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Billet de blog 19 avril 2025

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"80" - Des portes de Bergen-Belsen à celles du bar  Le Tout Va Bien

1945-2025: l'histoire d'un monde qui nait et qui meurt, à la mesure d'une vie individuelle...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 « 80 »

Des portes de Bergen-Belsen à celles du bar  le tout va bien

A Florence Schulmann, née le 24 mars 1945 dans le camp de Bergen-Belsen

Naître, c’est sortir, mourir c’est entrer.

Lao Tseu (cité par Bohumil Hrabal)

La nuit dernière il a rêvé un bar imaginaire, les deux coudes appuyés au comptoir il était incapable de saisir une chope de bière d’où débordait une mousse de mots qui glissait le long du verre puis s’étalait sur le zinc maculé de mille traces muettes de paroles oubliées que son regard nonchalant tentait de lire

Le 15 avril 1945

mes yeux se sont ouverts

en même temps que les portes du camp

de Bergen-Belsen

sur un parterre de désolation

Le 15 avril 1945

entre Auschwitz et Hiroshima

il pleut des mots carbonisés

Comme un  rideau couleur de cendre

Qui n’en finit pas de descendre

Le 15 avril 1945

son petit corps démesuré

déchire l’origine du monde

il pleut des cris silencieux 

sur les linges ensanglantés

 (A la page du 15 avril 2019 :

«mauvais souvenir »

note la mère avant de mourir

de sa main)

Le 15 avril 1945

à Paris

par 27 ° sous abri

il pleut des larmes de feu

sur le ventre du monde

Le 15 avril 1945

la vie ne se présente pas

sous les meilleurs  auspices

tout ça risquait de mal finir

Le 15 avril 2025

un monde tombe à la renverse

sous les coups de boutoir

des massacreurs de pauvres

des violeurs en série

et des voleurs de langue

on crache dans ta bouche

on salit  tes mots pour le dire

Le 15 avril 2025

sous l’infini debout et le zéro couché

on te vomit dans les oreilles

on coud tes yeux à la machine

tu penses, donc tu me nuis

pensent ceux qui ne pensent pas

on veut ta peau et tout ce qu’elle respire

Le 15 avril 2025

tes yeux se ferment comme si c’était la nuit

tu aimerais tant pourtant que le soleil

tourne autour de la terre

que le monde que tu rêves

soit celui qui se lève

le 15 avril 2025

quatre-vingts ans tout rond comme une boule de billard

ce monde roule sur le tapis et disparait comme avalé

dans l’angle mort de la mémoire

A son réveil, après avoir écrit ces vers comme on déchire une vieille photo aux bords crantés, il se lève, il ouvre la porte, il descend l’escalier, il sort, il traverse la place, il voit des gens qui cherchent l’horizon, l’horizon c’est la mer, il lui tourne le dos, il constate que le temps n’est pas mort, il entend qu’on l’appelle, il reconnait la voix : une goutte d’humour dans les rouages grippés du présent ?, il accepte l’invitation, il pousse la porte vitrée, il entre au bar le Tout va bien, il commande une bière, il paye sa tournée, il prend les dés, les jette…

Marc Delouze, Fécamp, 15 avril 2025

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