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Billet de blog 27 juin 2021

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout a commencé avec un roman de Richard Wagamese, Jeu blanc (Indian Horse) qui place en exergue les derniers vers d’un poème de Wendell Berry, « The peace of wild things » :

When despair for the world grows in me

and I wake in the night at the least sound

in fear of what my life and my children’s lives may be,

I go and lie down where the wood drake

rests in his beauty on the water, and the great heron feeds.

I come into the peace of wild things

who do not tax their lives with forethought

of grief. I come into the presence of still water.

And I feel above me the day-blind stars

waiting with their light. For a time

I rest in the grace of the world, and am free.

Je traduis le début et, à partir du sixième vers, je reprends la traduction proposée dans l’édition française de Jeu blanc – sans doute réalisée par la traductrice du roman, Christine Raguet :

Quand l’angoisse pour le monde grandit en moi

et que je me réveille en pleine nuit au moindre bruit

effrayé de ce que ma vie et la vie de mes enfants pourraient devenir,

je vais m’étendre là où le canard carolin

se repose en sa beauté sur l’eau et où le grand héron se nourrit.

J’entre dans la paix des créatures sauvages

qui n’imposent pas à leurs vies l’anticipation

du malheur. J’entre dans la présence de l’eau calme.

Et je sens au-dessus de moi les astres aveugles au jour

attendant d’émettre leur lumière. Un moment

je m’abandonne à la grâce du monde, et je suis libre.

On trouve la lecture du poème par Wendell Berry dans un très beau film d’animation de Charlotte Ager et Katy Wang, disponible sur le site de Charlotte Ager : https://charlotteager.co.uk/the-peace-of-wild-things

Illustration 1

***

D’autres poèmes de Wendell Berry expriment la même angoisse et le même désir de retrouver la paix.

The want of peace

All goes back to the earth,

and so I do not desire

pride of excess or power,

but the contentments made

by men who have had little :

the fisherman’s silence

receiving the river’s grace,

the gardner’s musing on rows.

I lack the peace of simple things.

I am never wholly in place.

I find no peace or grace.

We sell the world to buy fire,

our way lighted by burning men,

and that has bent my mind

and made me think of darkness

and wish for the dumb life of roots.

Le désir de paix

Tout retourne à la terre,

et ainsi je ne désire pas

l’arrogance de l’abondance ou du pouvoir

mais les satisfactions éprouvées

par des hommes humbles :

le silence du pêcheur

recevant la bénédiction de la rivière,

les rêveries du jardinier sur les plate-bandes

La paix des choses simples me manque.

Je ne suis jamais complètement à ma place.

Je ne trouve ni paix ni grâce.

Nous vendons le monde pour acheter du feu,

notre route éclairée par des hommes qui se consument

et cela a agité mon esprit

et m’a fait penser à l’obscurité

et désirer la vie muette des racines.

***

Parfois, un rebond d’humour lui permet d’enjamber la mort.

A meeting

In a dream I meet

my dead friend. He has,

I know, gone long and far,

and yet he is the same

for the dead are changeless.

They grow no older.

It is I who have changed,

grown strange to what I was.

Yet I, the changed one,

ask :`How you been?’

He grins and looks at me.

`I been eating peaches

off some mighty fine trees.’

Une rencontre

Dans un rêve je rencontre

mon ami mort. Il est parti,

je le sais, longtemps et loin

et pourtant il est le même

car les morts ne changent pas.

Ils ne vieillissent pas.

C’est moi qui ai changé,

qui suis devenu inconnu à celui que j’étais.

Pourtant, moi, celui qui ai changé

demande : ‘Comment ça va ?’

Il sourit et me regarde.

‘Je mangeais des pêches

cueillies sur des arbres majestueux.’

***

Quelle coïncidence, un poème de William Carlos Williams est placé en exergue d’un autre roman de Richard Wagamese, Les étoiles s’éteignent à l’aube (Walking medecine), « A sort of song ».

Mais, des pêches aux prunes, il n’y a qu’un pas.

This is just to say

I have eaten

the plums

that were in

this icebox

and wich

you were probably

saving

for breakfast

Forgive me

they were delicious

so sweet

and so cold

Traduction de Jacqueline Saunier-Ollier, dans l’édition bilingue des Poèmes de William Carlos Williams, Aubier-Montaigne, 1981 :

Ce n’est que pour te dire

que j’ai mangé

les prunes

qui étaient dans

la glacière

et que

sans doute tu

gardais

pour le petit déjeuner

Pardonne-moi

elles étaient délicieuses

si douces

et si froides

Dans le film de Jim Jarmush, Paterson, Laura, jouée par Golshifteh Farahani, dit que c’est son poème préféré de William Carlos Williams.

***

Mais c’est Wendell Berry qui reprend la parole, pour clore ce billet.

Poème XXIV du recueil Sabbath poems.

The year falls also from

the human-borne plagues

that kill the trees, foul

the air, the water, and the earth,

bringing to the world the curse

of frivolous death, the tiresome

novelty of wastefulness,

the ugly forethoughtfulness of fear.

What repair, what

return, will undo the consuming

self-belittlement that inherits,

disvalues, neglects and ruins

the decent small farm -

the earned, kept, and cherished

good of a lifetime’s work

gone – to break the heart ?

And yet the light comes.

And yet the light is here.

Over the long shadows

the late light moves

in beauty through the living woods.

L’année succombe elle aussi

aux fléaux engendrés par l’homme

qui tue les arbres, pollue

l’air, l’eau, et la terre,

apportant au monde la malédiction

d’une mort futile, l’importune

innovation du gaspillage,

la répugnante anticipation de la peur.

Quelle réparation, quelle

rétribution, déferont la brûlante

auto-dépréciation qui contamine,

avilit, abandonne et ruine

l’honnête petite ferme -

le bien gagné, gardé et chéri

de toute une vie de travail

enfuie - pour briser le cœur ?

Et pourtant la lumière vient.

Et pourtant la lumière est là.

Par-dessus les longues ombres

la lumière du soir s’avance

en beauté par la forêt vivante.

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