Les Retraités, Boucs Émissaires d'une Politique Salariale en Échec
Lettre ouverte adressée au ministre Éric Lombard, qui suggère que "les actifs devraient sans doute travailler plus" et évoque de possibles "taxes sur les retraités qui peuvent se le permettre", un constat s'impose : le débat sur les retraites masque une réalité économique bien plus préoccupante.
Si certains s'émeuvent que les retraités d'aujourd'hui percevraient des pensions plus élevées que leurs prédécesseurs, c'est avant tout le reflet d'une dégradation inquiétante du pouvoir d'achat des actifs. Les chiffres sont éloquents : entre 1980 et 2023, tandis que l'inflation cumulée atteignait 333,4%, les salaires n'ont progressé que de 274,6%. Un décrochage de près de 60 points qui traduit une paupérisation progressive du monde du travail.
Cette érosion se manifeste notamment par la multiplication des "trappes à SMIC" : la proportion de salariés au salaire minimum est passée de 8,2% à 17,3% en trois décennies. Une précarisation qui n'a rien à voir avec le niveau des retraites, contrairement au discours ambiant qui tend à opposer générations actives et retraitées.
Rappelons quelques vérités : aucun retraité ne perçoit plus que son dernier salaire. Dans le privé, la pension est calculée sur les 25 meilleures années avec un taux de 50%, plafonné à 1962 euros - dans les faits, souvent limité à 1650 euros. Les retraites complémentaires, fruit de cotisations importantes allant jusqu'à 21,59% des revenus, ne font que compléter ce socle.
Alors que nos voisins européens - Belgique, Luxembourg, Allemagne - ont choisi d'indexer leurs pensions soit sur l'inflation, soit sur l'évolution des salaires, la France a progressivement détricoté son système de revalorisation. En 2019, le gouvernement a même "temporairement" désindexé les retraites pour des raisons budgétaires.
Cette politique de division entre actifs et retraités apparaît comme une manœuvre pour éviter d'affronter le véritable enjeu : la stagnation des salaires et la dégradation des conditions d'emploi, particulièrement pour les seniors. Les manifestations massives contre la réforme des retraites ont pourtant démontré une forte solidarité intergénérationnelle que le gouvernement semble ignorer.
Face à cette situation, la question n'est pas de savoir comment taxer davantage les retraités, mais comment revaloriser les salaires et améliorer l'emploi. Plutôt que d'abaisser le niveau de vie des retraités pour le ramener à celui des actifs, ne faudrait-il pas au contraire relever celui des travailleurs ? À moins que, comme pour le "bac pour tous", on préfère niveler par le bas plutôt que d'élever le niveau général.
La maison achetée au prix d'une vie d'économies, que certains reprochent aux retraités, n'est-elle pas aussi celle qui évitera à leurs enfants de financer un EHPAD ? Cette solidarité familiale, fruit d'une vie de travail, mérite mieux que d'être stigmatisée par ceux qui, depuis leurs bureaux parisiens, gagnent souvent plusieurs fois le salaire moyen français.
Il est temps de cesser cette rhétorique qui divise pour mieux régner et d'affronter le véritable défi : la reconstruction d'un modèle social qui garantisse à tous, actifs comme retraités, une vie digne du XXIe siècle.