« - Il faut planter des aubépines, dit l’homme. Des haies d’aubépine autour des maisons, et des bosquets d’aubépines à l’angle des champs. C’est très utile. »
Jourdan n’avait pas compris et Marthe était immobile. L’homme les regarda un peu longuement l’un et l’autre puis il se passa la langue sur les lèvres pour les mouiller, comme un qui veut siffler et donner la note juste.
« Vous avez peut-être un peu trop employé la terre de borne à borne. L’homme fait bien, je ne dis pas le contraire, mais le monde ne fait pas mal, remarquez. »
Il dressa son doigt en l’air.
« Il faudrait de l’aubépine, des haies, border les champs, non pas pour la barrière, mais vous prenez trop de terre pour le labour. Laissez-en un peu pour le reste. C’est assez difficile à faire comprendre, hé? »
Jourdan se frottait les joues.
« J’écoute, dit-il.
- Voilà, dit l’homme, que l’aubépine est inutile et puis qu’avec son ombre, tu me diras, elle mange d’un côté le bon des graines et que de l’autre côté, côté soleil, elle mange aussi le bon des graines avec son abri. Car, l’abri de l’aubépine est sec et souple et c’est beaucoup aimé par un tas de bêtes fouineuses, je sais. Mais, justement, ça serait trop long à dire. Une chose seulement, pour te faire comprendre. Si tu comprends ça, tu comprends tout. Avec de l’aubépine, il y a des oiseaux. Ah ! »
Jean GIONO, Que ma joie demeure, 1935