13 mai 2025, Grenoble: lors d’une manifestation syndicale, deux profs sont suivis, photographiés puis interpellés. Leur crime ? Avoir dénoncé la complaisance du ministre de l’Intérieur envers une manifestation néonazie le 10 mai à Paris1. Après 3h30 de garde à vue, ils sont convoqués à une audience. Ils en ressortent « blanchis ». L’OPJ leur annonce pourtant que le Procureur transmet le dossier à leur hiérarchie pour sanctions administratives2.
7 septembre 2025 : L., enseignante, tend une banderole appelant aux mobilisations du 10 septembre. Elle est entourée par 4 agents de la Police Municipale qui lui avouent ne rien pouvoir constater d’illégal. Quelques jours plus tard, elle est convoquée par son supérieur qui lui explique que son engagement pose problème.
12 septembre 2025. M. est convoquée au Rectorat. Des parents d’élèves se sont émus de son activisme politique (hors-temps professionnel). Elle est rappelée à l’ordre.
Quel point commun entre ces 3 affaires? L’invocation du nébuleux “devoir de réserve” des fonctionnaires. Légalement, les agents de la fonction publique, soumis à une obligation de neutralité dans le cadre de leur activité professionnelle, bénéficient en retour de la protection de leur institution3. Le devoir de réserve s’applique pourtant à géométrie variable. Les zélateurs du néolibéralisme, constrution politique “naturalisée”, semblent à l’abri de toute accusation de parti-pris. L’obsession idéologique du modèle de l’entreprise, de la concurrence de tous contre tous, de la militarisation4 soulèvent peu d’oppositions. Éditocrates, politiques autoritaristes, grands patrons mystiques sont en revanche désormais cohorte à considérer que « La gauche, c’est le mal 5».
Poursuivre des citoyens qui défendent pacifiquement, hors temps de service, des idées progressistes est en soi un engagement. Ce sont bien les censeurs qui dans ces situations ont largement outrepassé leurs missions et prérogatives en réclamant des sanctions contre des militants n’ayant commis aucune infraction. Au grand dam de ceux qui y préférerait une justice arbitraire, le Droit reste une boussole de notre société. Pas pour tous cependant, car en termes de devoir de réserve, Guillaume Prévost, secrétaire général de l’enseignement catholique, se pose là 6. Il clame: « Prier avec les élèves, c’est notre projet », et piétine la priorité ministérielle du programme EVARS7. Rappelons que les écoles sous contrat sont tenues de respecter la loi et les principes de laïcité et que l’enseignement catholique est financé à 75 % par de l’argent public. Ici, pas de liberté de choix pour les contribuables. Mais au fait, quelle hiérarchie a rappelé à M. Prévost son devoir de réserve ? Aucune à notre connaissance...8
Laissons-là les enseignants et intéressons-nous à une autre fonction publique : la Police. Le 17 mai 2021, 35000 fonctionnaires (selon eux-mêmes) se rassemblent à Paris9 sous les fenêtres du Ministre de l’Intérieur. M. Darmanin - étrange conception du devoir de réserve ministériel- est présent parmi les manifestants censés dénoncer sa politique. Il n’est pas seul : M.C. Le Pen, R. Ménard, E. Zemmour, J. Bardella s’agitent devant micros et caméras. Plus inattendu, A. Hidalgo, O. Faure, Y. Jadot, F. Roussel affichent publiquement leur soutien aux forces de l’ordre. Et, par leur seule présence, au mot d’ordre clamé haut et fort par un responsable d’Alliance10 : « Le problème de la Police, c’est la justice !».
Le curseur politique s’est nettement déplacé vers la droite ces dernières années. On entend ainsi un ministre de la République déclarer que « L’État de Droit n’est pas intangible, ni sacré 11». Dans ce contexte, tous les fonctionnaires, et en premier lieu ceux qui exercent une autorité hiérarchique, seraient bien avisés de réfléchir. L’argument selon lequel « si on tolère une parole politisée, on s’expose à devoir accepter celle de l’extrême-droite » est indigent. Il n’existe aucune symétrie entre un discours basé sur les valeurs deliberté, égalité, fraternité et des idées réactionnaires avides de détruire les héritages progressistes de 1789, 1848, 1936 ou 1945. La funeste réalité du régime du Vichy et de sa mécanique implacable au service du projet génocidaire nazi doit nous le rappeler. Plus près de nous, le basculement brutal de la société états-unienne dans un mélange de néofascisme et de fanatisme religieux alerte.
Et si le rappel systématique du devoir de réserve n’était finalement qu’une incitation à l’autocensure ? Dans ce cas, les professeurs constituent des cibles prioritaires. Les intimider, les disqualifier, affaiblir leur autorité légitime, les épuiser dans des procédures judiciaires coûteuses et chronophages est stratégique. L’étape suivante (déjà entamée12?) sera la révision des programmes (exemples de Bolsonaro13, Orban14, Melloni, Trump … ), le renoncement pédagogique, la résignation scientifique. Dans un monde où « la vérité, c’est le mensonge », le confusionnisme doit devenir la règle. Or, l’École (avec la Culture et les médias libres de pressions économiques et politiques15) reste, malgré tous ses défauts, un des meilleurs remparts contre une version post-réelle de l’obscurantisme.
