En français, la Révolution de 1789 parle de « Droits de l’Homme et du Citoyen » tout en guillotinant Olympe de Gouges, de sorte que depuis, aux yeux de certains féministes, « de l’Homme » semble exclure par définition les femmes. L’expression « Droits de l’Homme » se retrouve en anglais dans le titre de Thomas Paine (1791), The Rights of Man, qui dès l’année suivante donne naissance à “Rights of Woman” dans A Vindication of the Rights of Woman (1792), de Mary Wollstonecraft, qui dénonce la proposition faite par Talleyrand à l’Assemblée constituante française de priver les femmes de citoyenneté. Selon certains historiens anglais, l’expression “Human Rights” n’est pas de beaucoup antérieure à l’ouvrage de Paine, mais celui-ci ne l’emploie pas, et wikipedia.en cite William Lloyd Garrison appelant déjà ses lecteurs, en 1831, à s’engager dans “the great cause of human rights” (formule qu’on retrouve dans la péroraison du Discours sur l’état de l’Union de Franklin D. Roosevelt le 6 janvier 1941 : “Freedom means the supremacy of human rights everywhere”).
L’anglais human (attesté ca1450 sous la forme humain) est emprunté au français humain, du latin humanus, alors que l’anglais man intègre au moins un sème du latin vir (anglais manhood, ‘virilité’ ; to act manly, ‘agir comme un homme’, comme p. ex. dans “Every real man wants to know how to act manly”). L’origine de man est le proto-germanique manwaz ‘personne’ (sous-entendu ‘humaine’), d’où mankind, ‘humanité’. Le paradoxe de toute cette histoire de mots est que tandis que le terme ancien man est germanique, le terme moderne human est roman, ce qui devrait rapprocher l’expression human rights du français ; or la base romane de ce « Droits humains » qui entre en français comme un anglicisme l’éloigne au contraire du sens de l’expression « Droits de l’homme », ce qui ne laisse pas d’intriguer.
L’expression « Droits humains » n'est que le calque franglais de l’expression anglaise que l’on trouve employée en 1948 dans le titre de la Universal Declaration of Human Rights.
Selon les étymologistes, le passage de Rights of Man à Human Rights aurait eu lieu en anglais (voire en anglais étatsunien) dans le cours des XVIIIe et XIXe siècles, et nous en recueillerons le résultat à une période récente – c.-à-d. après les Conférences de La Haye et de Genève qui précédèrent la Première Guerre mondiale et dont les conclusions sont rédigées en français – une fois que l’anglais l’aura emporté sur le français comme langue diplomatique internationale.
Les tenants des « droits humains », ignorant tout ou presque de la grammaire française, confondent adjectif et complément de nom en <N de N> en français. La « maire parisienne » n’est pas synonyme de la « Maire de Paris » dans la mesure où il en existe plusieurs de la première sorte (les femmes qui sont maires à Paris au moment où j’écris ces lignes, Florence Berthout, Rachida Dati, Jeanne d’Hauteserre, Delphine Bürkli, Alexandra Cordebard, Catherine Baratti-Elbaz, Carine Petit, Danièle Giazzi et Frédérique Calandra) et une seule de la seconde (Anne Hidalgo). Ceci en synchronie. Si je dis « Le roi marocain », j’oppose en diachronie Mohammed VI, seul Roi du Maroc (sous-entendu « en exercice ») valable, à Mohammed V et Hassan II, ses deux prédécesseurs sur le trône (après vingt autres souverains alaouites). Ceci en diachronie. Comparons aussi une communauté religieuse avec une communauté de religion : l’adjectif définit un groupe de personnes (moines ou nonnes) vivant ensemble plus ou moins à l’écart du monde tandis que le complément de nom désigne une société de laïcs parmi lesquels des non-pratiquants, voire des agnostiques : le sens des deux constructions est antinomique. En résumé, l’adjectif est générique, il désigne tous les membres d’une classe, alors que le complément de nom est exclusif et inscrit le sujet dans des conditions spécifiques de temps ou de lieu.
Les droits humains sont donc des droits individuels (“A right which is believed to belong to every person”, dit l’Oxford Dictionary, avec pour exemple “a flagrant disregard for basic human rights”, je souligne basic), indifférenciés, universels et éternels, remontant par approches successives jusqu’au Code d’Hammourabi (d’où des énoncés tels que : « Les droits humains étaient relativement limités dans la Grèce antique, notamment en ce qui concerne les femmes, les esclaves et les étrangers »). Les Droits de l’Homme sont au contraire spécifiques, collectifs et politiques, propres aux démocraties parlementaires modernes, inscrits dans les Constitutions des États sous forme d’articles de la loi fondamentale garantissant nationalité, liberté, égalité, fraternité, exercice du vote, santé, travail, logement, éducation, protection de l’enfance et parité (pour s’en tenir à l’essentiel).
Il n’est donc pas certain que nous ayons intérêt à troquer nos bons vieux Droits de l’Homme contre des Droits humains « made in USA ».