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Billet de blog 17 décembre 2025

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L'antisémitisme et la cause palestinienne

Ci-dessous in extenso, sous la plume du très informé et expérimenté Luis Favre et d'abord publié sous ce titre sur Facebook en espagnol, l'un des articles à notre sens les plus remarquables publiés après l'attaque terroriste de Sydney sur le sujet.

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L'antisémitisme et la cause palestinienne

LF

16/12/2025

Il existe une opération intellectuelle et politique en cours - menée par des camps idéologiques apparemment opposés - qui doit être clairement dénoncée : la tentative d'associer les attentats antisémites et la violence contre les Juifs à la cause palestinienne, que ce soit pour les légitimer ou pour les instrumentaliser. Cette opération est fausse, dangereuse et moralement inacceptable.

Le gouvernement d'extrême droite de Benjamin Netanyahu, ses alliés messianiques et ses représentants internationaux attaquent le Gouvernement australien et attribuent l'attentat terroriste perpétré lors d'une célébration juive à la reconnaissance de l'État palestinien, laissant entendre l'existence d'un lien de causalité entre la revendication légitime du peuple palestinien et la violence contre les Juifs. «Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a condamné la fusillade mortelle qui a eu lieu lors d'une célébration juive à Sydney et a déclaré avoir averti son homologue australien que le soutien du pays à la création d'un État palestinien alimenterait l'antisémitisme» (UOL, 14/12/2025).

Ainsi, le gouvernement israélien d'extrême droite instrumentalise l'attentat antisémite pour délégitimer toute reconnaissance internationale de l'État palestinien et présenter ses propres crimes et abus comme une réponse «légitime» de défense contre le terrorisme antisémite. En agissant ainsi, le gouvernement israélien réduit délibérément les Juifs de la diaspora à des extensions symboliques de l'État d'Israël, renforçant ainsi l'idée conspirante d'une responsabilité collective juive dans les décisions géopolitiques mondiales.

Mais les groupes terroristes islamistes ne sont pas les seuls à diffuser cette théorie du complot; certains secteurs de la gauche radicale convergent également vers la légitimation, ou du moins la relativisation, de l'antisémitisme, parfois dissimulé sous le terme «antisionisme» et présenté comme de simples «dommages collatéraux».

L'antisémitisme précède depuis plusieurs siècles la création de l'État d'Israël. Il a traversé l'Europe chrétienne, le monde arabo-musulman, le nationalisme moderne, le colonialisme et le fascisme. Il a survécu à l'Holocauste. Il se transforme, mais ne disparaît pas.

Les attentats contre des synagogues, des écoles juives, des supermarchés casher ou des civils juifs ne sont pas des actes de protestation politique. Ce sont des crimes haineux. Ce sont des actes terroristes. Ils sont l'expression d'une idéologie qui identifie les Juifs - parce qu'ils sont juifs - comme des ennemis ontologiques.

Associer ces crimes à la cause palestinienne n'est pas seulement une violation de la réalité : cela porte directement préjudice aux Palestiniens eux-mêmes, en transformant une lutte pour les droits nationaux en alibi pour les assassins et les fanatiques.

L'antisémitisme est rarement présenté comme ce qu'il est. Presque jamais supposé comme une haine pour les Juifs parce qu'ils sont juifs. Tout au long de l'histoire, il a toujours préféré s'envelopper dans des explications, des circonstances et des justifications. Les siècles passent, les discours changent, mais le mécanisme reste : il y a toujours un prétexte. Aujourd'hui, on essaie d'utiliser Gaza comme prétexte. On cherche à expliquer - ou relativiser - les attentats, agressions et menaces contre les Juifs dans différentes régions du monde comme une conséquence indirecte de la guerre menée par le gouvernement d'extrême droite de Benjamin Netanyahu. Ce récit est intellectuellement malhonnête, historiquement faux et politiquement dangereux. Non pas parce que les crimes commis à Gaza n'existent pas - ils existent, ils sont documentés et doivent être dénoncés - mais parce que l'antisémitisme ne commence pas là, il n'en dépend pas et n'en a jamais eu besoin pour exister.