Fonctionnaires16, quelle est votre priorité ? Le devoir de réserve, ou de résistance ? Il ne s’agit pas de se mettre en danger. Il suffit simplement d’assumer votre objectivité et d’avoir le courage de dire non 17 .
L’internationale réactionnaire, alliée objective des ultra-riches, a son agenda et avance ses pions de façon impitoyable, brutale. Elle condamne le présent mais aussi l’avenir18. Face à cette nouvelle peste brune, nos armes sont l’exemplarité, le courage, l’intransigeance … et la force du nombre, guidé par la défense de l’intérêt commun.
Saurons-nous réagir avant que le devoir de réserve ne devienne impératif de servilité, au risque de ne plus avoir le choix de cautionner le pire ?
L’avenir proche nous le dira. Choisissons le présent.
M@quis - 1maquis2@riseup.net
1https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/05/10/a-paris-pres-d-un-millier-de-militants-d-ultradroite-ont-defile-samedi-a-l-appel-du-groupuscule-neofasciste-comite-du-9-mai_6604831_3224.html
2Histoire complète à retrouver ici : https://lundi.am/Hippolyte-et-Gedeon-decouvrent-la-gardav
3https://www.monde-diplomatique.fr/2020/11/BONTEMPS/62425
4https://www.mediapart.fr/journal/france/230925/enterrement-du-service-national-universel-retour-sur-un-fiasco
5https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/02/18/pierre-edouard-sterin-et-francois-durvye-les-hommes-d-affaires-qui-aimantent-la-droite-et-le-rn_6551770_823448.html
6 https://www.mediapart.fr/journal/france/230925/prier-avec-les-eleves-c-est-notre-projet-le-patron-de-l-enseignement-catholique-passe-l-offensive
7 A l’heure ou tant de scandales de maltraitance éclatent dans des dizaines d’établissement privés catholiques, les diocèses, coupables d’étouffer les affaires, préparent d’autres scandales en refusant que les dérives pédophiles puissent être identifiées et signalées par les élèves.
8 En l’absence de ministre, l’Education est pilotée par la DGSCO et son inénarable directrice Caroline Pascal, accusée d’avoir caviardé le rapport de l’Inspection sur Stanislas pour lui faire dire … le contraire de ses conclusions. (https://www.liberation.fr/societe/education/stanislas-les-inspecteurs-charges-dun-rapport-sur-le-college-pointent-une-intervention-de-lactuelle-n-2-du-ministere-de-leducation-20250521_PGLXBVA3O5EVHD6PE45CADYERM/ )
9Cette mobilisation « classique » fait suite à d’autres initiatives plus « originales » comme des concerts de sirènes au pied du domicile d’élus de la république, réveillant des quartiers entier à Nantes et Rennes. Pas d’inquiétude, aucune poursuite pour tapage nocturne ne sera engagée https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/12/18/apres-un-rassemblement-de-policiers-devant-son-domicile-la-maire-de-rennes-denonce-des-methodes-d-intimidation_6063883_1653578.html
10Syndicat largement majoritaire dans la Police
11https://www.franceinfo.fr/politique/gouvernement-de-michel-barnier/l-etat-de-droit-ca-n-est-pas-intangible-ni-sacre-pourquoi-les-propos-du-ministre-de-l-interieur-bruno-retailleau-font-polemique_6810349.html
12https://www.snes.edu/article/communiques/allegements-tres-selectifs-du-programme-de-ses-en-terminale/
13https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/11/17/au-bresil-jair-bolsonaro-lance-la-guerre-de-l-ecole_5384906_3222.html
14https://www.cafepedagogique.net/2025/06/26/les-5-marqueurs-discursifs-de-leducation-nationale-populiste/
15L’hypocrisie de Pascal Praud s’offusquant de la connivence entre Thomas Legrand et des socialistes parisiens est éclairante. Il a lui-même dîné plusieurs fois avec le multicondamné Nicolas Sarkozy. Les néofascistes exigent ainsi de leurs adversaires qu’ils respectent des règles qu’eux-mêmes piétinent allègrement. C’est le propre de l’arbitraire.
16Et parmi vous les premiers d’entre eux, les préfets, dont certains « font du zèle et se retrouvent en contradiction avec les lois de la République » https://www.monde-diplomatique.fr/2025/09/BAQUE/68718
17Ou, tout au moins, « I’d rather not to ».
18Les ravages d’un régime totalitaire ne disparaissent pas avec lui. Les peurs, les frustrations, les blessures, les douleurs, les névroses peuvent ensuite perdurer pendant des générations (exemples à l’appui).