En août 2013, DfID, le département du gouvernement britannique en charge du développement international a lancé un appel d’offre pour le WaSH[ii] Results Programme. Ce financement initialement prévu de £104,000,000 GBP (soit un peu moins de 120 millions d’euros) avait pour but d’aider le gouvernement britannique à atteindre leur objectif de 60 millions de personnes avec des initiatives d’amélioration de l’accès à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène, en ligne avec l'objectif du millénaire 7C : Réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas accès à un approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base. Ce financement (très généreux en soit) avait cependant une particularité : le paiement était lié aux résultats. Les ONG voulant participer à ce programme ont donc dû répondre à un appel d’offre où elles étaient en concurrence avec des entreprises privées. Finalement après de longues négociations, la mise en œuvre du programme a été lancée en août 2013 à travers 3 consortiums d’ONG internationales :
- Le Consortium for Sustainable WASH in Fragile Contexts (SWIFT) sous la responsabilité d’Oxfam GB ; travaillant en RDC, au Kenya et initialement au Liberia[iii] sur les trois domaines WaSH.
- Le South Asia WASH Results Programme (SAWRP), un consortium sous la responsabilité de Plan UK ; travaillant au Bangladesh et au Pakistan également sur les trois domaines.
- Le Sustainable Sanitation and Hygiene for All (SSH4A) Results Programme mis en œuvre par SNV Netherlands Development Organisation ; travaillant au Ghana, en Ethiopie, au Kenya, au Mozambique, au Népal, au Soudan du Sud, en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie dans le domaine de l’hygiène et de l’assainissement.
Qu’est ce que le Payment by Results (PbR) ?
Le PbR est une forme de financement qui conditionne le paiement à l’atteinte et à la vérification indépendante des résultats.
Selon DfID, le PbR doit respecter trois facteurs clés :
- Le paiement est lié à la réalisation d’objectifs clairement définis : ces objectifs sont des résultats (outcomes), par exemple le nombre de bénéficiaires ayant accès à des latrines hygiéniques, et non des activités (inputs), par exemple la distribution d'outils pour creuser.
- La réalisation est à la discrétion du receveur : l'organisation en charge de la mise en œuvre du programme est libre de décider comment s'y prendre pour atteindre les résultats.
- Une vérification robuste des résultats : chaque résultat obtenu doit faire l’objet de justificatifs documentés et doit être vérifié de façon indépendante par une tierce partie avant que le paiement puisse être effectué.
Les ONG ne sont pas préparées pour ce type de contrat
Lors de la réponse à l’appel d’offre et pendant toutes les négociations, il est apparu que les ONG n’étaient pas équipées pour répondre à ce genre de contrat. Le système de subvention qui était jusqu’à présent la norme pour l’aide humanitaire ne les ayant jamais poussé à connaître leur valeur marchande. Avec le PbR, en plus du coût par bénéficiaire et des frais d’administration, l’ONG doit également estimer les coûts annexes et le risque qu’elle prend : coût du préfinancement, coût des négociations en amont du projet, risque de ne pas être payé, …
Sur le terrain non plus les ONG ne sont pas préparées pour ce type de financement car leur système interne a été créé pour répondre aux exigences des bailleurs par rapport aux subventions. Les programmes financés en PbR deviennent donc rapidement très couteux en terme de temps de travail et d’investissement pour des ONG.
Quelques avantages du Payment by Results
Malgré tout, ce type de contrat présente certains avantages et peut être intéressant s’il est implémenté dans les conditions optimales.
❖ Flexibilité d’implémentation : L’ONG de mise en oeuvre est payée en fonction des résultats atteints et non de son programme de mise en œuvre. Elle est donc complètement libre par rapport à son plan d’action. Le grand avantage de cette flexibilité est de pouvoir s’adapter au contexte. Cela permet aux équipes de revoir leur plan d’action régulièrement en fonction de la réalité du terrain, améliorant ainsi l’implémentation et la redevabilité envers les bénéficiaires.
❖ Autonomie dans la gestion du budget : L’ONG d’implémentation préfinance le programme et est remboursée en fonction des résultats atteints. Elle n’a donc aucune d’obligation de justifier ses dépenses et le bailleur ne peut pas auditer ses comptes. Le budget peut donc être révisé régulièrement pour s’adapter au contexte, aux difficultés et au plan d’action.
❖ Ressources et activités mises au service des résultats : En révisant fréquemment le plan d’action ainsi que le budget, sans pour autant avoir de comptes à rendre au bailleur, l’ONG d’implémentation peut mettre le maximum de ressources au service des résultats à atteindre améliorant ainsi ses chances de succès.
❖ Meilleure optimisation des ressources (Value for Money) : Ne pas avoir de ligne budgétaire à respecter pousse l’ONG d'implémentation à analyser chaque sortie d’argent. En économisant ainsi sur certaines dépenses, elle peut réinjecter de l’argent dans d’autres parties du programme. Des frais de support réduits permettront ainsi de mettre en place des activités programmatiques supplémentaires ou d’organiser un atelier de retour d’expérience afin de partager les leçons apprises et les bonnes pratiques.
