, remportée haut la main devant Apple.

Au-delà de l’aspect sans aucun doute historique de l’élection présidentielle de Barack Obama, et au-delà de la lugubre plaisanterie de son prix Nobel de la paix, cette victoire de la publicité est le véritable symbole et la superbe illustration de sa présidence. Une victoire sans appel: ce sont, en effet, des centaines de professionnels du marketing qui, chaque année, remettent ce prix à la meilleure campagne publicitaire de l’année. Advertising Age Marketer of the Year 2008 : voilà une distinction qui en dit long sur la politique d’aujourd’hui, et pas seulement celle d’Obama.
En fait, la nouveauté n’est pas tant dans la stratégie de communication, de marketing, de relations publiques, qui fait désormais partie intégrante de la cuisine gouvernementale. C’est plutôt l’excellence de Mr Obama et de son administration dans ce domaine.
Clairement, Obama a continué, intensifié, et instauré certaines mesures ou politiques qui auraient été impossibles pour un président républicain sans un tollé chez les "intellectuels de gauche", sans des mécontentements, des protestations de toute l’intelligentsia mollement progressiste et bien-pensante. Si l’on exclut le premier terme de Bush (2000-2004) – qui a complètement crevé le plafond de toute décence politique minimalement respectable même pour les standards d’une superpuissance américaine à laquelle on était habituée dans les années précédentes – Obama et l’administration qui règne depuis 2008 est dans la droite lignée des années Bush deuxième terme (2004-2008). Quelques exemples ici esquissés.
Continuation. Guantanamo n’est pas fermé (souvenons-nous, l’une de ses premières promesses), et l’alimentation forcée constitue pour beaucoup (dont la World Medical Association) un acte de torture. L’économie suit le même mouvement sous Obama comme sous Bush : l’idée d’implanter une économie qui ne marche pas, celle d’une économie trickle down. Il suffisait de voir avec qui Obama choisissait de s’entourer dès son élection pour constituer son équipe économique. Bloomberg News a fait ce travail de recherche sur tous les membres de l’équipe économique d’Obama, observé leur parcours, et a ironisé, juste après l’élection : encore plus de la même chose. Arriver à faire en sorte que même la presse business trouve de l’ironie dans cette recette, c’est un succès... Et puis, depuis le crash de 2008, les riches ne se sont jamais aussi bien portés (voir cet article en anglais tiré d'une étude de Thomas Picketty et Emmanuel Saez).
Intensification. Mentionnons les drones ? Bush avait une politique étrangère pour s’occuper des suspects : les faire arrêter à l’étranger à l’improviste, les mettre dans un avion direction un pays ami qui s’y connait en matière d’internement indéfini et de tortures (avec la coopération de certaines compagnies aériennes), et voir ce que l’on peut en tirer par des pratiques illégales, immorales, aberrantes. Obama, ancien avocat constitutionnel s’il vous plaît, s’occupe d’éliminer les suspects dans la plus grande discrétion, avec la plus grande distance. Présumé innocent jusqu’à preuve du contraire ? Non, on envoie des drones, on tire, on tue. Même des citoyens américains. Même un gamin de 16 ans américain. (Ici ou le nouveau film de Jeremy Scahill tiré de son livre, Dirty Wars). Intensification de la politique de Bush, qui entre 2004 et son départ de la Maison Blanche en 2009 avait fait 49 sorties de drones au total. Obama en est à 325 rien qu’au Pakistan, une cinquantaine au Yémen. Et au passage, le nombre de tués dans les attaques de drones dépasse les 3000. Il faut savoir que la directive était de compter tout homme d’âge militaire tués comme « ennemi combattant » (une politique de chiffres s'il en est – ici). Malgré cela, on parle de près de 1000 civils tués, et de près de 300 enfants (ici). Quand Obama a la larme à l’œil pour l’attaque horrible dans une école dans le Connecticut pour laquelle il ne pouvait pas directement faire grand-chose, mais qu’il ignore complètement les enfants morts comme conséquence directe de ses décisions, de sa signature, la question de la valeur d’une vie humaine pour le gouvernement, même celle d’un enfant, selon la nationalité (ou la culture ou quelque autre critère différentiel), se pose. Les faits y répondent.
