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Billet de blog 27 janvier 2025

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Réflexion sur le « travail de mémoire »

Est-ce que les manifestations de commémoration, qui appellent au « devoir de mémoire » permettent vraiment d'éviter que « cela ne se reproduise plus » ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les commémorations sont l’occasion d’ « honorer » les victimes, de guerres, d’extermination, de catastrophes …

Pour les familles des victimes et pour les survivants, ces commémorations manifestent une solidarité certainement utile, apaisante, réconfortante, humainement chaleureuse et amicale.

Publiquement et politiquement, ces commémorations sont accompagnées d’un espoir affiché « pour que cette catastrophe ne se reproduise plus » et d’une affirmation sur l’importance, dans ce sens du travail (certains disent « devoir ») de mémoire.

De quelle mémoire s’agit-il ?

Pourquoi, immédiatement après leur libération ou leur évasion et pendant longtemps, la plupart des rescapés et beaucoup de leurs proches gardent le silence ? La crainte de ne pas être crus et le sentiment de culpabilité d’en « être sortis vivants » qui ont même poussé certains d’entre eux, comme Primo Lévi, au suicide ?

Aux cérémonies officielles, on énonce les noms des victimes, et on évoque l’horreur qu’elles ont vécue. Aux dates anniversaires, on publie des témoignages, des documents, des photographies et des films qui ont pour effet immédiat de réveiller les émotions de compassion, d’horreur etc. Mais si ces sentiments sont humainement utiles, en quoi contribuent-ils réellement, c’est à dire au-delà des discours, à ce que « cette catastrophe ne se reproduise plus » ?

L’horreur réelle et justifiée qu’elles inspirent ne devrait pas laisser ignorer que les catastrophes ne sont pas arrivées toutes seules, subitement. Elle sont le résultat d’une longue succession de causes, dont on n’a pas, sur le moment, suffisamment su reconnaître le danger.

Les dogmes successifs de vérités religieuses, chacune absolue, unique et exclusive, les racismes et théories de supériorité, l’appétit de domination, la cupidité etc. ont « justifié » antisémitisme, croisades, inquisition, destruction de civilisations, esclavagisme, guerres de conquêtes, colonisation, terrorisme, …

Tous ces phénomènes étaient précédés de «signaux faibles », qui ont été diffusés et amplifiés, mais négligés ou ignorés. Aujourd’hui, au travers des réseaux, les techniques de « percolation » parmi les populations se sont perfectionnées et deviennent des techniques d’influence directe auprès des personnes. Ces techniques sont d’autant plus dangereuses que le nombre de sources d’influence et les vitesses de propagation augmentent énormément et que les contrôles de réalité, de vérité factuelle ou historique, de distinction claire entre exposé des faits et opinions, sont non seulement de plus en plus difficiles, mais sont de plus entravés par les décisions autoritaires des propriétaires de ces réseaux.

L’esprit critique de chacun et des collectivités est de plus en plus difficile à exercer, la résistance politique à la domination de quelques uns par les réseaux et la puissance économique est de plus en plus faible. Conscient de cette complexité, Umberto Eco publiait en 1995 un article « Reconnaître le fascisme » (https://poesie-sociale.fr/wp-content/uploads/2022/07/Reconnaitre-le-fascisme_Umberto-Eco.pdf) où il propose 14 signaux.

On voit bien que la mémoire n’est, et de loin, pas suffisante pour éviter ces catastrophes. Même sans intention négative, cette mémoire se déforme et s’estompe. Mais elle est aussi polluée volontairement par des auteurs révisionnistes voire négationnistes, qui continuent à sévir malgré les interdictions légales.

On observe même, a contrario, des effets contraires :

-  l’oubli entre deux commémorations, exemple « on est tous Charlie »

-  des discours sur l’exagération qui en fait tentent de justifier un racisme inavoué ("les juifs sont pleurnichards", "les juifs se croient tout permis", ...)

-  le sentiment de suffisance, (ça n’arriverait pas chez nous) qui isole en la localisant la catastrophe (on parle d’Auschwitz, voire d’autres centres en Allemagne ou en Pologne) mais pas des centres d’extermination, en France par exemple, comme le Struthof, ni des camps de Drancy, de Pithiviers, ... ni des rafles, qui ont conduit leurs victimes à l’extermination ...

Si nous voulons vraiment que les catastrophes humanitaires ne se reproduisent plus, alors que nous assistons à une intensification incroyable des violences dans le monde entier, il est urgent d’ajouter au « travail de mémoire » un « travail de la connaissance » historique, fondée sur les travaux d’historiens validés selon les méthodes scientifiques.

C’est en s’appuyant sur ce travail de connaissance que nous pourrons identifier au plus tôt les signaux faibles annonciateurs de possibles catastrophes et, ainsi, agir en responsabilité avant qu’il ne soit trop tard, c’est à dire que l’énergie nécessaire pour en contrer les effets ne dépasse toutes nos possibilités.

Regardons d’un œil aussi froid et distant que possible ce qui nous entoure et posons nous la question de notre responsabilité collective de surdité par rapport aux trop nombreuses catastrophes humanitaires : guerres en Ukraine, au Moyen Orient, au Soudan, en RDC, situations en Iran, en Afghanistan, en Chine, etc. les violences, les famines, avec leurs conséquences sur la tragédie des exilés …

Sans oublier notre surdité, malgré les appels répétés des scientifiques, sur le dérèglement climatique avec les sécheresses, les tornades, les incendies monstres, les inondations… et leur cortège de misère, de famine, de déplacements de masse subis.

Il est urgent d’investir pour approfondir cette connaissance historique, la publier et la diffuser auprès de toutes les populations à tous les âges, depuis l’école.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.