L'histoire récente est sans équivoque. Bien avant la dévastation actuelle de Gaza, les Juifs étaient déjà la cible d'attentats terroristes à grande échelle. En 1994, à Buenos Aires, une voiture piégée a détruit le siège de l'AMIA, la principale institution juive d'Argentine. L'attentat a fait 85 morts et des centaines de blessés, marquant ainsi durablement la communauté juive du pays. À l'époque, il n'y avait pas de guerre à Gaza, pas de blocus, pas de campagne militaire à grande échelle pouvant servir de «contexte explicatif». Et pourtant, des Juifs ont été tués parce qu'ils étaient juifs, dans un attentat dont les ramifications politiques et les complications internationales restent, jusqu'à aujourd'hui, une blessure ouverte. Il en va de même pour Toulouse, Bruxelles et Paris. Enfants exécutés dans une école juive en 2012. Visiteurs tués au musée juif de Belgique en 2014. Des clients tués dans un supermarché casher en 2015. Ces crimes font partie de quelque chose de bien plus ancien : la persistance d'un imaginaire dans lequel les Juifs deviennent, pour certains, des objectifs symboliques légitimes.

Ce mécanisme est devenu particulièrement visible après 1948, lorsque la proclamation de l'État d'Israël a déclenché une vaste campagne de persécution contre les Juifs dans les pays arabes et musulmans. En quelques années, près de 850 000 Juifs ont été expulsés, contraints à l'exil ou privés de leurs biens. Des communautés millénaires – en Irak, en Égypte, au Yémen, en Syrie, en Afrique du Nord – ont presque complètement disparu. Il ne s'agissait pas de colons armés, de soldats, de dirigeants sionistes. Il s'agissait de citoyens locaux, souvent profondément intégrés dans les sociétés dans lesquelles ils vivaient, qui ont payé collectivement le prix d'un conflit sur lequel ils n'avaient aucun contrôle. Cette histoire est souvent négligée parce qu'elle désorganise le récit simpliste qui oppose un «avant» pacifique à un «après» violent attribué exclusivement à Israël. Mais elle révèle une vérité essentielle : la logique du châtiment collectif des Juifs ne naît pas de l'occupation, mais se reconfigure simplement autour d'elle.

C'est pourquoi l'argument du «contexte» est si dangereux. Ça n'explique pas la haine : ça la normalise. Cela suggère que la violence antijuive est, sinon légitime, au moins compréhensible. C'est exactement le même raisonnement qui traverse des siècles de persécutions : hier la peste, le capital financier, le bolchevisme ; aujourd'hui Gaza.

Cette logique est cyniquement exploitée par deux camps qui se présentent comme opposés.

Les secteurs de la gauche radicale et de l'«antisionisme» dit «éliminationniste» opèrent le mouvement inverse mais symétrique. Ils transforment Gaza en une absolution morale de l'antisémitisme. Ils relativisent les agressions, font taire les attentats et vont même célébrer le massacre du 7 octobre 2023 comme un acte de «résistance», effaçant délibérément leur caractère de pogrom terroriste, avec des meurtres massifs de civils, des viols et des enlèvements.

Aucune cause émancipatrice ne peut justifier le meurtre délibéré de civils juifs, ni aucun «contexte» capable de transformer le terrorisme antijuif en un acte progressiste.

Aucun crime de guerre, crime contre l'humanité ou terrorisme contre des civils ne peut être justifié au nom de la légitime défense de l'existence de l'État d'Israël.

Il n'y a pas de lutte anticoloniale qui passe par l'élimination d'un peuple.

Ce faisant, ces positions abandonnent toute prétention universaliste et remplacent la critique politique par une logique identitaire d'ennemis absolus.

Ces deux manipulations se nourrissent mutuellement. Les deux dissout la distinction fondamentale entre critique d'un État et haine d'un peuple. Les deux transforment les Juifs en objets politiques, parfois comme boucliers, parfois comme cibles.

La cause palestinienne n'y gagne rien. Au contraire. Chaque fois que l'antisémitisme est associé à la lutte palestinienne, celle-ci perd légitimité, clarté et soutien. Elle quitte le terrain du droit international et de la justice pour s'enliser dans le boue de la haine identitaire, exactement là où l'extrême droite israélienne veut la traîner. L'histoire le prouve assez clairement : l'antisémitisme a toujours trouvé un prétexte. La tâche de ceux qui réclament justice n'est pas d'inventer de nouveaux prétextes, mais de les rejeter tous. Sans exception.

De nombreux mouvements de gauche et militants palestiniens rejettent explicitement l'antisémitisme et s'efforcent de mener une lutte anticoloniale qui ne reproduit pas les discriminations ethniques. De nombreux gouvernements luttent vigoureusement contre l'antisémitisme et reconnaissent l'État palestinien, tandis que le Gouvernement israélien, par la terreur, cherche à empêcher le droit légitime du peuple palestinien à l'autodétermination.

Luis Favre

16 décembre 2025

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