Instauration. Jamais, ô grand jamais la presse pseudo-libérale mainstream américaine, et européenne d’ailleurs, n’aurait laissé un président républicain persécuter les journalistes et les whistleblowers de la manière dont l’a fait l’administration Obama depuis qu’il est au pouvoir. Il a plus que doublé le nombre de persécutions de « lanceurs d’alerte » par rapport à tous les autres présidents américains réunis. Depuis le espionage act de 1917, il y a eu en tout et pour tout trois poursuites judiciaires avant Obama. Depuis 2009, nous en sommes à huit.
Devrais-je également parlé de l’immigration ? L’administration Obama a expulsé le nombre extravagant de près de 2 millions de personnes des États-Unis. De nombreux commentateurs sérieux parlent d’une véritable guerre contre les immigrants (en effet).
Il faut se rendre à l’évidence. Il y a aux États-Unis une droite bien ancrée à droite ; et une extrême droite d’un conservatisme radical délirant. Les républicains, on l’a vu avec la fermeture récente (shut down) du gouvernement, sont au-delà de toute santé mentale décente et sont tombés dans une obscénité délirante. Mais les démocrates poursuivent un agenda néolibéral, une stratégie guerrière qui remet en cause la notion même de guerre mais qui en garde les mêmes ravages et la même terreur sur les populations (voir l’article sur médiapart de Joseph Confavreux « Attention, philosophie de guerre » à propos du livre La théorie du drone, ici).
Le salaire minimum aux États-Unis est aujourd’hui, en tenant compte de l’inflation, de près de 5$ de moins qu’en 1968. Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a explosé, de même que les travailleurs pauvres (ce qui ont au moins un boulot mais ne peuvent vivre et se payer les nécessités). En 2010, 22% des enfants américains, soit 16.4 millions étaient pauvres. C’est sans compter ceux qui sont juste au-dessus du niveau de pauvreté et ne rentrent pas dans les statistiques. En 2010, 15% de toutes les personnes vivaient dans la pauvreté, un taux record depuis 1993. Et les écarts sont encore plus choquants lorsque l’on prend en compte ce qu’on nomme encore la « race », ou l’ « ethnie » aux États-Unis, c’est-à-dire les Noirs ou les Hispaniques, montrant une société encore largement ségréguée (ici). Surtout, le taux d’inégalité n’a jamais été aussi grand: l'inégalité entre le 1% (les familles gagnant plus de 394 000$ en 2012) et le reste de la population est le plus important depuis 1927 comme le montre l'étude de Picketty et de Saez à l'université de Berkeley en Californie (ici). (Pour ceux qui lisent l'anglais: "As the economy moved slowly away from the crash, incomes of the top 1% have grown more than 31%, while the incomes of the 99% grew 0.4%"). Mais surtout, ils montrent que l'absence de toute réforme économique progressiste est derrière ces chiffres et cette inégalité.
Obama aurait pu être ce qu’il vendait. Il avait un soutien national et international sans précédent. Mais un regard même furtif sur son passé, son idéologie, son équipe, aurait suffi à faire taire tout espoir, toute croyance dans le changement. La surprise aurait été de voir arriver le contraire de ce qui a suivi. Ces exemples n'ont d'autre but que de discuter brièvement de ce qui est souvent passé sous silence, aux États-Unis dans la plupart des journaux à grands tirages, mais aussi en France, où Obama a encore l'aura d'un bon produit de gauche. Une superbe campagne publicitaire qui fonctionne encore malgré l'énormité de la chose.
Alors, de quoi Obama est-il le nom ? Est-ce de ce que la pomme est devenue le nom, un beau produit qui se vend bien ?