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Billet de blog 13 février 2021

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Le beurre de liberté

On ne fera pas rentrer le dentifrice du temps qui va dans le tube du monde qui fut

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LE BEURRE DE LIBERTE

On ne fera pas rentrer le dentifrice du temps qui va

dans le tube du monde qui fut

Deux petites souris tombèrent dans une jatte de lait. Prisonnières du récipient elles se mirent à nager frénétiquement. Mais l'une des deux abandonna la lutte – et se noya. L'autre continua de s’agiter jusqu'à la limite de ses forces. Soudain le lait tourna en beurre. Prenant appui sur cette matière solide, la petite souris têtue sauta par-dessus bord et s'échappa.

(Conte anonyme)

Le 11 septembre 2001

Le lait du monde a tourné.

Y patauge depuis l’humanité.

Pareils à l’entêtée souris,

Il nous revient de baratter

Jusqu’au beurre de liberté.

Vous avez atterri, vous vous êtes crashés,

vous vous extrayez de ground zero , vous avancez

masqués, c’est à peine si l’on entend votre voix *

Chacun sa case ou bien sa caisse.

Tu bois le vide et tu encaisses

Les coups du vent les coups du sort

Et tu te dis que tu t’en sors.

Rien ne sert de tresser tes draps,

Rien de toi ne s’évadera

Car dedans c’est aussi dehors

Le mouvement le plus important

c’est de pouvoir nous égailler

dans toutes les directions.

Si seulement nous en avions le temps. *

Ce qui cache révèle

Ce qui pourrit féconde

L’ombre dit la ruelle

L’individu le monde

Le voici donc enfin venu le nouveau monde !

Il était temps depuis le temps qu’on en rêvait.

Certes il n’est pas vraiment celui qu’on espérait.

Mais était-il au bout du compte un autre monde ?

Ce monde où désormais il nous incombe d’être

Autre que ce qu’avant nous étions - autre même

Que ce qu’encore nous sommes : il est nous-même.

Nous sommes ses confins. Penché à ma fenêtre

Face à la nuit masquée le vertige me prend

Devant le nouvel alphabet qu’il me faut vite  

Déchiffrer à l’aveugle, en tâtonnant : j’hésite,

Je balbutie sonnet, rimant comme on apprend

A marcher accroché à son déséquilibre

Sur la terre dont je suis fait, novice - et libre.

Il y a bien eu métamorphose,

et il ne semble pas que l’on va revenir

en arrière en s’éveillant de ce cauchemar.

Confiné hier, confiné demain. *

*  Textes empruntés à Bruno Latour (Face à Gaïa, Où atterrir ?, Où suis-je ?)

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