Tout a commencé avec un roman de Richard Wagamese, Jeu blanc (Indian Horse) qui place en exergue les derniers vers d’un poème de Wendell Berry, « The peace of wild things » :
When despair for the world grows in me
and I wake in the night at the least sound
in fear of what my life and my children’s lives may be,
I go and lie down where the wood drake
rests in his beauty on the water, and the great heron feeds.
I come into the peace of wild things
who do not tax their lives with forethought
of grief. I come into the presence of still water.
And I feel above me the day-blind stars
waiting with their light. For a time
I rest in the grace of the world, and am free.
Je traduis le début et, à partir du sixième vers, je reprends la traduction proposée dans l’édition française de Jeu blanc – sans doute réalisée par la traductrice du roman, Christine Raguet :
Quand l’angoisse pour le monde grandit en moi
et que je me réveille en pleine nuit au moindre bruit
effrayé de ce que ma vie et la vie de mes enfants pourraient devenir,
je vais m’étendre là où le canard carolin
se repose en sa beauté sur l’eau et où le grand héron se nourrit.
J’entre dans la paix des créatures sauvages
qui n’imposent pas à leurs vies l’anticipation
du malheur. J’entre dans la présence de l’eau calme.
Et je sens au-dessus de moi les astres aveugles au jour
attendant d’émettre leur lumière. Un moment
je m’abandonne à la grâce du monde, et je suis libre.
On trouve la lecture du poème par Wendell Berry dans un très beau film d’animation de Charlotte Ager et Katy Wang, disponible sur le site de Charlotte Ager : https://charlotteager.co.uk/the-peace-of-wild-things

Agrandissement : Illustration 1

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D’autres poèmes de Wendell Berry expriment la même angoisse et le même désir de retrouver la paix.
The want of peace
All goes back to the earth,
and so I do not desire
pride of excess or power,
but the contentments made
by men who have had little :
the fisherman’s silence
receiving the river’s grace,
the gardner’s musing on rows.
I lack the peace of simple things.
I am never wholly in place.
I find no peace or grace.
We sell the world to buy fire,
our way lighted by burning men,
and that has bent my mind
and made me think of darkness
and wish for the dumb life of roots.
Le désir de paix
Tout retourne à la terre,
et ainsi je ne désire pas
l’arrogance de l’abondance ou du pouvoir
mais les satisfactions éprouvées
par des hommes humbles :
le silence du pêcheur
recevant la bénédiction de la rivière,
les rêveries du jardinier sur les plate-bandes
La paix des choses simples me manque.
Je ne suis jamais complètement à ma place.
Je ne trouve ni paix ni grâce.
Nous vendons le monde pour acheter du feu,
notre route éclairée par des hommes qui se consument
et cela a agité mon esprit
et m’a fait penser à l’obscurité
et désirer la vie muette des racines.
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Parfois, un rebond d’humour lui permet d’enjamber la mort.
A meeting
In a dream I meet
my dead friend. He has,
I know, gone long and far,
and yet he is the same
for the dead are changeless.
They grow no older.
It is I who have changed,
grown strange to what I was.
Yet I, the changed one,
ask :`How you been?’
He grins and looks at me.
`I been eating peaches
off some mighty fine trees.’
Une rencontre
Dans un rêve je rencontre
mon ami mort. Il est parti,
je le sais, longtemps et loin
et pourtant il est le même
car les morts ne changent pas.
Ils ne vieillissent pas.
C’est moi qui ai changé,
qui suis devenu inconnu à celui que j’étais.
Pourtant, moi, celui qui ai changé
demande : ‘Comment ça va ?’
Il sourit et me regarde.
‘Je mangeais des pêches
cueillies sur des arbres majestueux.’
***
Quelle coïncidence, un poème de William Carlos Williams est placé en exergue d’un autre roman de Richard Wagamese, Les étoiles s’éteignent à l’aube (Walking medecine), « A sort of song ».
Mais, des pêches aux prunes, il n’y a qu’un pas.
This is just to say
I have eaten
the plums
that were in
this icebox
and wich
you were probably
saving
for breakfast
Forgive me
they were delicious
so sweet
and so cold
Traduction de Jacqueline Saunier-Ollier, dans l’édition bilingue des Poèmes de William Carlos Williams, Aubier-Montaigne, 1981 :
Ce n’est que pour te dire
que j’ai mangé
les prunes
qui étaient dans
la glacière
et que
sans doute tu
gardais
pour le petit déjeuner
Pardonne-moi
elles étaient délicieuses
si douces
et si froides
Dans le film de Jim Jarmush, Paterson, Laura, jouée par Golshifteh Farahani, dit que c’est son poème préféré de William Carlos Williams.
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Mais c’est Wendell Berry qui reprend la parole, pour clore ce billet.
Poème XXIV du recueil Sabbath poems.
The year falls also from
the human-borne plagues
that kill the trees, foul
the air, the water, and the earth,
bringing to the world the curse
of frivolous death, the tiresome
novelty of wastefulness,
the ugly forethoughtfulness of fear.
What repair, what
return, will undo the consuming
self-belittlement that inherits,
disvalues, neglects and ruins
the decent small farm -
the earned, kept, and cherished
good of a lifetime’s work
gone – to break the heart ?
And yet the light comes.
And yet the light is here.
Over the long shadows
the late light moves
in beauty through the living woods.
L’année succombe elle aussi
aux fléaux engendrés par l’homme
qui tue les arbres, pollue
l’air, l’eau, et la terre,
apportant au monde la malédiction
d’une mort futile, l’importune
innovation du gaspillage,
la répugnante anticipation de la peur.
Quelle réparation, quelle
rétribution, déferont la brûlante
auto-dépréciation qui contamine,
avilit, abandonne et ruine
l’honnête petite ferme -
le bien gagné, gardé et chéri
de toute une vie de travail
enfuie - pour briser le cœur ?
Et pourtant la lumière vient.
Et pourtant la lumière est là.
Par-dessus les longues ombres
la lumière du soir s’avance
en beauté par la forêt vivante.