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Billet de blog 12 août 2025

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Qayaad (paix à son âme) : L'Écho rieur dans le vent de l'Oubli

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Qayaad (paix à son âme) : L'Écho rieur dans le vent de l'Oubli

Imaginez une poignée de sable. Pas n'importe laquelle. Une poussière qui fut un homme. Un souffle. Un rire crissant comme du gravier sous le pied. Son nom, Qayaad, n'est inscrit nulle part, ou presque : juste un murmure rauque emporté entre deux dunes, une syllabe perdue dans le grand récit du monde. Il n'était de Boon que par un point d'eau tarissable, nomade par essence, par nécessité. Et pourtant... on l'a pris. Arraché au rythme du soleil, au chant des puits, à la liberté infinie du désert qui était sa loi et son royaume. On l'a jeté dans un uniforme déteint, couleur de boue étrangère, et on a fait de lui un "tirailleur". Pas un héros. Plutôt un paradoxe vivant, douloureux : un homme du vent enchaîné à la terreur des tranchées.

Devant des couchers de soleil d'apocalypse, sa silhouette se découpait, fêlée. Sa peau, couleur de terre brûlée, striée de rides profondes comme des lits d'oueds asséchés. Ses yeux, deux braises noires, avaient vu l'horreur innommable sur des champs de bataille aux noms rugueux, des noms kufr qui lui raclaient la gorge. Ses mains, larges et calleuses, sculptées pour guider les chameaux capricieux, tremblaient parfois sur le fusil Lebel – ce "serpent mort", disait-il avec ce rire qui ressemblait à un cri du désert. Il portait l'uniforme comme un déguisement grotesque, trop large, trop court, un accoutrement qui niait sa vérité d'homme libre, pasteur du vent.

Voici son manifeste. Pas celui qu'il aurait choisi. Mais celui que le simoun arrache au sable mouvant de l'oubli, craché en éclats de rage et de rire grincant. Celui d'un grain de sable dans l'immense machine à broyer les âmes. Celui de Qayaad, l'ombre debout dont la poussière se confond désormais avec celle de mille autres oubliés, quelque part entre ici, là-bas, et nulle part.

Ici, peut-être, ou là-bas, ou nulle part que le simoun connaît, repose une parcelle de poussière qui fut Qayaad. Qayaad de Boon ? Non, de nulle part assignable. Son nom même, un souffle rauque chuchoté entre deux dunes, une syllabe égarée dans le chœur des grands récits. Un tirailleur ? Oui, mais pas de ceux que l’Histoire encadre. Un tirailleur nomade, pire : un nomade enrôlé, un paradoxe en uniforme déteint. Son manifeste, le voici, craché sur le sable mouvant de l’oubli.

Portrait en sable et sang : 

Imaginez-le, non pas en héros de bronze, mais en silhouette fêlée contre un couchant d’apocalypse. Peau couleur de terre brûlée, striée de rides profondes comme des lits d’oueds secs. Des yeux, deux braises noires, qui avaient vu le ciel se déchirer sur des champs de bataille dont les noms lui échappaient – des noms qui grattaient la gorge, des noms kufr. Ses mains, larges, calleuses, savaient mieux guider un chameau capricieux qu’épauler un fusil Lebel, cette barre de fer froide et lourde, comme un serpent mort, disait-il en riant, d’un rire qui ressemblait à un crissement de gravier. Il portait l’uniforme français comme un déguisement grotesque, trop large aux épaules, trop court aux poignets, un accoutrement qui moquait son âme de pasteur du vent.