❖ Suivi et Évaluation minutieux : Le paiement étant lié à la vérification des résultats et au nombre exact de bénéficiaires directs atteints par ce résultat, le système de suivi et d’évaluation est beaucoup plus précis. Chaque activité liée à un résultat doit donc être réalisée, justifiée et vérifiée en interne par rapport au nombre de bénéficiaires directs atteints et à sa qualité (respect des standards minimum). Cela permet de suivre en temps réel toutes les activités du projet et d’avoir des preuves de leur avancement.
❖ Améliore la responsabilité envers les bénéficiaires : Le paiement étant lié au nombre de bénéficiaires directs atteints, chaque bénéficiaire devient important. Les équipes savent exactement le nombre de personnes atteintes pour chaque activité et tout sera mis en œuvre pour que l’ensemble des populations ciblées ait accès aux services et donc aux résultats. Les bénéficiaires de leur côté apprécient ce type de financement car ils ont la garantie que, si leur situation ne s’améliore pas, l’ONG d’implémentation ne sera pas payée.
Quelques inconvénients du Payment by Results
❖ Formation et mise en place d’un nouveau système : Comme mentionné plus tôt, mettre en œuvre un programme financé en PbR nécessite de former l’ensemble de son équipe sur le PbR ainsi que de développer et de mettre en place un nouveau système de suivi et d’évaluation.
❖ Prise de risque financière et de réputation : Avec le PbR, l’ONG d’implémentation endosse le risque financier du programme. Si les résultats ne sont pas atteints le bailleur de fonds ne remboursera pas les frais qui ont été engagés. Les ONG n’ayant pas de fond de roulement suffisant ne peuvent donc pas accéder à ce type de financement. En assumant ce type de financement, même les plus grosses ONG prennent un risque substantiel. Le risque peut également se reporter sur la réputation des ONG que ce soit du point de vue des bénéficiaires ou des bailleurs.
❖ Forte pression : Aujourd’hui, le PbR est principalement utilisé pour des « gros » contrats. Cela permet, entre autres, aux bailleurs de transférer une partie des risques aux ONG. Les risques liés à ce type de financement ajoutent alors une pression supplémentaire sur les équipes en charge de la mise en œuvre du projet.
❖ Bénéficiaires indirects non comptabilisés : Le paiement ne prend pas en compte les bénéficiaires indirects (les données sont souvent invérifiables) créant ainsi un « manque à gagner » pour l’ONG d’implémentation.
❖ Système de vérification très lourd : Tout le système de suivi, d’évaluation et de vérification des justificatifs de résultats est extrêmement coûteux, lourd et chronophage. Il est important de travailler en collaboration avec les équipes présentent sur le terrain lors de la création de ce système.
❖ Programme plus coûteux qu’une subvention : Les programmes financés en PbR sont globalement plus coûteux que les programmes financés par subventions à cause de la vérification indépendante des résultats. Cette vérification est nécessaire car c’est elle qui détermine le paiement. Reste à savoir si la quantité et la qualité des résultats valent cette différence de coût.
La majorité de ces inconvénients peut cependant être endiguée en prenant certaines mesures en amont mais aussi en définissant le cadre dans lequel le PbR est le plus adapté.
Place pour un débat
Cet article ne présente que les principaux avantages et inconvénients, le sujet est beaucoup plus large et ceci n’a d’autre but que d’ouvrir la conversation. De nombreux articles et discussions ont actuellement lieu autour du PbR aux États-Unis et en Grande Bretagne. DfID a annoncé qu’un nouveau WaSH Results Programme serait lancé l’an prochain et certaines ONG françaises semblent intéressées. Pourtant, jusqu’à présent, très peu d’articles ont été publiés à ce sujet et aucun réel débat n’a lieu. Il est cependant important que les ONG commencent un dialogue ne serait-ce que par rapport aux conditions sous lesquelles elles accepteraient d’être financé par contrat commercial.
Jusqu’alors les ONG étaient principalement financées par des subventions, avantage en contrepartie duquel elles intervenaient selon certains principes : aller là où le besoin est le plus grand sans faire de bénéfices. Si elles acceptent de perdre cet avantage, il est nécessaire qu’elles réfléchissent à ce qu’elles veulent en échange… Le financement de l’aide internationale à travers des contrats commerciaux à certes des avantages mais il doit être encadré afin de préserver les valeurs de l’humanitaire.
[i] Institutions qui financent l’aide humanitaire (gouvernement à travers leur département de développement international, nations unis, banque mondial, …)
[ii] Water, Sanitation and Hygiene
[iii] Le programme au Libéria a été suspendu en décembre 2013 suite à l’épidémie d’Ébola.