Le Poids de l’Absurde 

Qayaad, mon Grand-père en absurdité ! Toi, l’homme dont la loi était la course du soleil et le murmure des puits, enrôlé de force ou par la ruse doucereuse d’un recruteur affamé de chair à canon exotique. Quelle farce sociologique ! Eux parlaient de "Civilisation", de "Mère Patrie" – des mots vides comme des gourdes percées dans le désert. Toi, tu pensais au troupeau familial, dispersé, à la source tarie de Boon, ce point d’eau minuscule qui était ton univers. On t’arracha à ta cosmogonie nomade pour te jeter dans la boucherie mécanisée des autres. Tu devins un numéro dans un registre poussiéreux, un "indigène" utile pour charger là où d’autres hésitaient. Ta bravoure, Qayaad, n’était pas celle des épées chantantes, mais celle du désespoir tranquille, celle de l’homme qui marche parce qu’on lui a dit de marcher, et qui, dans un éclair de lucidité sauvage, savait que mourir ici ou là-bas, sous tel drapeau ou tel autre, c’était toujours mourir loin de l’odeur du myrrhe brûlant au campement.

On raconte (qui ? Personne. Le vent, peut-être) qu’à Verdun, gelé jusqu’aux os dans une boue qui n’était pas la sienne, il avait tenté d’allumer un feu avec des papiers officiels. "Pourquoi brûler les ordres, Qayaad ?" – "Pour avoir chaud, Sergent. Et puis… ces papiers, ils pèsent lourd. Ils sentent mauvais." On dit aussi qu’il négociait avec les rats des tranchées, leur offrant des miettes en échange de nouvelles du désert. Humour noir du nomade perdu : il appelait les obus qui sifflaient "les démons qui pètent trop fort". Une philosophie pragmatique, née sous un soleil impitoyable : la mort est une bête; parfois elle te rate, alors tu ris.

Dialogue avec le Néant :

Où es-tu tombé, Ombre Debout ? Dans quelle fosse commune, quel champ anonyme d’Europe ou d’Afrique as-tu rendu ton dernier souffle, un souffle qui aurait dû sentir le lait de chamelle aigre et le thym sauvage, mais qui sentit la poudre et la gangrène ? Ta tombe, Qayaad, est le continent entier de l’oubli. Pas de marbre, pas de croix, pas d’étoile. Juste le vent qui sculpte le sable, éternellement, par-dessus le lieu où ta poussière se confond avec celle de mille autres oubliés. On t’a volé ta mort comme on t’a volé ta vie. Ta "sépulture" est un concept, un pamphlet en soi contre l’ingratitude des empires.

Hommage en Éclats :

Alors, voici ton monument, Qayaad de Boon (ou de nulle part) :
Non pas en pierre, mais en rage et en rire grincant.
Contre les livres d’Histoire qui t’ignorent, je crache une encre de colère tendre.
Contre les mausolées des grands, j’élève ce tas de mots instables, comme ta tente.
Tu fus un grain de sable dans la machine de guerre – mais un grain qui aurait pu rayer l’acier, si on l’avait regardé.
Tu fus un éclat de rire dans le brouillard de l’horreur – un rire d’une humanité crue, désarmante.
Tu fus le paradoxe incarné : le nomade fixé dans la boue des tranchées, le libre enchaîné par des devoirs incompréhensibles.
Ton héroïsme fut celui de la persévérance muette, du refus intérieur de plier tout en pliant l’échine, parce qu’il faut bien survivre un peu encore.

Qayaad, fantôme rieur des sables mêlés de sang, ton nom est un hoquet dans la gorge du temps. Ta vie fut un pamphlet involontaire contre la folie des hommes qui découpent le monde et enrôlent les âmes. Ta tombe invisible est notre honte collective. Mais dans ce manifeste, refus ultime du silence, nous te saluons, Ombre Debout. Non pas en pleurant, mais en ricanant avec toi, amèrement, devant l’absurdité cosmique, et en jurant, sur le peu d’étoiles que tu voyais depuis ta tranchée, que le vent, au moins, se souvient du goût de ta sueur et du son de ton rire crissant. Paix à ta poussière, guerrier malgré lui. Ton nomadisme continue, éternel, dans le grand désert de la mémoire qui refuse de se fixer. MQ

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